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  • ”La Flûte Enchantée” par le Béjart Ballet Lausanne, au Palais des Congrès jusqu’au 11 février

    danse,maurice béjart,gil roman,béjart ballet lausanne10 Ans que Maurice Béjart ne jette plus son regard bleu acier sur sa compagnie.
    Gil Roman lui a succédé, le danseur (aussi chorégraphe) remarqué dans «Adagietto» en 1980, est non seulement à la tête de la compagnie mais il a surtout la très délicate mission de faire vivre l’œuvre, et la compagnie, du chorégraphe "
    démiurge", comme titre, l'auteur et journaliste, Ariane Dollfus pour son ouvrage biographique (1) consacré à Maurice Béjart.

    Le Palais des Congrès résonne de l’opéra crépusculaire de Mozart, un enregistrement de 1964 par l’orchestre Philharmonique de Berlin sous la baguette de Karl Böhm. Etonnamment cette Flûte enchantée ne souffre pas de l’absence physique des musiciens et des artistes lyriques, le Béjart Ballet Lausanne prend le relais. 

    Comme si la scène n’était jamais un espace suffisant : une arche, sorte de passage symbolique, propose de s’échapper vers un autre ailleurs... Entre féérie et rituels maçonniques, l’atmosphère se charge en émotions, les tableaux se tracent en diagonales, justaucorps et soies colorées, masques surgis des contes de l’extrême orient. Les ensembles, pas de deux, trios et solos se jouent d’un pentagramme marqué au sol. Compositions plastiques, gestes arrêtés, enchainements énergiques, ce ballet est un juste reflet d’une époque extrêmement créative. En ces temps, Maurice Béjart créait le génial Salomé pour Patrick Dupond, impossible de ne pas juxtaposer la flûte de pan de Tamino au masque blanc de Salomé… troublant.
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    Déchaînées, les trois dames d’honneur de la Reine de la nuit sont renversantes, les voix se sont transformées en mouvements. Magique. Papageno traverse la scène à tir d’ailes. Un remarquable Tamino fait étrangement penser à Gil Roman tandis qu'un récitant rythme les scènes par des intermèdes savamment dosés entre élégance et bouffonneries. Pourtant, ce soir de 'générale de presse', les solistes ne sont pas tous à la fête, le corps de la compagnie surpasse les rôles titres par leur énergie et surtout leur interprétation. Sans répit, les danseurs déploient des jambes et des bras délirants. Ils sont beaux les danseurs de Béjart. Athlètes racés et femmes lianes, académique certes mais aux personnalités bien trempées. 

    « Il n'y a qu'un seul public : celui qui vient pour aimer… » (2) et la venue du Béjart Ballet Lausanne à Paris est un évènement à aimer. C’est une tournée mondiale, chacun se régalera des intentions chorégraphiques d’un des Maîtres absolus de la danse du XXème siècle, « La Flûte enchantée » ravira initiés et profanes. Pour TOUS !

    Laurence Caron

    1 tout récent et indispensable ouvrage d’Ariane Dollfus : « Béjart, le Démiurge » aux éditions Arthaud, collection «Traversée des Mondes". 

    2 citation de Maurice Béjart issue de « Un instant dans la vie d’autrui »  

    Réservations : 01 40 68 22 22.

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  • Le presbytère n'a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat... Le Béjart Ballet Lausanne est au Palais des Con

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    "...Il y a un peu plus de trente ans, au milieu de la surprenante musique de Berlioz entrecoupée de bombardements et de bruits de mitrailleuses, un Frère Laurent peu conventionnel s’écriait devant Jorge Donn et Hitomi Asakawa : “Faites l’amour, pas la guerre !”.
    Aujourd’hui, Gil Roman, qui a à peu près l’âge de la création de mon Roméo et Juliette, entouré de danseurs qui n’ont jamais vu ce ballet répond : “Vous nous avez dit : faites l’amour, pas la guerre. Nous avons fait l’amour, pourquoi l’amour nous fait-il la guerre ?”.
    Cri d’angoisse d’une jeunesse pour laquelle le problème de la mort par l’amour s’ajoute à celui des guerres multiples qui n’ont pas cessé dans le monde depuis la soi-disant FIN de la dernière guerre mondiale !
    Mes ballets sont avant tout des rencontres : avec une musique, avec la vie, avec la mort, avec l’amour… avec des êtres dont le passé et l’œuvre se réincarnent en moi, de même que le danseur que je ne suis plus, se réincarne à chaque fois en des interprètes qui le dépassent.
    Coup de foudre pour la musique de Queen. Invention, violence, humour, amour, tout est là. Je les aime, ils m’inspirent, ils me guident et, de temps en temps dans ce no man’s land où nous irons tous un jour, Freddie Mercury, j’en suis sûr, se met au piano avec Mozart.
    Un ballet sur la jeunesse et l’espoir puisque, indécrottable, optimiste, je crois aussi malgré tout que The Show Must Go On, comme le chante Queen."
     Maurice Béjart
     
    "Le Presbytère n'a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat..." par le Béjart Ballet Lausanne, musique de Queen et Mozart, costumes de Gianni Versace, au Palais des Congrès , du 4 au 6 avril : immanquable !
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  • Maurice Béjart a offert à Jorge Donn et Freddie Mercury l’immortalité…sur scène ! « Le Presbytère n’a rien perdu de son

     

    maurice béjart,freddie mercury,le presbytère,jorge donn,versaceVous nous avez dit : « faites l’amour pas la guerre. » Nous avons fait l’amour, pourquoi l’amour nous fait-il la guerre ? Maurice Béjart.

    La question est posée. Le chorégraphe choisit de lever le voile, voile blanc tel un linceul, jeté sur ce fléau hypocrite, fourbe et impitoyable qui a marqué une trop longue époque (non révolue), dévasté des générations et emporté avec lui, de façon définitive, toute la candeur du miracle de l’amour. Jorge Donn, star de la danse, et, Freddie Mercury, star du rock. Idoles idolâtres dont les carrières sont fauchées en plein vol par la maladie, ils ont 45 ans chacun, seulement. En 1991, Jorge Donn quitte ce monde ; un an plus tard Freddie Mercury déclare être porteur du VIH, il décède le lendemain.

    Dans son chalet, au dessus du lac Leman, Maurice Béjart est frappé par la photo qui orne la pochette de l’album posthume de Freddie Mercury, il s’agit de la même vue du lac qui s’étend face à lui… 

    Le Maître du Ballet contemporain s’abreuve de vidéos, il se délecte autant de la musique (symphonique) de Queen que du jeu de scène (exceptionnel) de Freddie Mercury. Maurice Béjart détecte une  « correspondance » ou plutôt des « correspondances », c’est ainsi que le créateur sensible désigne l’impalpable, ces liens qui se tissent entre les êtres, les choses ou les univers. Symboliquement, Freddie Mercury et Jorge Donn sont réunis sur scène sans toutefois véritablement se rencontrer, pour un ballet, pas uniquement sur le Sida « mais sur les gens qui sont morts jeunes » (Maurice Béjart).

    Versace crée les costumes, ce sont des étoffes graphiques, sombres ou colorées, elles épousent les corps comme collées au plus prés de la peau. En 1996, le ballet au titre énigmatique* « Le Presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat » prend vie, une vie qui témoigne, une vie qui palpite, selon Maurice Béjart « ce ballet sur la jeunesse et l’espoir puisque, indécrottable optimiste, je crois aussi malgré tout que The show must go on, comme le chante Queen ».

    Le Béjart Ballet Lausanne est en forme !
    Fils spirituel et artistique, résolument fidèle au génie de Maurice Béjart, Gil Roman est à la hauteur de la mission qui lui a été confiée, la direction du Béjart Ballet Lausanne et de son répertoire sont tenus par des mains habiles, d’une grande intelligence artistique. La compagnie de Maurice Béjart semble épanouie, les danseurs sont toujours aussi puissants et les danseuses n’ont jamais été aussi belles et déterminées.
    De Mozart à Queen, la danse s’offre la liberté, celle de gommer les frontières et d’unir les Hommes, de dessiner l’amour et l’humour en un même trait. Le geste est là, indemne. Voir un ballet de Béjart aujourd’hui est comme une cure de Jouvence, un retour aux fondamentaux. L’évidence du geste est totalement détoxifiante, une renaissance cellulaire s’opère. Puis, l'émotion engloutie toutes formes de sens critique, le comble semble atteint lors du salut final lorsque Gil Roman entraîne avec lui ses danseurs dans une marche mesurée, une vague pure, forte… A pleurer de beauté, ce que j'ai fait.

    Là où on apprend que l’éternité n’est pas du domaine de la Science mais bien du domaine de l’Art…
    Plus fort que la maladie, et au delà même, plus fort que la mort, les merveilleux Jorge Donn et Freddie Mercury sont toujours là. Par les enregistrements et autres traces argentiques et magnétiques, les artistes poursuivent une sorte de survivance devenue numérique. Pour Jorge Donn et Freddie Mercury, Maurice Béjart crée autre chose, une sorte d’incarnation, je ne souhaite pas employer le terme de « réincarnation » tant la portée spirituelle du mot pourrait tenter à bien d’autre interprétations. Pour conclure, j'invoque une « correspondance », une citation du père de Maurice Béjart, le philosophe Gaston Berger : « Demain ne sera pas comme hier. Il sera nouveau et il dépendra de nous. Il est moins à découvrir qu'à inventer". 

    Laurence Caron

    *Le titre Le Presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat » est emprunté au mot de passe du personnage de Rouletabille dans Le Mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux.

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  • Exposition de photographies de Francette Levieux, «Noureev, L’Insoumis», une exposition qui se dévore comme un roman...

    L’image, d’un danseur en pleine expression de son art, reproduite par la photographie, exige une précision encore plus importante que pour celle d'un acteur, l'exercice est millimétré, presque scientifique. Chaque détail compte, le pied, la main, la cambrure ou l’arabesque doivent se présenter sous leurs meilleurs angles afin de supporter d’être figés sur le papier ; comme s’il était possible d’arrêter le mouvement ? Cet art là, cette indéfinissable maîtrise du temps, la photographe Francette Levieux en fait son affaire.

    laurence caron-spokojny,francette levieux,rudolf noureev,ariane dollfusPendant plusieurs années, photographe de l’Opéra national de Paris, Francette Levieux a suivi, pas à pas, des trajectoires célestes comme celles de Roland Petit, Maurice Béjart, Noëlla Pontois, Patrick Dupond, Alvin Ailey, Luis Falco, Claude de Vulpian ou encore Vladimir Vassiliev… Discrète comme une petite souris lorsqu’elle se faufilait dans les coulisses de l’Opéra Garnier, Francette Levieux aimait être tout près des danseurs, juste sur la scène. Lorsque Rudolf Noureev dansait, il renvoyait la photographe se placer dans la sal

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  • Patrick Dupond : l'envie de danser

     Patrick Dupond est sans conteste le plus grand danseur de sa génération.
    Cela le monde entier en est convaincu, sauf lui...

    Patrick Dupond,danse,laurence caron,institut du monde arabe,danse,laurence caronIl est une star absolue. Au delà du travail et des tortures disciplinaires imposés par l'art de la danse, il a été touché par la grâce. Présence, charisme, charme et humour le caractérisent, et toujours avec cette générosité dont lui seul possède les codes. Personne n'oserait remettre en question l'insolence du talent de Patrick Dupond, il n‘est pas un homme comme les autres, il est différent du commun des mortels. Pourtant, il semble que le danseur lui même tenterait d'ébranler ces certitudes. 

    patrick dupond,institut du monde arabe,danse,leila da rocha,fusion,laurence caron(Fusion avec Leila da Rocha)
    Le voici sur la scène de l’Institut du Monde Arabe aux côtés de Leila Da Rocha, danseuse orientale de Soisson...

    Le propos de FUSION est une sorte de passerelle entre le jeune danseur adulé et un danseur (moins jeune) oublié et meurtri, c’est en tout cas ce qu’il veut nous faire croire. La rencontre avec Leila da Rocha le «ressuscite» et est symbolisée par un croisement entre la danse orientale et la danse occidentale.
    Pour la rencontre de l’orient et de l’occident, on pense tout de suite à Maurice Béjart qui s'est influencé du répertoire chorégraphique persan. Le maître a reconnu lui-même que cette démarche fut déterminante pour l’ensemble de sa carrière, et, participant ainsi à créer les fondations d’un nouveau genre : la danse contemporaine.
    Bien loin, il s’agit plutôt ici de danse du ventre et de gracieux mouvements de poignets. La performance est agréable, le visage de la belle est envoûtant. A ces côtés, Dupond saute, s’élance, tourne, s’escrime, traverse la scène les bras tendus, il tente d’attraper quelque chose ou de le retenir. Les pas sont résolument élégants, le port est altier, la grâce est là intacte, mais il y a comme un doute, quelque chose de malhabile, un manque de confiance. Cette fragilité, Leila Da Rocha propose de la canaliser en l’emmenant sur son territoire...
    Seulement cette terre n’est pas assez vaste. Patrick Dupond est à l’étroit. Il est une étoile, il y a quelque chose d’universel et d’intemporel dans cette «fonction». Dupond est fait pour s’exprimer sur des plateaux de bois précieux, se couler dans des costumes de soie imaginés par les plus grands couturiers, être guidé par les chorégraphes les plus innovants. Alors bien sur, sa danse n’a plus la même effronterie, la vie et les années se sont chargées de lui infliger des souffrances autant physiques que psychologiques. Il a changé, il a vieilli.
    Et alors ?
    Il est un artiste. Il est le seul à porter ce nom «Patrick Dupond» ; la star, longtemps unique à être connue outre atlantique et outre tous les océans d’ailleurs.

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    (Salomé de Béjart)

    Trêve de nostalgie. Il faut avancer. Ses épreuves tragiques doivent se transformer en énergie créatrice, le grand interprète qu’il est doit s’en nourrir. On peut entrevoir même une nouvelle dimension à son travail... Tragique ou comique, Dupond est avant tout un comédien et on ne peut ignorer cet avantage. Le merveilleux Salomé de Béjart ne sera peut-être plus jamais dansé par Dupond : c’est ainsi.
    Et alors ?
    Continuons. Tournons la page et écrivons la page suivante. Vite. Il faut reprendre le fil de l’histoire.
    Quel chorégraphe contemporain pourrait lui écrire un rôle, un solo ?  Qui oserait guider les pas de Patrick Dupond afin qu’il soit rendu au public ? Qui aurait le talent d’inscrire Patrick Dupond dans la danse d’aujourd’hui et non pas uniquement dans un passé qui a le goût trop amer des regrets ?
    Maîtres chorégraphes, un peu d'audace s'il vous plaît, à vous de jouer ! 

    Laurence Caron-Spokojny

    Institut du Monde Arabe 

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  • Marion Motin /​Xie Xin /​Nicolas Paul /Crystal Pite à Garnier, jusqu'au 12 octobre 2023

    Soir de Gala à L’Opéra de Paris

    C’est toujours un moment émouvant et unique - même si l’Orchestre Pasdeloup confond le défilé du Ballet de l’Opéra national de Paris avec un spectacle de majorettes -  la connivence entre la joie des artistes et l’enthousiasme du public, le chic des tutus blanc et la magnificence des lieux nous indiquent qu’il s’agit bien de la soirée d’ouverture de la saison de l’Opéra de Paris.

    On passera sur les trois premières créations entrées au répertoire ce soir-là ; rien de neuf ni exaltant en matière chorégraphique, des créations très ou trop inspirées de "déjà vu" même si le dynamisme de The Last call de Marion Motin apporte un peu de vent frais, ce n’est qu’une brise, insuffisante à mon sens pour atteindre la hauteur et la dimension artistique et technique du Ballet de l’Opéra de Paris.

    Cependant à l’Opéra de Paris, la magie opère toujours ! The season’s canon, ballet de Crystal Pite désormais culte, signe la soirée et efface d’un trait d’éventuelles attentes avortées. La compagnie est à la fête, plus de cinquante danseurs occupent le plateau pour former une matière protéiforme, terriblement vivante, un essaim fantastique d’une beauté époustouflante. Trente-cinq minutes de pur bonheur. Donner vie aux saisons est un passage obligé pour les artistes, de la peinture à la musique, ainsi la puissante chorégraphie de Crystal Pite dans The season’s canon est éminemment tellurique comme celles construites avant elle par ses aînés Maurice Béjart, Pina Bausch jusqu'à Vaslav Nijinski, impossible de ne pas avoir des frissons en repensant aux versions tant aimées du Sacre du Printemps. Sur des décors et des cascades de lumières réalisés par Jay Gower Taylor et Tom Visser dans un espace d’expression infiniment grand, on rêverait presque qu’un beau jour le vidéaste Bill Viola mette lui aussi la main à la pâte… Ici tout est intense, les danseurs se révèlent dans toute leur splendeur de chairs et de forces jusqu’à la musique de Vivaldi génialement remuée et réarticulée avec maestria par le compositeur Max Richter. The season’s canon est une réussite et un succès ininterrompu depuis sa création et son entrée au répertoire de l’Opéra national de Paris en 2016, à voir ou à revoir absolument !

    LC.

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  • ”Stéréo” jusqu'au 22 octobre à La Villette

    La danse, le théâtre et la musique se rencontrent difficilement, un enseignement artistique très exigeant et donc trop catégorisé, un public en quête de repères culturels et des salles de spectacles peu adaptées participent peut-être à ce manque de liens entre ces arts. L'artiste français Philippe Découflé s’est toujours moqué de la complexité de cet environnement culturel très français, pendant la décennie géniale des années 80 pour la danse contemporaine (et pas seulement) il a peut-être été un peu regardé de haut par ses contemporains, pourtant il a été le seul à rendre cet art du mouvement accessible à tous. D’ailleurs un savoureux parfum de cette période se dégage de son nouveau spectacle « Stéréo » à La Villette, un groupe live (ultra bon), chant, guitare, basse, batterie, rock-pop, et souvent punk, s’illustre avec une troupe de sept talentueux danseurs. Ce spectacle entre en résonance avec le « Portrait » du plus jeune Mehdi Kerkouche, cette recherche de mixité des genres qu’elle soit physique, ethnique, sociale ou autres, portée par la voix des arts n’est pas nouvelle, Maître incontesté de cette filiation, il y a plus longtemps, Maurice Béjart en son époque avait déjà préparé le terrain.

    Les exploits circassiens et l’extravagance des costumes font parties de la marque de fabrique de Découflé et participent à repousser les frontières de la scène pour toujours plus de magie. C’est la particularité de ce créateur de shows - toujours joyeux - il paraît un peu à l’étroit sur une scène et semble plus à son aise lors de grands évènements là ou sa créativité peut pleinement s’exprimer. Au sein du collectif, Découflé est attentif à l’individualité artistique de ses interprètes, choisis avec un instinct curieux et précis, il aime à cultiver les différences, ce qui paraît hors propos ou ce que l’on pourrait qualifier de « moche » devient toujours beau. S‘il faut pinailler, on admet que « Stéréo » souffre parfois de quelques longueurs dans sa première partie, pourtant il est impossible de ne pas être enchanté par l’enthousiasme de cette parfaite unité artistique. L’instant est toujours aussi ébouriffant et remuant, un spectacle total.

    LC

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  • Solstice par la compagnie Blanca Li au Théâtre National de Chaillot, jusqu'au 13 octobre

    blanca li,pierre attrait,yann arthus-bertrand,charles carcopino,tao gutierrez,laurent mercier,théâtre national de chaillot,yacnoy abreu alfonso,peter agardi,rémi bénard,jonathan ber,julien gaillac,joseph gebrael,iris florentiny,yann hervé,aurore indaburu,alexandra jézouin,pauline journé,margalida riera roig,gaël rougegrez,yui sugano,victor virnot,léa solomon,bachir sanogoPeut-être que Blanca Li a le même sentiment : la création chorégraphique a atteint ses limites. L’invention même du mouvement commence à se cogner aux quatre coins  du corps humain, il est de plus en plus fréquent d’avoir cette sensation comme si l’histoire se répètait un peu trop souvent en matière de danse contemporaine… La chorégraphe Blanca Li est différente, elle part au delà du mouvement, ne craignant pas d’abolir les frontières entre les genres, elle permet à la danse contemporaine de franchir les obstacles élitistes dressés par les aficionados du genre : « Solstice » à Chaillot le démontre à nouveau.

    Au départ, Martha Graham, Alvin Ailey et le hip-hop ont abreuvé les sources de la belle andalouse. La science du mouvement aussi vite dépassée, il a été question pour Blanca Li de dire des choses, des choses telles qu’elles sont, des choses sur le temps qui passe, des choses de la rue, des choses qui claquent, des choses de la vie en somme. Ce talent pour ce monde solaire, Blanca Li le projette dans des univers contrastés, des planches du Metropolitan Opéra au dernier clip publicitaire de Beyoncé. Blanca Li crée, comme une enfant qui dessine des paysages au stylo feutre avec cette sorte d’élan enchanté, une naïveté tendre infiniment attachante et une volonté farouche !

    Pour « Solstice », véritable ballet « engagé », le mouvement demeure essentiel mais il n’est que la composante d’une expression radicale qui se fond dans la musique et dans des chants envoûtants. La chaleur du soleil d’Afrique se confronte aux Océans déchaînés (filmés par Yann Arthus-Bertrand pour Human), et le ciel, un ensemble de tulles aériens, qui capte la lumière, n’a de cesse de venir mourir et renaître sur la Terre.

    Et puis il y a les danseurs, des danseurs-acteurs qui se débattent entre les éléments. Expressifs et épanouis, les personnalités fortes qui forment la compagnie de Blanca Li ne sont jamais gommées. C’est un déchaînement, du vent, des déserts, des tempêtes et des vagues pendant que le rétrécissement désespéré de la banquise se fait entendre à grands coups de percussions, la musique de Tao Guitierrez grave le ballet dans une matière brute. L’Humanité est en péril, Blanca Li nous le crie par sa danse. Inévitablement, de cette grande fresque écolo il est possible de tisser des liens avec les ballets de Béjart : l’engagement sincère, un certain goût pour la lutte, la synthèse du chant et de la danse, une sorte de mysticisme, une danse métissée et recherchée aux confins des danses tribales, et enfin le souci de plaire à un très large public. 

    A la fin du spectacle, Blanca Li invite son public à danser... Il était temps, dans les rangs du public de Chaillot, certains se trémoussent déjà sur leur fauteuil. A croire que la danse n’est finalement qu’un prétexte pour laisser libre cours à la générosité magnifique de Blanca Li. 

    Laurence Caron

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  • Noé, Malandain Ballet Biarritz au Théâtre National de Chaillot

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    Les Ballets de Biarritz sont à Paris. Depuis le 10 mai et jusqu’au 24 mai, Thierry Malandain présente la création « Noé ». En mélomane inspiré le chorégraphe accompagne son oeuvre par La Messa di Gloria de Rossini sur le plateau du Théâtre National de Chaillot jamais quitté par vingt-deux danseurs, archi talentueux, pendant près d’une heure trente. 

    ballet de biarritz,rossini,thierry malandain,theatre national de chaillot,Le très prolifique chorégraphe français est animé par tout ce qui est grand - Don Juan, Roméo et Juliette, Lucifer, Le Portrait de l’Enfante, Orphée et Eurydice, L’après-midi d’un faune - entre autres nombreuses créations depuis 1984, et particulièrement par ce qui est mythique notamment avec L’Envol d’Icare, une commande réalisée pour le Ballet de l’Opéra national de Paris, en 2006. 

    Un long banc occupe la profondeur de Chaillot, scène mythique aussi, résolument acquise à ce qu’il se fait de mieux en matière de danse contemporaine. Les danseurs y glissent d’un bout à l’autre dans une alchimie rythmée. Au sol un bleu pacifique et tout autour des vagues de perles bleues enveloppent des interprètes athlétiques et gracieux. Très heureusement, le mythe du déluge n’a pas l’intention de figurer un cortège d’animaux rescapés, Malandain emmène son propos bien au delà, il est question d’une « humanité en mouvement »...  

    Les amateurs se régalent. Malandain dresse un panorama à 360 du mouvement néo-classique. Il y a des poignets noués frappant le plat des cuisses qui rappellent les accents dramatiques de la démente Gisèle de Mats Ek, des ensembles frénétiques échappés du somptueux Sacre du Printemps de Pina Bausch, et des avancées qui se forment et respirent à l’unisson, au son de chants lyriques, comme dans la désormais très classique Neuvième de Béjart. Quelle époque ! La danse est un éternel recommencement comme la musique, toute l’Histoire de l’Art en somme.
    Rien de nouveau sous le soleil donc, sauf que, libérés de cette technicité inventive du 20ème siècle révélée sans contexte par l’impulsion créatrice de Ninjinski, les danseurs de Malandain apparaissent être des créateurs à leur tour et apportent une interprétation magnifique et radicalement contemporaine. L’enseignement atteint la perfection dont il faut prendre de la graine (d’Etoiles). Les personnalités se distinguent les unes des autres. C’est beau et vraiment intéressant même s’il est parfois difficile de capter son attention à la fois sur le mouvement et sur les voix enregistrées, le regard et l’ouïe se font une concurrence acharnée. 

    Noé de Malandain est assurément une anthologie du mouvement pour qui a soif d’exaltation chorégraphique. A apprécier.

    Laurence Caron

    (photo Olivier Houeix) 

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  • Jiří Kylián et le Ballet National de Norvège, jusqu'au 24 septembre au Théâtre des Champs-Elysées

    jiri kylian,ballet national de norvège,transcendanses,théâtre des champs elysées,laurence caron-spokojnyArchi-productif avec près d’une centaine de création depuis 1970, le chorégraphe tchèque Jiří Kylián a fait ses armes au Royal Ballet School de Londres avant de rejoindre le Ballet de Stuttgart (John Cranko) où il devient chorégraphe en1968. En 1975, Jiří Kylián est co-directeur artistique du Nederlands Dans Theater à La Haye, sa création La Symphonie des Psaumes le projette sur la scène internationale. 

     

    jiri kylian,ballet national de norvège,transcendanses,théâtre des champs elysées,laurence caron-spokojnyL'époque extrêmement créative est imprégnée notamment par les créations de Jérôme Robbins et Maurice Béjart, toute la danse se voit transformée, sur l’empreinte indélébile de Nijinsky, l’ère des grands chorégraphes contemporains a commencé …

    Avant d’entrer à l’école de danse de Prague, Jiří Kylián était un petit acrobate de 9 ans, ce goût pour le saut et la contradiction articulaire ne semble pas l’avoir quitté. Pour trois soirs au Théâtre des Champs-Elysées, le Ballet National de Norvège s’est emparé de trois œuvres du chorégraphe et il s’exprime dans ce qui se perçoit comme une grande liberté de mouvements. La gestuelle se délie, les corps se coulent entre eux, s’entrelacent, ne se cognent jamais, tout est fluide. Le néo-classicisme de La Symphonie des psaumes, ses envolées de diagonales et pas-de-deux tendres et romanesques, sur un fond riche de tapis persans majestueux, et, cette interprétation plus abstraite mais si théâtrale de Belle Figura qui se joue entre la sensualité poétique du corps et un humour enfantin à grands effets de jupons rouges et de corps abandonnés, révèlent un esthétisme incontestable renforcé par un sentiment de sérénité. Et même, dans Gods and dogs, instant qui se voudrait plus sombre, sur ce rideau d'argent qui rythme la course d'un grand chien étrange, lorsque Jiri Kylian dévoile une part de notre vulnérabilité : «On ne peut pas prétendre à un quelconque développement positif sans une bonne dose de folie» (Jiří Kylián à propos de Gods and Dogs), il n'y a pas d'angoisse encombrante, juste un questionnement humain.

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    Les pièces chorégraphiques de Jiří Kylián ne proposent pas uniquement une chorégraphie aux intentions abstraites : la mise en scène des corps sophistiquée, les costumes d'étoffes soyeuses et pures, les décors essentiels, les choix musicaux recherchés et la très belle mise en lumières, composent un voyage vers un univers à chaque fois différent, même si la signature du Maître est reconnaissable, la destination n’est jamais la même. Jiří Kylián transmet chacune de ses créations à la manière des Contes de Milles et Une Nuit avec la simplicité d'un conteur à chaque fois renouvelée. Merveilleux !

     Laurence Caron

    S'informer et réserver ses places pour la suite de Transcendanses, ICI

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  • « La danse du diable » de Philippe Caubère : l'art diabolique !

    philippe caubère,maurice béjart,jean babilée,théâtre de l'athénée,la danse du diablePhilippe Caubère est un comédien hors normes…n’est-ce pas ce qui est souhaitable pour un artiste ? Concentré, sensible et grandiloquent, le comédien est absorbé par le cheminement de l’histoire qu’il raconte, et par le souffle qu’il déchaîne pour donner vie à chacun de ses personnages, tant et si bien que parfois, il semble oublier un peu son public… La salle du Théâtre de l’Athénée est comble, un public déjà conquis s'abandonne à son idole. Philippe Caubère articule un show diabolique, le spectacle porte terriblement bien son titre « La danse du diable ».

    Le comédien est seul en scène, fantasque et inconséquent, il s’exhibe, il bouscule, il s’offre totalement. Il étend ses bras et franchit d'un pas la scène, il embrasse et embrase l’espace ; s’il le pouvait, il viendrait bouffer l’oxygène de la salle dans son entier et pourquoi pas le public par la même occasion !
    Vorace, il est un monstre, indomptable, inépuisable, un animal sauvage au jeu de scène sophistiqué, à aucun moment il ne lâche son auditoire, il est partout, même lorsqu’il échange un accessoire ou un costume, il ne quitte pas les planches. En une esquisse finement griffée, il rattrape l’attention qui parfois tente de s’égarer lors de ces plus de trois heures de spectacles... C'est un débordement génial, trop de mots, trop de gestes, trop d’émotions, trop de rires, trop d’étonnements, et trop, bien trop long... 

    philippe caubère,maurice béjart,jean babilée,théâtre de l'athénée,la danse du diableMarathonien du drame et de la drôlerie, il avance, force monumentale, sorte de bulldozer littéraire, il dessine sans retenue un langage recherché composé de fines observations, d'une prose existentielle, d'un militantisme idéologique, de la poésie de l’enfance ou de profondeurs abyssales ponctuées de quelques superficialités inattendues.
    Philippe Caubère est Le Molière d’Ariane Mouchkine, le plus bouleversant, celui qui restera à jamais inégalé, il est aussi un metteur en scène et un très grand auteur. Résolument engagé dans ses actes et choix artistiques, il est autant contestataire que provocateur s’il juge la cause nécessaire.

    Depuis plus de trente ans « La danse du diable » rebondit entre cour et jardin, inonde les parterres de spectateurs enthousiastes ; au fil des improvisations du comédien, la matière brute se lisse ou s’effrite, s’affine ou s’épaissie. La scène est toujours trop étroite pour Caubère, le public n'est jamais assez nombreux, à l’image d’un Johnny Halliday pour qui il dessine des instants cultes : offrons-lui un stade ! Il est un immense comédien, sa technique de jeu irréprochable le maintient dans une certaine mesure (heureusement), il s’emporte, il ne s’arrête jamais, il a tant de choses à dire, tant de choses à montrer, et puis il est tellement libre !
    Le monde est trop petit pour Philippe Caubère et peut-être que le temps l’est aussi : le comédien dédie cette « Danse du diable » à Jean Babilée qui interpréta « Le Jeune Homme et la mort » (Maurice Béjart) plus de 200 fois, il créa ce ballet à 20 ans et il le dansa encore à plus de 60 ans…

    Laurence Caron-Spokojny

    « La Danse du Diable évoque autant qu’elle raconte, car c’est un spectacle comique et fantastique, c’est-à-dire poétique, l’enfance et l’adolescence d’un enfant du pays provençal, Ferdinand Faure, dans les années 1950 à 1970. Les Chartreux, Saint-Louis, le parc Borély, et même le château de Picasso à Vauvenargues en sont les "décors". Bien connus des Marseillais, ils seront découverts par les autres. De Gaulle, Sartre, Mauriac, Malraux, Johnny, Roger Lanzac, Lucien Jeunesse, Gaston Defferre, François Billoux, "Souliounoutchine", la panoplie des stars de ce temps-là sera au rendez-vous. La Danse du Diable, c’est surtout le portrait de Claudine Gautier ("nom de jeune fille…"), mère de l’auteur et de son double imaginaire, qui mène tout le monde, le récit et la représentation elle-même, à un train d’enfer et sous sa férule impitoyable, son imagination débordante, son bagout intarissable. On verra aussi que l’histoire était finalement plus triste qu’on aurait pu l’imaginer d’abord, quand on aura compris que cette logorrhée joyeuse n’était que la course à perdre haleine contre le seul adversaire qui finit pas toujours gagner : la mort ! »

     

    [Philippe Caubère, le 1er juillet 2013]
    La Danse du Diable a été créée le 3 mars 1981 au Ciné Rio de Bruxelles, dirigé par Stéphane Verrue et Christian Baggen.

     

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  • La Pastorale jusqu’au 19 décembre au Théâtre National de Chaillot

    thierry malandain,ludwig van beethoven,jorge gallardo,françois menou,ballet biarritz,chaillot,thÉÂtre national de la danse,nijinsky,bejartQuadrillé de barres métalliques, le décor graphique de la scène de Chaillot revendique une nouvelle fois toute sa contemporanéité. Ici, la danse avance, vigilante aux mouvances de l’art de la chorégraphie sans jamais ignorer la création made in France, bien au contraire. Thierry Malandain fait partie de ce formidable élan, il vient d’ailleurs d’être nommé à l’Académie des Beaux-Arts, section chorégraphique, aux côtés de Blanca Li et Angelin Prejlocaj. En 2017, le ballet Noé avait reçu le prix de la « meilleure compagnie » par l’Association professionnelle de la critique de théâtre, de musique et de danse. A cette époque La Messa di Gloria de Rossini avait guidé l’inspiration du chorégraphe, pour cette fois Beethoven est le grand inspirateur,  la Symphonie n°6 en fa majeur, opus 68, dite La Pastorale, composée entre 1805 et 1808, est l’occasion de fêter le 250ème anniversaire de la naissance de l’inventeur du romantisme.

    Avant son retour à la Gare du Midi de Biarritz, les 28 et 29 décembre prochains, et la création mondiale à l’Opéra de Bonn le 23 décembre, La Pastorale est en avant-premières exceptionnelles à Chaillot. Les vingt-deux danseurs du Ballet de Biarritz se sont frayés un chemin, dans un Paris pollué, vrombissant et klaxonnant, pour montrer toute l’expressivité esthétique de la nature.

    « Aujourd’hui, la nature n’est plus seulement synonyme de rêverie…, elle est devenue une urgence » Thierry Malandain.

    Collés ou noués, sortes de chrysalides extirpées d’un maillage aux reflets froids, les danseurs de Malandain sont athlétiques, les jambes et les coups de pieds s’enroulent comme des rubans et se tendent comme des arcs pendant que Beethoven couvre Chaillot d’un ciel orageux, sombre et menaçant. Le Ballet de Biarritz se décline en solo, duo, trio et groupes dans un rythme soutenu, aucune hésitation, aucune errance, l’intention du chorégraphe est forte et ses danseurs lui rendent à force égale. Les jeunes interprètes racontent une danse rigoureuse, la discipline de la danse classique ne lâche rien et dessine une chorégraphie d’une grande précision. Une attention toute particulière est donnée par les lumières de François Menou, les tableaux se suivent comme des clichés photographiques. Les costumes signés Jorge Gallardo accentuent cet effet esthétique soigné et sophistiqué.

    Puis, une transformation s’opère, radicale, les carrés dessinés par les barres d’acier montent dans les cintres, le jour se lève ou les nuages se dissipent, une clarté éblouissante comme un matin de printemps illumine le plateau. Les danseurs abandonnent au sol de lourds costumes aux basques baroques, débarrassés de leurs cocons, ultimes mues, une métamorphose magique et mystique s’opère. Il s’enchaîne une danse qui semble être échappée de la gravure d’un vase étrusque, une joyeuse danse de Ménades et rondes dionysiaques tournoyantes. Il y a une confusion entre les filles et les garçons, fondus dans d’aériennes tuniques de voiles, le ballet célèbre autant la nature que la jeunesse.

    Ce changement de saison se révèle être une nouvelle naissance, les interprètes apparaissent tout à fait dépouillés en justaucorps de chair. C’est une sculpture ciselée ou un modelage de terre cuite qui s’anime, toujours sur un rythme effréné, épousant la musique et faisant mine de s’abandonner définitivement à la toute puissante nature.

    Le jeune danseur Hugo Layer bouleverse par la délicatesse de sa danse, ce sont des mains qui s’élancent comme les ailes graciles d’un papillon qui se déploient pour la première fois ou bien des bras qui s’envolent comme poussés par un vent tourbillonnant. Toute cette fragilité de la vie ressentie et suspendue aux étapes d’une transformation s’oppose aux énergiques Frederik Deberdt et Arnaud Mahouy qui forment un duo fantastique.

    Évidement Nijinsky veille au grain, le Prélude à l’Après-midi d’un Faune ou Le Sacre du Printemps ne sont pas loin et on retrouve avec gourmandise ces visages qui se tournent de profil, ces déplacements latéraux et ces rythmes marqués. Maurice Béjart aussi n’est pas en reste, en 1964 il avait fait naître, ce qu’il désignait comme un « concert-dansé », un ballet éponyme créé sur la Neuvième Symphonie de Beethoven. Des inspirations que l’on traduit ici comme des hommages à ceux qui ont été à l’origine de la danse contemporaine d’aujourd’hui et pour laquelle Thierry Malandain inscrit à son tour sa marque.

    Les 17, 18 et 19 décembre, ce sont les trois prochaines dates à Chaillot pour un ballet qui n’a pas fini de faire parler de lui ; à pieds, à deux ou trois roues, voici un spectacle qui mérite de traverser Paris, une récompense largement à la mesure de vos efforts !

    Laurence Caron

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  • « La leçon » au Théâtre de la Madeleine

    théâtre du corps,julien derouault,marie-claude pietragalla,théâtre de la madeleine,eugène ionesco,christophe rendu,alexis david,manon chapuis,solène ernaux messina,amelie lampidecchia,carla béral,robin sallat,antonin munoDepuis sa première représentation en 1951, « La leçon », une des premières pièces d’Eugène Ionesco, est jouée sans jamais s’interrompre -juste après La cantatrice chauve- au Théâtre de la Huchette depuis 1957 ! Cette fois-ci les mots d’Ionesco, totalement sarcastiques et absurdes, se transforment en une comédie dansée sous l’impulsion des chorégraphes et metteurs en scène Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault, sur les planches du Théâtre de la Madeleine.

    Peu courante et souvent mal considérée par la critique traditionnelle, spécifiquement en France, la confrontation des disciplines sur une même scène est une véritable prise de risque. Mais, l’Etoile Marie-Claude Pietragalla, nourrie de travail et de passions, et l’artiste, danseur et comédien, Julien Derouault, en ont fait leur credo en créant la compagnie Le Théâtre du Corps (Alfortville, 94). Ce centre de recherche artistique sur le sens, l’expressivité et la théâtralité du mouvement a notamment pour vocation de prolonger l’intention chorégraphique par la voix. Pour « La leçon » le texte théâtral apparaît ainsi de la façon la plus naturelle qui soit, soutenu par une technique précise, très savamment orchestrée, les danseurs ne semblent jamais perturbés ou même essoufflés par leurs prises de parole. Pourtant la danse est tendue, énergique et rapide. Cette danse ardente a quelques intentions chorégraphiques très voisines de celle proposées par Carolyn Carlson, difficile d’y échapper et de ne pas être marqué tant la création de Don’t look back, pièce intense signée Carslon créée en 1993 pour Pietragalla, a été une rencontre puissante. Un de ces événements magiques et exceptionnels pour lesquels on ne sait plus ‘qui influence qui ?’, cette espèce de choc intime aux frontières effacées entre la création et l’interprétation, comme cela a été le cas entre Maurice Béjart et Patrick Dupond pour la création de Salomé en 1986...

    Pour « La Leçon » je parie que le public ne s’y trompera pas et sera au rendez-vous proposé par le Théâtre de la Madeleine jusqu’au 3 décembre 2022. Eugène Ionesco aurait certainement adoré que ces mots soient dits et interprétés par toutes les fibres du corps humain. Voilà que l’extravagant et savant esprit de l’auteur s'exprime par les corps, ce sont des bras et des jambes qui s’élèvent en angles vifs, et des mains et des pieds qui écrivent eux aussi, une écriture vive et déliée, ou bien s’envolent en rythmes follement accélérés presque hypnotiques. La chorégraphie semble si intiment liée et si évidente qu'elle s’oublie derrière le génie de l’auteur, Ionesco se fond en un fantastique marionnettiste dont l’ombre fantomatique se superpose à celle de Julien Derouault, le professeur fantasque emporté par sa folie meurtrière. Puissant et virtuose, Julien Derouault est remarquable, le danseur emmène à sa suite les énergiques jeunes danseurs du Théâtre du Corps. Son élève, Manon Chapuis, terriblement talentueuse, ne craint pas de se confronter à son aînée en affichant une danse intense et poétique dont le reflet du caractère volontaire de Marie-Claude Pietragalla n’échappera à personne… Et puis il y a l’humour, grinçant et fin, Julien Derouault excelle en la matière, notamment lors de cette parodie du pas de deux de Gisèle : moment unique ou l’esprit s’échappe un temps pour aller chercher les images de la formidable et bouleversante Odile de Pietragalla en 1993, lors de l’entrée au répertoire du Gisèle de Mats Ek à L’Opéra de Paris.

    Bref, « la leçon » d’Eugène Ionesco est aussi celle de Marie-Claude Pietragalla et de Julien Derouault, un spectacle rare, ou l’intelligence et le divertissement se côtoient sans souffrir d’aucune comparaison.

    Laurence Caron

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  • Beaver Dam Company – Edouard Hue, à la Scala jusqu'au 28 janvier

    edouard hue,jonathan soucasse,alfredo gottardi,eli hooker,jaewon jung,lou landré,tilouna morel,rafaël sauzet,angélique spiliopoulos,yurié tsugawa,mauricio zuñiga,sigolène pétey,david kretonic,diane segui,hugo roux,laetitia gex,la scala,all i need,shever Comme deux feuilles soulevées par le vent, deux corps se dispersent d’une façon qui semble aléatoire, puis fusionnent, pour s’éloigner à nouveau et encore s’entrechoquer, se rassembler. Les dos se courbent comme les boucles d’une écriture tracée à la plume, les pieds se rentrent pour protéger l’intime et les mains se cassent pour mieux attraper l’autre, les épaules et les genoux se déboitent, les cages thoraciques se font tambours… "Shiver" est un frisson, le titre est d’une grande justesse pour décrire ce pas de deux amoureux aux abandons poétiques et au romantisme absolu, impossible de ne pas penser aux envolées lyriques du chef de file Angelin Preljocaj… Sauf que chez Edouard Hue le néo-classicisme est éloigné, ici tout est résolument contemporain. Et d’ailleurs, ce moment de danse proposé par La Scala donne envie de revendiquer haut et fort : enfin du neuf !

     

    Le chorégraphe Édouard Hue avance à la vitesse de la lumière. Du haut de sa petite trentaine, ses chorégraphies, propulsées par sa compagnie franco-suisse Beaver Dam Company, commencent à se faire sacrément remarquer. Éveillé à la danse sur les bancs du conservatoire d’Annecy, il est entré au Ballet Junior de Genève, puis il n’a pas attendu de permission pour prendre le large et multiplier ses rencontres  notamment à Londres à la Hofesh Shechter Company (Uprising et Political Mother), avec Damien Jalet (Gravity Fatigue) ou Olivier Dubois (Tragédie et Prêt à Baiser) au Centre chorégraphique national de Roubaix. Ses interprétations en tant que danseur le stimulent, il travaille avec James Wilton, Marine Besnard, József Trefeli et Giuseppe Bucci, naturellement il devient chorégraphe et fonde sa compagnie en 2014 pour enchainer à un rythme d’une création par an. Le jeune chorégraphe se balade déjà dans le monde entier ; en 2021 en France, Brigitte Lefèvre inscrit « All I need » au programme du Festival de Cannes, puis la pièce est programmée à La Scala, c'est aujourd'hui. L'événement est vécu comme un privilège avant qu'Edouard Hue ne soit happé par de plus grands plateaux.

    « All I need » vient juste après « Shiver ». La première pièce a créé une magie dans la salle, comme si le public avait assisté en catimini à un spectacle trop personnel pour être montré. Dans cette atmosphère particulière, « All I need » découvre des danseurs choisis pour leurs personnalités fortes et différentes, comme  Maurice Béjart ou Pina Bausch l’ont influé il y a plus d’un demi-siècle. Ce sont des interprètes puissants et riches de propositions. On a bien compris que le travail chorégraphique d’Edouard Hue implique le corps tout entier et même au-delà. Les danseurs sont aussi des comédiens, l’un ne va pas sans l’autre logiquement, mais pour cette fois la tragi-comédie paraît autant assumée que la danse. Cette danse-théâtre permet de faire contribuer toutes les ressources des artistes, tous très talentueux.

    L’instant est politique, la fresque est une critique acerbe, méritée et d’une actualité brûlante. Pour supporter cette page sombre, Edouard Hue use d’un humour enfantin et nous l’en remercions. Cet humour est perçu comme une politesse élégante mais aussi comme un signe d’espoir, nécessaire. Dans l’impulsion créative de cette jeunesse sans concession, il y a incontestablement un phénomène générationnel, comme pour les créations de (La) Horde avec le Ballet national de Marseille, il se passe quelque chose d’important, un reflet du monde mué par une lucidité terriblement aiguisée. C'est à voir, immédiatement.

    Laurence Caron

    Photo : David Kretonic

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  • EVITA, LE DESTIN FOU D’EVA PERÓN, AU POCHE-MONTPARNASSE

    AFF-EVITA.jpgDes couches de volants dont les sud-américaines raffolent et des froufrous hollywoodiens ornent une fantastique robe blanche. Ces volutes de tulles et mousselines couvrent tout l’espace scénique autour d’un bustier fixe, carcan ostentatoire ou uniforme cérémoniel, l’apparition fantasque s’anime comme la danseuse d’une boîte à musique, une Olympia des Contes d’Hoffmann dont la mécanique rigide ne parvient pas à contenir le flot des émotions...  Sebastiàn Galeota, l’artiste argentin, s’est glissé dans ce costume pour métamorphoser Eva, la jeune fille de la pampa, en Evita.

    Eva Duarte n’a pas quinze ans quand elle fuit son village. La jeune fille ambitieuse a l’intention de franchir les échelons de la société. Elle devient actrice notamment en prêtant sa voix à des campagnes radiophoniques. Consciente de sa beauté, elle teint ses cheveux en blond, adoptant définitivement l’adorable naïveté d’une Marilyn, qui plait tant aux hommes, et la séduction manipulatrice d’une héroïne Hitchcockienne.

    Même si elle s’en colle partout, Eva est nullement éblouie par les paillettes, la future madone argentine conserve son objectif, elle observe et apprend vite. Faisant fi de l’oligarchie régnante, elle constate que le véritable pouvoir est politique. Un défi qu’elle remporte en épousant Juan Perón en 1945, un militaire hautement gradé qui deviendra quelques mois plus tard le premier Président de la nation argentine à être élu au suffrage universel.

    L’Argentine entre toute bouillonnante de sa politique sociale dans les années 50 : congés payés, dimanche, retraite, santé, éducation, laïcité… Eva Perón y joue un rôle indiscutable, vénérée ou détestée, elle est adoptée par le peuple et rallie les milieux populaires. Faire-valoir de la propagande travailliste, sa voix se diffuse sur les ondes radiophoniques et trouve toute sa résonnance dans les cœurs des descamisados (les sans-chemises).

    La jeune femme fascine le monde, sa forte personnalité l’emporte sur ses contradictions. Tout en consacrant un budget conséquent à ses robes et bijoux, elle défend l’égalité en droit matrimonial, obtient le droit de votes aux femmes argentines, et ... encourage l’ouverture de la route des rats - les opérations d'exfiltration des nazis vers l’Argentine -  ce qui permet au pays d’empocher des milliards.

    En 1952, elle a seulement 33 ans : le règne mythique, de celle que les argentins désignent comme chef spirituel, prend fin, foudroyée par un cancer. L'Argentine reste inconsolable.

    Sebastiàn Galeota, le comédien et danseur argentin, a certainement hérité de cette passionaria. Son association artistique avec l’auteur et metteur en scène Stéphan Druet est d’une redoutable efficacité.

    En 2018, Stéphan Druet, après avoir créé L‘Histoire du soldata été récompensé par le Molière du meilleur spectacle musical. Le texte Evita, Le destin fou d’Eva Perón qu'il a composé est admirablement dosé, tout semble essentiel, et puis il a cette élégance de traiter de la gravité des choses sur le ton du divertissement. Ici, la culture du cabaret vit de grandes heures, l’instant est tragique mais il est dit avec humour, une légèreté attentive, une politesse en somme.

    L’Argentine tient ses quartier d’hiver au Poche-Montparnasse  

    Les expressions et le maquillage forcés, l’ampleur des mouvements de bras et la démesure du costume font évidemment penser à l’expressionnisme coloré d’Alfredo Arias, l’Argentine est un pays qui se transmet. La fluidité de la scénographie, presque chorégraphique - la formation de danseur de Sebastian Galeota est un outil précieux - va jusqu’à faire palpiter les tempes du comédien. L’illusion est parfaite. Assurant un port de tête d’une fierté incontestable, le comédien fait rayonner tout autour de lui les sentiments d’Evita. En œillades ravageuse et envolées de bras, la voix forte rythmée par d’indispensables accents argentins, Sebastian Galeota transforme le public en masse populaire argentine, l’expérience est quasi schizophrène ; tout  comme lui, le public du Poche-Montparnasse est hypnotisé, effrayé ou charmé.

    Aussi, la performance du tragédien ne pose pas la question du genre : garçon ou fille, cela n’a aucune espèce d’importance, l’instant est voué à l’interprétation absolue, Sebastiàn Galeota est Evita. En le découvrant ainsi, j’ai pensé au Salomé de Maurice Béjart, le génial solo créé pour Patrick Dupond (1985)… Solo pour lequel seules de rares extraits vidéo existent et qui ne sera plus jamais dansé. Ce caractère éphémère du spectacle a le don unique d’habiter nos mémoires et de s’y ancrer ; comme la jeune Eva qui a su user de ce pouvoir magique pour créer Evita et devenir immortelle, presque un personnage de roman.

    Mais on ne quitte pas le Poche-Montparnasse comme ça ! Il faut se promettre d’y revenir, peut-être la prochaine fois, sans aucun doute pour Michel for ever, et y retrouver Sebastiàn Galeota et Stéphan Druet.

    Laurence Caron

    Avec Sebastiàn Galeota, écrit et mis en scène par Stéphan Druet.

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