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  • L'infaillible beauté du mouvement dessiné par Angelin Preljocaj dans «Retour à Berratham » au Théâtre National de Chaill

    Angelin Preljocaj,Laurent Mauvignier,Retour à Berratham,Emma Gustafsson,Niels Schneider,Laurent Cazanave,Cécile Giovansili-Vissière,théâtre national de chaillot,Adel Abdessemed,Cette année, la création d’Angelin Preljocaj «Retour à Berratham» a été présentée dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes du Festival d'Avignon. À son tour, le Théâtre National de Chaillot invite, jusqu’au 23 octobre, l‘œuvre tripartite du chorégraphe Angelin Preljocaj, de l’écrivain Laurent Mauvignier et du plasticien Adel Abdessemed.

    « L’histoire débute là où une pièce de guerre se terminerait », écrit Laurent Mauvignier. Aux yeux d’Angelin Preljocaj, il s’agit surtout d’une quête, celle de ce jeune homme qui revient à Berratham à la recherche de celle qu’il aime, Katja. Il ne reconnaît plus rien. Et en cherchant Katja, il se retourne sur son enfance, son passé. 

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    Les sentiments palpitent, s’enchaînent et se déchaînent, à très grande vitesse en temps de guerre, les Hommes se retranchent dans leurs instincts les plus vils ou bien ils s’approchent du sublime. Le sujet est hélas à conjuguer au passé, au présent, mais aussi au futur. Les Hommes n’ont pas fini d’en découdre, et les grands artistes sont là pour nous faire partager leur regard sur le monde. «Retour à Berratham» est dans cette veine, une tragédie que l’on souhaiterait uniquement contemporaine…

    La première collaboration entre l’écrivain Laurent Mauvignier et le chorégraphe Angelin Preljocaj date de 2012  (« Ce que j’appelle oubli »). Laurent Mauvignier est un habitué du genre, le drame, la guerre, rien ne l’effraie et il aime à disséquer par des phrases longues, torturées et sincères, les dégâts humains. Sur le même propos, Angelin Preljocaj bien qu’il soit né en France, semble se faire l’écho, dans une grande partie de sa création, des atrocités de la guerre, une sorte de résilience en somme, certainement liée à l’histoire subie par le peuple albanais dont sa famille est issue.

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    Sur le fond noir et lumineux de Cécile Giovansili-Vissière, le plasticien Adel Abdessemed enveloppe danseurs et comédiens dans une scénographie graphique aux lignes métallique, à la fois cages d’acier, barrières glissantes et hautes frontières. Le propos est d’une violence extrême dans sa représentation plastique autant que par ses mots. Les mots dénués de fioritures de Laurent Mauvignier, ce sont Laurent Cazanave et Niels Schneider qui les appuient et les timbrent par leurs voix fortes et articulées, et, l’intense Emma Gustafsson, habituée du Ballet Preljocaj, saisie son auditoire par son accent froid et sonore.
    Il s’agit donc de Théâtre ? ! Pas tout à fait, une œuvre contemporaine certes mais qui renoue aussi avec une tradition du spectacle, plus ancienne, celle de la tragédie antique. Angelin Preljocaj tisse un lien savant entre les arts. Parfois, le spectateur bousculé, s’égare, troublé par trop de perceptions, trop de phrases peut-être, il y a tellement de choses à voir, à écouter, à ressentir. Ce bouleversement désordonné semble être nécessaire comme un fait exprès souhaité par Preljocaj, on accepte de lui faire confiance.

    Car, malgré le propos très sombre, le chorégraphe fascine par sa proposition toujours poétique et aérienne du mouvement. Les fantômes malveillants n'assombrissent en rien l'esthétisme du chorégraphe et c’est heureux ! Les caractères beaux, forts et variés du Ballet Preljocaj glissent avec ce naturel si particulier sur le plateau de la Salle Jean Vilar, c'est une interprétation sensible, les danseurs sont exceptionnels. La chorégraphie de Preljocaj reste musicale et patiemment renouvelée : des pas de deux déliés d’une grâce incomparable et des groupes symphoniques, terriblement envahissants, ou poignants comme ce chœur de femmes qui dessine d’un même élan une sorte de dignité tragique.   

    Les dommages collatéraux des guerres et les affres de cette Humanité qui hésite encore à effacer ses frontières physiques, sociales ou morales, tout cela est dit en une seule œuvre. La charge est lourde. Mais rien, absolument rien, ne distrait le chorégraphe, peut-être même malgré lui, Angelin Preljocaj représente toujours ce qu’il y a de plus beau dans notre monde.

    Laurence Caron-Spokojny

    Crédits :
    © Jörg Letz - www.joerg-letz.com
    © Adel Abdessemed, ADAGP Paris - Retour, 2015 - 184 x 130 cm - Pierre noire sur papier
    © JC Carbonne

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  • WINTERREISE (Voyage d’hiver) d'Angelin Preljocaj au Théâtre des Champs Elysées, et Body and Soul de Crystal Pite à L'Opé

    productions internationales albert sarfati,transcendanses,théâtre des champs-elysées,angelin preljocaj,franz schubert,thomas tatzl,james vaughan,constance guisset,eric soyer,danse contemporaineEn 2019, Crystal Pite crée Body and Soul pour le Ballet de l’Opéra de Paris, cette même année Angelin Preljocaj imagine Winterreise Voyage d’hiver initialement pour le Ballet de La Scala de Milan puis avec sa compagnie lors du Montpellier Danse. En ce début d’année 2022, attendu avec ferveur, le premier est repris à l’Opéra Garnier jusqu’au 20 février tandis que le second vient de triompher pour quatre représentations exceptionnelles au Théâtre des Champs-Élysées.

    Winterreise voyage d'hiver Ballet Préljocaj  (photo Jean-Claude Carbonne)

    Le crépuscule des Dieux…

    Depuis le Planet Wanderer du duo Damien Jalet / Kohei Nawa à Chaillot en septembre 2021, Body and Soul et Winterreise voyage d'hiver sont les deux créations chorégraphiques immanquables de la saison, toutes trois ont en commun un esthétisme crépusculaire infiniment sophistiqué.

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    Ces derniers temps, il faut bien avouer que nous tournions un peu en rond à se demander si la danse contemporaine ne se répétait pas un peu… Puis, un miracle s’est produit, enfin plutôt trois. Après tout, au sens littéraire, le crépuscule désigne (cf.Larousse: ce qui décline, ce qui est proche de disparaître. J'interprète cela comme un passage, éclairé par une lumière à densité variable, dont les talents de ces Maîtres-ses de la chorégraphie indiquent la direction à prendre…  

    Crystal Pite, la magicienne

    Les Étoiles, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet de l'Opéra de Paris sont dans leur élément, leur formation de haute volée, leur énergie et leur jeunesse ont pleinement de quoi éclater. Les tableaux regroupés en trois actes s’enchaînent, courts et précis. Solos et pas-de-deux, guidés par la voix froide et détachée de Marina Hands, contrastent avec l’émotion de la danse qui glisse sur l’air comme au sol avec une infinie fluidité. Cette même fluidité, incomparable jusqu’alors dans le langage chorégraphique, fait déferler les 36 danseurs en vagues savamment liées à moins que cela soit des nuages de feuilles soulevées par le vent. théâtre des champs-elysées,angelin preljocaj,franz schubert,thomas tatzl,james vaughan,constance guisset,eric soyer,danse contemporaine,productions internationales albert sarfati,transcendansesL’individu naît du collectif, ou bien l’inverse, la confrontation des individus évoque un vocabulaire social qui interroge. Dans une ambiance volontairement dépouillée, la mise en lumière de Tom Visser infuse un subtile mix clair-obscur révélant des mouvements qui ont une (apparente) spontanéité particulière au travail de Crystal Pite. Jusqu’au tableau final, radicalement et délicieusement pop : propulsés entre des pans de décors fantastiques, les interprètes transformés en sortes de lucioles extraordinaires, rehaussés d'antennes styliformes ou pattes ravisseuses, grâce aux costumes de Nancy Bryant, avancent en rang serrés autour de Takeru Coste complètement déchainé. C’est une apothéose bestiale comme des essaims d’insectes puissamment attirés par la lumière. L’enthousiasme est à son paroxysme. Pour une fois, même si les stars du Ballet de l’Opéra ont merveilleusement bien défendu leurs parties comme Marion Barbeau, Alice Renavand, Marc Moreau et Hugo Marchand, il n’est ici pas question de comparer les exploits des artistes, le public de Garnier dévale le grand escalier de marbre en un joyeux vacarme, subjugué par les mille feux d'un spectacle total.

    Angelin Preljocaj, le poète

    Il est l'invité de Transcendanses au Théâtre des Champs-Elysées, une programmation pointue dont les rendez-vous sont désormais bien inscrits dans les agendas des amateurs de danse.  De la profondeur d’un bleu nuit jusqu’à des dégradés orangés passant du jaune au rose, Angelin Preljocaj déploie les couleurs du crépuscule pour parcourir son Winterreise voyage d’hiver composé de 24 Lieder écrit par Franz Schubert, juste un an avant sa mort sur les poèmes de Wilhelm Müller.théâtre des champs-elysées,angelin preljocaj,franz schubert,thomas tatzl,james vaughan,constance guisset,eric soyer,danse contemporaine,productions internationales albert sarfati,transcendanses
    Parce qu’il est définitivement un grand traducteur de la mélancolie, Preljocaj traite d’un romantisme dont la profondeur vertigineuse aboutit en un drame mais qui, étonnement, ne devient jamais tragique. Son élégance n’a d’égal que sa sincérité et sa compagnie le lui rend bien, les six couples de danseurs dessinent une chorégraphie d’une grande délicatesse, toujours aussi exacte et terriblement bien réglée. Le sens de Preljocaj pour la virtuosité s’épanouit pleinement, il épouse par ses intentions chorégraphiques le phrasé impeccable du baryton-basse Thomas Tatzl, accompagné au piano forte par James Vaughan.

    Tandis que les danseurs foulent un sol neigeux dont ils se jouent en faisant scintiller les cristaux tout autour d’eux, l’éclairage soigné d’Eric Soyer sublime les corps des danseurs sous des douches de pluie luminescente, crée des décors à géométrie variable ou se matérialise en matières soyeuses, précieuses. En conservant les codes de sa danse, dont les fans se délecteront, Preljocaj revient à une danse plus classique, plus douce. Des déplacements tourmentés, de corps enchevêtrés ou tendus comme des arcs, à l’immobilisation remarquable, sortes de statues célestes (d’une photogénie somptueuse), Preljocaj fouille l’obscurité pour en révéler une lumière qui ne semble pas prête de s’éteindre !

    ...est-ce déjà l'aube ?

    Une incroyable théâtralité, voilà en un mot de quoi décrire le renouveau de ces danses. La chorégraphie contemporaine n’est plus seulement une démonstration de genre dont les mouvements s’intellectualisent et se débattent (dans tous les sens du terme). A l’instar de la danse classique son aînée, la danse contemporaine raconte de vraies histoires, parfois même des fresques, aventures humaines, parfois spirituelles ou célestes, souvent animales ou planétaires. Ces atmosphères crépusculaires invitent au dépassement du réel tout en formant de solides passerelles vers autre chose, comme des introductions fortes et inspirées à ce que présage l’avenir. Des changements s’opèrent, cette époque est passionnante…

    Laurence Caron

    Winterreise voyage d'hiver Ballet Préljocaj  (photo Jean-Claude Carbonne)
    Théâtre des Champs-Elysées - Angelin Preljocaj | chorégraphie et costumes - Franz Schubert | musique -  Thomas Tatzl | baryton-basse - James Vaughan | piano - Constance Guisset | scénographie - Eric Soyer | lumières

    Body and Soul Crystal Pite - Opéra de Paris

    Musique : Owen Belton, Frédéric Chopin, Teddy Geiger - Voix : Marina Hands - scénographie : Jay Gower Taylor - costumes : Nancy Bryant - Lumières : Tom Visser - Danseurs : Léonore Baulac, Alice Renavand, Marion Barbeau, Héloïse Bourdon, Hannah O'Neill, Silvia Saint-Martin, Hugo Marchand, François Alu, Marc Moreau.

  • LA FRESQUE jusqu'au 22 décembre au Théâtre national de la Danse Chaillot

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    Il n’est pas forcément très utile de connaître l’histoire pour comprendre le spectacle. Angelin Preljocaj raconte, non pas avec des mots, mais avec les corps et l’invisible. Un langage puissant qui bouleverse les cœurs. 

    La mise en espace de Constance Guisset déploie d’étranges tentacules, effilochements savants ou cheveux éparpillés, ces éléments évanescents soulèvent les interprètes, un ballet aérien décolle de la scène. Le parti pris pour le noir de la nuit méprise un peu les yeux des spectateurs, ce sont les lumières de l’air du temps, parfois très blanches et pour ici noires, une contemporanéité voulue souvent par les scénographes (sur les scènes ou dans les lieux d’expositions) qui commence à devenir vraiment lassante ces dernières années. Mais peu importe les ardents danseurs de Preljocaj brillent. La Compagnie d’Aix-en-Provence se coule dans les soyeux costumes d’Azzedine Alaïa. L’apesanteur a gagné l’immensité de Chaillot.  La mise en sons électro de Nicolas Godin (groupe Air) enveloppe l’atmosphère dans une évidence, la musique naît de la dramaturgie chorégraphique. Pour respirer, précieusement, des silences s’installent, des laps de temps courts, forts, indispensables et respectueux, afin de saisir la beauté des tableaux proposés. 

    Les créations d’Angelin Preljocaj, notre chorégraphe français échappé du Pays des Aigles, se réinventent à chaque fois. Les personnalités fortes qui composent la compagnie de Preljocaj n’ignorent rien des intentions de leur directeur et répondent en un écho parfait à ce flot de sentiments intarissable. L’air est un élément de coordination du mouvement à part entière, il n’y a jamais de vide, Preljocaj montre l’invisible. La passion amoureuse demeure au centre des préoccupations de Preljocaj, quelques pincées d’humour sont saupoudrées, et relevées par des clins d’œil pop comme ce tableau tonique dont la rythmique est certainement un hommage au désormais très classique Thriller de Mickael Jackson. La construction poétique de Preljocaj est complexe et pourtant l’évocation laisse une impression de fluidité et de simplicité apparente. La chorégraphie et la théâtralité se fondent l’un dans l’autre, tout est compréhensible, lisible. Les sentiments prennent forment et les soupirs se matérialisent.

    Le rêve, toujours le rêve. L’amour, toujours l’amour. Voir de ses yeux et ressentir de partout ce qui appartient au domaine de l’imperceptible est une expérience inoubliable, c’est encore une fois la promesse tenue par Angelin Preljocaj. Pour tous, à partir de 9 ans.

    Laurence Caron

    A lire  aussi :

    "ROMÉO ET JULIETTE" AU THÉÂTRE NATIONAL DE CHAILLOT EN 2016

    "RETOUR À BERRATHAM" AU THÉÂTRE NATIONAL DE CHAILLOT EN 2015

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  • ”Roméo et Juliette” au Théâtre National de Chaillot, jusqu'au 24 décembre

    angelin preljocaj,prokofievDéjà, il y a la musique de Prokofiev. Si colorée, si vivante, il est aisé de comprendre pourquoi une somme éhontée de compositeurs s'est inspirée à grandes brassées de ces oeuvres éblouissantes.

    La tragédie antique gravée dans le marbre par Shakespeare est le passage obligé en matière de création, l’exercice de style n’échappe pas aux auteurs dramatiques, aux compositeurs (pas moins de vingt-quatre Opéras) autant qu’aux chorégraphes. L’entreprise s’avère en réalité des plus ardues, se frotter à toutes formes de comparaisons est bien ce qui est de plus risqué et parfois aussi de plus ingrat.

    Le génial chorégraphe Angelin Preljocaj s’est aventuré sur ce terrain avec une sorte d’insolente innocence, la première fois en 1990 avec le Ballet de Lyon avant d’être rejoint par Enki Bilal en 1996 à Aix-en-Provence. Depuis, le spectacle s’est fait voir, entendre, applaudir et a été encensé par les plus attentifs d’entre nous.

    angelin preljocaj,prokofievJusqu’au 24 décembre 2016 sur la scène de Théâtre National de Chaillot, le décor monumental prend place, il est à son aise, les lumières s’obscurcissent pour emmener le spectateur sous un régime dictatorial avec son lot d’arrogance, de violence, de crainte, et de suspicion. Les personnages sombres et muets racontent avec leurs corps l’histoire des amants maudits. La talentueuse compagnie d’Angelin Preljocaj écrit la chorégraphie comme on choisit des mots. Angelin Preljocaj est un conteur d’histoires, des histoires d’Amour surtout. Sur les rives extrêmes d’un romantisme foudroyant, les pas de deux qui unissent ces êtres rappellent évidemment les tournoiements et abandons passionnés de l'inoubliable Le Parc (1994). Comme une vague, une sensualité envahit le plateau de Chaillot et remonte les rangs serrés du public pour submerger tout à fait la salle. Preljocaj commande aux frissons avant de faire couler les larmes. L’intention est exacte et d’une justesse incroyable, il n’y a pas un instant ou l’intensité ne se perd. Il s’agit bien d’amour, un amour pressé, sincère, emporté, ce genre d’amour qu’il faudrait avoir vécu au moins une fois même si c’est pour en mourir…

    Ce soir là, Jean-Charles Jousni, le Roméo de Preljocaj est dans la pleine puissance de sa jeunesse, un acrobate virtuose absolument convaincant, il aime une Juliette fantasque, gracile et forte, souple et cassante, Emilie Lalande est magique, une Etoile rare, elle apparaît comme dans un rêve, l’interprète a fait abstraction du monde matériel pour nous traduire ce qui est impalpable. Divine.

    Cet émouvant Roméo et Juliette demeure un vibrant hommage au ballet classique, sans rien renier Angelin Preljocaj en extrait la substantifique moelle, l’essentiel est là, d’une efficacité redoutable. Les ensembles de danseurs, lors de la scène du bal notamment puis lors des affrontements, font sensiblement penser aux envolées lyriques dessinées par Jérôme Robbins dans West Side Story, une sorte de dédicace qui prend l’air d’une élégante révérence.  

    Sans contexte, Angelin Preljocaj a cette particularité, tout à fait singulière à ses créations, qui consiste à faire naître les sentiments amoureux par l’expressivité du corps. Assurément bouleversant par sa beauté et son intensité, ce "Roméo et Juliette" est inscrit profondément dans le répertoire de la danse contemporaine du 21ème siècle, et comme souvent pour ces pages historiques de la danse, c'est à Chaillot que cela se passe. Magique et magnifique. 

    Laurence Caron

    photo (C) JC Carbonne 

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  • Suresnes Cité Danse : Happy Hip Hop party !

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    Quand une salle de spectacle porte le nom de Jean Vilar, il faut s’attendre à découvrir un lieu qui témoigne de l’idée de rendre toutes formes de performances, créations ou diffusions artistiques, accessibles au plus grand nombre. Avec «Suresnes Cité Danse» qui célèbre ici ses vingts ans de bons et loyaux services, Olivier Meyer, instigateur de l’évènement et maître des lieux, a relevé et tenu le pari.

    La soirée anniversaire du jeudi 12 janvier 2012 présentait un florilège de ce qui se fait de mieux en matière de Hip-Hop. Avouons le, le terrain était neutre, réceptif, sain et à l'affût de la moindre découverte : en matière de Hip-Hop je ne connaissais rien... Ce temps imparfait est justement utilisé, je ne connaissais rien mais aujourd'hui je sais, je sais qu’il existe un univers autre, un affluent tortueux trace ses lignes près du large fleuve de la création chorégraphique contemporaine. Ces dernières années, par petites touches, j'ai approché les programmations de Suresnes et de la MC 93 de Bobigny, des rencontres étonnantes comme celle de Découflé, je savais que loin des ballets contemporains ou classiques du très renommé Opéra de Paris, et des créations des centres chorégraphiques des somptueux Mats Ek, Pejlocaj ou Pina Baush, et encore plus loin de la descente aux enfers des comédies musicales du Palais des Sports où des chorégraphes pitoyables célébrés par les biens vulgaires chaînes de télévisions en particulier une, je savais que, quelque part, il y avait autre chose...

    Lydie Alberto, Céline Lefèvre, B-Boy Junior, Farid Berki, Amala Dianor, Doug Elkins, Fish, Mehdi Ouachek et Storm sont apparus pour délier sur scène une déferlante de mouvements, de performances physiques et des tas d’histoires à raconter, soutenus par les chorégraphies de Kader Attou, Sylvain Groud, Sébastien Lefrançois, Mourad Merzouki et José Montalvo. 

    suresnes cité danse,laurence caron-spokojny,hip-hop,danseLa deuxième partie, plus attendue mais pas du tout convenue, orchestrée par le formidable inventeur de grâce José Montalvo, accueille les 30 chanteurs du jeune Choeur de Paris et les danseurs Lara Carvalho, Farrah Elmaskini, Julia Flot, Alfréda Nabo, Abdoulaye Barry, Simhamed Benhalima, Kevin Mischel, Nabil Ouelhadj : un mélange des genres fluide tenu par une exigence artistique égale.

    Farid Berki, Monica Casadei, Blanca Li, Jérémie Bélingard, Sylvain Groud, Abou Lagraa, Laura Scozzi, Pierre Rigal, Robyn Orlin et Angelin Preljocaj sont invités pour la suite de ces découvertes. Je vous invite à découvrir la programmation dans son intégralité sur le site du Théâtre de Suresnes.

    Ici, la rue raisonne et s'épanouie sur les murs comme dans un tableau de Jean-Michel Basquiat. La danse s'esquisse comme un coup de pinceau et la vidéo vient comme un collage donner une épaisseur indispensable à la sénographie. Une forme d’art urbain «authentique», même si je n’aime pas utiliser ce qualificatif d’ «authentique», cela peut sous entendre que l’art peut ne pas l’être : ce qui paraît  absurde. Alors tout simplement il s’agit d’art, à sa place, tout à son aise, avec une très haute qualité technique et artistique, et, en tout point avec le pouvoir de divertir.

    Laurence Caron-Spokojny

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  • Triste soir à l'Opéra Garnier : Bel /​ Millepied /​ Robbins

    jérome bel,benjamin millepied,dorothé gilbert,opéra national de paris,opéra garnier,benjamin tech,grégory gaillard,sébastien breton,sandra escudé,karl paquette,françois alLa création de Jérôme Bel à l’Opéra Garnier s’intitule « Tombe » : déjà le titre engage à la rêverie et à la féérie...
    Trente minutes de contemplation atterrante en trois tableaux : une caissière de supermarché est invitée par Grégory Gaillard à visiter le plateau de Garnier ; la belle Gisèle, Sandra Escudé, est unijambiste, tenue dans un fauteuil roulant, elle ne semble pas tout à fait prête à se relever de ses cendres pour rejoindre son Prince Sébastien Bertaud… ; enfin, sur vidéo, une femme très âgée – fragile figure, attentive, et fan de la première heure du Ballet – entame un pas de deux fantasmé avec son Prince, Benjamin Pech. 

     GoldbergVariations_thumb.jpg

    L’instant n’est pas chorégraphique, il se veut conceptuel. Un concept sans intention, une provocation dénuée d’audace. Une absence, un propos vide de sens.  Sommes-nous à ce point déconnectés de la réalité des choses pour que les artistes expriment le besoin de nous la montrer ? Décadence et désarroi... 

    A sa suite, « La nuit s’achève » de Benjamin Millepied, toute dernière création du déjà ex-Directeur de la Danse du Ballet de l’Opéra. Ce titre aussi inspire de grandes réjouissances, mais le choix de l’ « Appassionata » de Beethoven rassure et la chorégraphie très (trop) fortement inspirée, par Balanchine et Robbins, est harmonieuse. Pourtant, rien de nouveau sous le soleil de Garnier : après avoir épuisé ses danseurs dans de nombreuses circonvolutions, le deuxième tableau proposé par Millepied est un copier-coller du Parc d’Angelin Preljocaj, jusqu’aux costumes et embrassades. J’ai du mal à croire que personne ne s’en rende compte ?

    Enfin, le Maître déifié, Jerome Robbins et son ballet « Les Variations Goldberg » tout juste entré au répertoire de l’Opéra. Il n'est pas étonnant que ces variations soient restées si longtemps au fond des tiroirs : absence à nouveau, cette fois-ci de lumière et de rythme. Les danseurs s’appliquent, impeccables, mais ils demeurent académiques, l’interprétation n’est plus, le merveilleux Robbins semble bien pâle… Heureusement, l’Etoile Dorothée Gilbert domine, tout paraît tellement simple avec elle. Le talentueux Karl Paquette et le grand interprète François Alu entraînent avec maestria le Corps de Ballet. Ils sont tous, toujours, magnifiques, mais un peu désorientés, il est temps que le Ballet retrouve un guide à la hauteur de son talent. 

    Laurence Caron-Spokojny

    5 au 20 février 2016 - Opéra Garnier

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  • « Azzedine Alaïa est l’aristo de la générosité » disait Arletty

    Après quatre années de travaux (dont on ne voyait plus la fin) le Palais Galliera, temple flamboyant dédié à la mode, ouvre ses portes à la première monographie à Paris consacrée au couturier Azzedine Alaïa, jusqu'au 26 janvier 2014.  Enfin !


    Alaïa en réouverture du Palais Galliera 

    azzedine alaïa,laurence caron-spokojny,musée galliera,angelin preljocajArletty avait raison ! Voici un homme qui aime éperdument la beauté, celle des  hanches, épaules, jambes, et taille, celle des courbes et lignes qui font que le corps de la femme symbolise la grâce et l’élégance à part entière. Il ne s’agit pas d’un couturier tout à fait ordinaire (bien que la haute-couture ne le soit jamais), il s’agit tout d’abord d’un sculpteur du corps (il est diplômé des Beaux arts de Tunis en Sculpture), ainsi il moule soie, mousseline, gaze, cuir, laine bouillie et perles directement sur le corps de la femme. Les tissus épousent le corps par de savantes découpes en biais, les matières choisies, souvent novatrices, glissent comme de l'eau afin d'accompagner le mouvement au plus près de sa justesse. (photo de droite : Grace Jones en Azzedine Alaïa par Greg Gorman, 1991)

    524650f63570bed7db9f718a.jpgRécemment Azzedine Alaïa a inventé les costumes de la création chorégraphique «Les Nuits» d’Angelin Preljocaj. Esthète cinématographique, il s’inspire aussi des costumes militaires (sublimes pièces à manches), de l’univers du spectacle, et surtout de ses muses Arletty, Grace Jones, Farida Khelfa, Greta Garbo ou Tina Turner, et bien d'autres pour lesquelles il érige des autels dignes des déesses de la mythologie en leur offrant des robes d’amazone ou d’elfe… Cet homme  aime les gens, infiniment, et il le montre, autant dans ses créations que dans ses attentions privées.

    Le bon couturier dévoile les charmes du corps féminin avec une délicate autorité, le corps se fond en armure, la démarche se fait alors plus altière, assurée, les ondulations du corps marquent le rythme, le port de tête est souverain.

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    L’intention artistique d’Azzedine Alaïa a une dimension politique, la femme s’émancipe, affirme son indépendance, sa différence et sa féminité ne sont plus cachées sous de sinistres tailleurs ou exhibées dans des décolletés obscènes. La révolution prend les armes de l'esthétisme pour se couler dans une revendication féministe audacieuse, une ode à la femme, tout le temps sexy, ludique et drôle aussi, et à jamais conquérante.

    Merci Monsieur Alaïa. 

    Laurence Caron-Spokojny

    * L’exposition est à poursuivre dans la salle Matisse du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris

     

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  • Beaver Dam Company – Edouard Hue, à la Scala jusqu'au 28 janvier

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    Le chorégraphe Édouard Hue avance à la vitesse de la lumière. Du haut de sa petite trentaine, ses chorégraphies, propulsées par sa compagnie franco-suisse Beaver Dam Company, commencent à se faire sacrément remarquer. Éveillé à la danse sur les bancs du conservatoire d’Annecy, il est entré au Ballet Junior de Genève, puis il n’a pas attendu de permission pour prendre le large et multiplier ses rencontres  notamment à Londres à la Hofesh Shechter Company (Uprising et Political Mother), avec Damien Jalet (Gravity Fatigue) ou Olivier Dubois (Tragédie et Prêt à Baiser) au Centre chorégraphique national de Roubaix. Ses interprétations en tant que danseur le stimulent, il travaille avec James Wilton, Marine Besnard, József Trefeli et Giuseppe Bucci, naturellement il devient chorégraphe et fonde sa compagnie en 2014 pour enchainer à un rythme d’une création par an. Le jeune chorégraphe se balade déjà dans le monde entier ; en 2021 en France, Brigitte Lefèvre inscrit « All I need » au programme du Festival de Cannes, puis la pièce est programmée à La Scala, c'est aujourd'hui. L'événement est vécu comme un privilège avant qu'Edouard Hue ne soit happé par de plus grands plateaux.

    « All I need » vient juste après « Shiver ». La première pièce a créé une magie dans la salle, comme si le public avait assisté en catimini à un spectacle trop personnel pour être montré. Dans cette atmosphère particulière, « All I need » découvre des danseurs choisis pour leurs personnalités fortes et différentes, comme  Maurice Béjart ou Pina Bausch l’ont influé il y a plus d’un demi-siècle. Ce sont des interprètes puissants et riches de propositions. On a bien compris que le travail chorégraphique d’Edouard Hue implique le corps tout entier et même au-delà. Les danseurs sont aussi des comédiens, l’un ne va pas sans l’autre logiquement, mais pour cette fois la tragi-comédie paraît autant assumée que la danse. Cette danse-théâtre permet de faire contribuer toutes les ressources des artistes, tous très talentueux.

    L’instant est politique, la fresque est une critique acerbe, méritée et d’une actualité brûlante. Pour supporter cette page sombre, Edouard Hue use d’un humour enfantin et nous l’en remercions. Cet humour est perçu comme une politesse élégante mais aussi comme un signe d’espoir, nécessaire. Dans l’impulsion créative de cette jeunesse sans concession, il y a incontestablement un phénomène générationnel, comme pour les créations de (La) Horde avec le Ballet national de Marseille, il se passe quelque chose d’important, un reflet du monde mué par une lucidité terriblement aiguisée. C'est à voir, immédiatement.

    Laurence Caron

    Photo : David Kretonic

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  • Dialogues (TranscenDanses) au Théâtre des Champs-Elysées, jusqu'au 5 décembre 2021

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    Ce début décembre, le Théâtre des Champs-Élysées annonce sur son site internet « Une soirée danse de rêve avec le « gratin » des chorégraphes »… : la promesse est tenue !

    1h30 de pur concentré artistique, un panorama à 360°, cette soirée de gala ouvre avec la chorégraphe berlinoise Sasha Waltz qui offre un extrait d’ « Impromptus », crée en 2004. Sur la partition éponyme de Schubert, le romantisme est fouillé, un corps à corps sentimental à souhait dans une atmosphère abstraite et minimaliste répondant aux codes du néoclassicisme. Avant tout, Sasha Waltz développe une danse esthétique.

    A sa suite, la canadienne Emma Portner - connue par de-là les océans pour avoir créé la chorégraphie de la tournée mondiale du chanteur pop Justin Bieber ou bien encore ses collaborations avec Apple, Netflix ou le Guggenheim Museum - s’est éloignée des sunlights pour s’isoler dans la profondeur de la création scénique. Sa pièce « Islands » est une grande réussite, une chorégraphie à géométrie variable. Deux danseuses unies dans un même costume déploient un jeu articulé qui fait oublier les corps au profit d’une architecture infiniment sensuelle, un pas de deux original qui n'en forme qu'un...

    Puis, le Maître absolu de la danse, qui a franchi le passage du 21ème siècle avec des œuvres gravées dans le marbre dont entre autres son bouleversant Giselle (créé en 1982), Mats Ek propose sa version du drame shakespearien « Juliet et Roméo » (créé en 2013). Délaissant Prokofiev pour Tchaïkovski et faisant de Juliette une véritable héroïne, surpuissante de par sa détermination, Mats Ek empli l’espace entier de la scène d’émotions. Ce sont des déplacement en diagonales qui glissent comme sur de la glace, intenses et délicats, le chorégraphe suédois à ce don pour faire fondre le cœur, faire naître les sourires ou laisser couler les larmes. Ici la matière elle-même semble s’être dissipée, le couple d’artistes interprètes invoque l’amour : une inclinaison de la nuque va suffire à intimer un sentiment protecteur, chaleureux, un bras qui se baisse va invoquer un abandon total et vertigineux… Le génie de Mats Ek a arrêté le temps.

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    Après un bref changement de plateau, Crystal Pite profite que le public soit liquide pour le fragmenter et le bousculer en rythmes, saccadés, détachés à l’extrême, avec « Animation » une création d’une infinie délicatesse. La chorégraphe ciselle le mouvement, les danseurs sont précis, leur technicité sophistiquée fait oublier les corps, les efface presque, seul le mouvement compte, comme celui qui donne vie à un pantin de bois ou automate savant. 

    Le tableau suivant laisse apparaitre le fond de la scène du Théâtre des Champs-Élysées, les costumes rouge et noir signent tout de suite les créations du tchèque Jiří Kylián. Le chorégraphe est un maître des horloges avec 14’20’’, extrait de 27’52” (créé en 2002 à l’occasion du 25e anniversaire du NDT II). D’une poésie charnelle dans son intention par ces peaux unies, considérées à égalité par la demie nudité des torses des danseurs. Les mélodies de Gustav Mahler sont recomposées avec des accents électro dont la chorégraphie suit intensément les variations, comme nées ensemble.

    Enfin, pour clôturer cet étourdissant spectacle - riche de créativité autant par les signatures chorégraphiques que par ces interprètes aux technicités magistrales, et tous terriblement investis dans les histoires et les sentiments qu’ils racontent - Ohad Naharin, celui qui mène la très courue Batsheva Dance Company, propose une version toute personnelle du Boléro (créé en 1983). Un exercice difficile et risqué tellement les comparaisons chorégraphiques sont nombreuses, le chorégraphe virtuose s’attache au thème répétitif de la musique de Ravel moulinée par le compositeur japonais Isao Tomita. Dans une apparente décontraction, un naturel qui caractérise l’œuvre du chorégraphe,  les infatigables bras des deux danseuses énergiques battent l’air comme des balanciers et révèlent ce vocabulaire musical, si obsédant, si enivrant.

    Peu de dates, 2, 3 et 4 décembre (c’est à regretter) - concluent cette tournée européenne (Stockholm, Saint-Pétersbourg, Moscou et Oslo) – à noter que le prochain rendez-vous est fixé par TranscenDanses en janvier 2022 avec le génial Angelin Preljocaj et son Voyage d’hiver de Schubert…

    Laurence Caron

    > Photo Erik Berg "Juliet & Romeo" 2021

    Théâtre des Champs-Elysées.
    2 décembre 20h, 3 décembre 20h, 4 décembre 20h, 5 décembre 17h.
    Places de 15 à 110 €.

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  • The Tree : Carolyn Carlson ouvre en grand les portes de Chaillot

    En 2020, la crise sanitaire a voulu faire taire les voix des arts, ces lieux protéiformes d’expressions et d’inventions constantes se sont refermés sur eux-mêmes… Seules les lucarnes d’internet, ondes radiophoniques et télévisuelles nous ont un peu éclairées. Seulement, quand on a l’habitude de voir ce qui est vivant, il est très frustrant de n’observer le monde que par le petit bout de la lorgnette. Heureusement, la chorégraphe Carolyn Carlson* - dont on se plait à dire depuis des lustres qu’elle est la plus française* des américaines, jusqu’à adopter la nationalité française en 2019 – a maintenu la tension du fil de sa créativité en parfaite osmose avec le temps qui passe et l’espace qui nous entoure. En "poète visuelle", Carolyn Carlson parle de vous, de nous, du monde.

    Dans la maison nationale de la danse, le Théâtre de Chaillot, la Californienne qui a parcouru la Terre entière pour arriver jusqu'à nous est chez elle, notamment pour y avoir été artiste associée jusqu’en 2016. Après les pièces eau (2008), Pneuma et Now (2014), dont la source est née des écrits de Gaston Bachelard (1), sa plus récente création The Tree est le quatrième volet.

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    « … La terre nous demande de ralentir et de songer aux conséquences de nos actes… » Carolyn Carlson. 

    La pièce The Tree est inspirée Des Fragments d’une poétique du feu**. Carolyn Carlson a placé l’arbre au centre de ses préoccupations. L’arbre, le symbole de cette nature abimée parfois même dévastée, et aussi la solution dans sa façon formidable de combiner les éléments terre, eau et air, enracine l'œuvre ; un juste écho au carnage auquel nous participons mais aussi aux espoirs et aux efforts que nous nourrissons - souhaitons qu’il ne soit pas trop tard.

    La sauvagerie des flammes confrontée à la poésie contemplative de la nature sont mises délicatement en lumières par le créateur Rémi Nicolas. Des rayons de soleil succèdent à de sombres orages sur les décors projetés de Gao Xingjian, des toiles vivantes sur lesquelles l’encre de chine semble se délier dans l’instant. La musique qui épouse la dramaturgie est signée Aubry, qu’il s’agisse du père ou bien du fils, elle a quelque chose d’évident et de rassurant peut-être parce que son style est reconnaissable entre tous. L’esthétisme de The Tree saisit par son raffinement, puissant, la mémoire s’imprègne de chaque image comme un photographe qui mitraille en mode rafale. 

    Devant un public sage et extrêmement attentif - comme si chaque seconde était vitale - la compagnie de Carolyn Carlson est au summum de son art. Les danseuses et danseurs, aux corps archi disciplinés et puissants, ont de fortes personnalités, pour chacun d’eux la chorégraphe a dessiné tout un territoire qui laisse exprimer pleinement leur virtuosité. Les long cheveux des danseuses se mêlent au vocabulaire chorégraphique d’une façon théâtrale. Les corps, soulevés par le vent que l’on sent passer dans les arbres, se jouent des molécules d’air et méprisent toutes les lois de l’attraction terrestre pour ensuite retourner s’ancrer dans cette terre nourricière, comme plantés par des intentions toujours très radicales… Assurément, le témoignage humaniste et politique de Carolyn Carlson est compris. Comme c’est le cas pour les grandes œuvres, la dimension universelle du propos traverse les continents et le temps pour en extraire ce qu’il y a de mieux, et montrer ce qu’il y a de plus beau.

    Les années n’effleurent pas Carolyn Carlson, elle apparaît toujours comme une super héroïne. Sautillant d’enthousiasme, sa longiligne silhouette rejoint la compagnie pour saluer le public. Une grande vague d’amour déferle de la scène jusqu’aux derniers rangs de Chaillot, puis fait le trajet inverse. Je ne sais pas si ce sont les spectateurs ou bien les artistes qui sont les plus ravis d’être là, il n’y aucune frontière visible, ni palpable, entre les deux peuplades. Les élastiques des masques du public se tendent à l’extrême renonçant à contenir leurs très larges sourires, une extase. Enfin, le public remonte des entrailles marbrées de Chaillot à regret mais terriblement apaisé. Le manque vient d’être comblé de la plus belle façon qui soit. Merci !

    Laurence Caron

    ICI > Calendrier des tournées de la compagnie Carolyn Carlson 

    * Le 2 décembre 2020, Carolyn Carlson a été élue à l'Académie des Beaux-Arts, rejoignant Blanca Li, Angelin Preljocaj, et Thierry Malandain. En 2006, Carolyn Carlson est lauréate d'un Lion d'Or de la Biennale de Venise, puis en 1999 elle fonde l'Atelier de Paris-Carolyn Carlson à La Cartoucherie, et dirige le Centre Chorégraphique National Roubaix Nord-Pas de Calais de 2004 à 2013. Pour tout savoir, c'est ICI.

    ** Gaston Bachelard (préf.Suzanne Bachelard), 
    Fragments d'une Poétique du Feu, Paris, PUF, 1988, 176 (ISBN 978-2-13-041454-4).

    THE TREE
    Chorégraphie et scénographie : Carolyn Carlson.
    Assistante chorégraphique : Colette Malye.
    Interprètes : Chinatsu Kosakatani, Juha Marsalo, Céline Maufroid, Riccardo Meneghini, Isida Micani, Yutaka Nakata, Sara Orselli, Sara Simeoni,  Constantine Baecher.
    Musiques : Aleksi Aubry-Carlson, René Aubry, Maarja Nuut, K. Friedrich Abel.
    Création lumière : Rémi Nicolas, assisté de Guillaume Bonneau.
    Peintures projetées :  Gao Xingjian.
    Accessoires | Gilles Nicolas et Jank Dage.
    Costumes | Elise Dulac et Atelier du Théâtre National de Chaillot. Remerciements à Chrystel Zingiro.
    Production | Carolyn Carlson Company. Coproductions en cours | Théâtre National de ChaillotThéâtre Toursky Marseille, Ballet du Nord / Centre Chorégraphique National Roubaix Hauts-de-France, Equilibre Nuithonie Fribourg.

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