"Mary Said What She Said" à l’Espace Cardin jusqu’au 14 mai (mardi, 18 avril 2023)

robert wilson,isabelle huppert,darryl pinckney,ludovico einaudi,jacques reynaud,charles,annick lavallÉe-benny,xavier baron,pascale paume,fani sarantari,nick sagar,sylvie cailler,jocelyne milazzo,fabrice scott,theatre de la ville,espace pierre cardin,mary said what she saidIsabelle Huppert et Bob Wilson ont déjà offert au monde Quartet de Heiner Müller en 2006 et Orlando d'après Virginia Woolf en 1993, au Théâtre de l'Odéon. A contrario du titre, la pièce "Mary Said What She Said" de Darryl Pinckney est en français, initialement créée à l'Espace Pierre Cardin par le Théâtre de la Ville en 2019, la pièce se joue en ces lieux jusqu'au 14 mai.

Huppert-Wilson, un duo explosif, puissant et radical. 
Réunir l’actrice française la plus charismatique et le metteur en scène américain le plus emblématique du renouveau plastique et scénique depuis les années 60 promet une expérience étonnante, bouleversante, assurément remuante. 

La scène de l’Espace Cardin s’ouvre sur un horizon infini, lumineux, chez Bob Wilson le noir est toujours un peu bleu et la lumière est stellaire, la signature du metteur en scène est précise, reconnaissable entre toutes. Cintrée dans une robe mordorée de Jacques Reynaud (réalisée par l‘Atelier Caraco), la silhouette fine d’Isabelle Huppert se détache en contre-jour comme dans un théâtre d’ombres. Le Théâtre Nô marque aussi son passage dans l'inspiration du Maître tant les déplacements de la comédienne sont essentiels et mesurés. L’auteur américain Darryl Pinckney confrontent ses mots à la musique du compositeur italien Ludovico Einaudi en un duel étourdissant dont Huppert et Wilson se jouent avec maestria usant des lois de l’attraction avec une maitrise inouïe. Le duo d’artistes emporte avec lui le public dans son entier, totalement soumis à l’aura de la reine Mary Stuart, et hypnotisé par les lumières qui vibrent et invitent vers des paysages lointains et irréels.
Magnifiée par la beauté d’Isabelle Huppert, les sourcils levés haut au dessus d'un regard clair et vif, pommettes saillantes et bouche rouge, Mary Stuart est là ou plutôt son esprit, son fantôme, dans cet espace l’abstraction est maîtresse d’œuvre. La voix d’Isabelle Huppert se module, se précipite, se jette, se crie ou se souffle avec la virtuosité d’un instrument précieux et rare. Ce sont 86 paragraphes divisés en trois parties qui se délient dans l’antichambre de la mort, Mary Stuart est condamnée a être exécutée à la hache par la reine d’Angleterre Elisabeth 1ère, sa cousine… Tout raisonne chez l'actrice pour servir le rôle de la reine d’Ecosse et de France - peut-être ce sont les personnages qu’elle a traversé et dont elle se nourrit avec l’appétit d‘une ogresse, ils semblent avoir été convoqués. Le moment est subliment fou et subtilement intelligent. La chorégraphie millimétrée, souvent répétitive, anime les bras et les mains de la comédienne, ses mouvements de tête volontaires et ses épaules affaissées sous le poids des épreuves ajoutent à la dramaturgie un langage puissant et esthétique toujours aussi chic. Wilson offre un espace de jeu à Isabelle Huppert qui dépasse le cadre scénique, une dimension nouvelle a été franchie au moment où le rideau de l’Espace Cardin s’est levé. Tout cela relève de la magie, les géants artistiques poussent leur art jusqu’aux frontières les plus extrêmes. Alors, certain diront peut-être que le volume de la musique est trop fort, les partis-pris de diction exagérés, la mise en scène envahissante,... Évidemment, Isabelle Huppert pourrait être assise sur un tabouret et lire le texte de Darryl Pinckney – ou même le bottin - à livre ouvert - et cela demeurait génial ! Seulement la proposition de Robert Wilson est d’aller bien plus loin, dans un au-delà où l’art révèle des mondes invisibles. Démoniaque, l'idée consiste sans nul doute à ressusciter Mary Stuart, la reine semble en effet avoir pris possession de la comédienne… Au bout d’une heure trente de spectacle en apnée, la réaction est immédiate, le public se lève d’un bond c’est une standing ovation ; chacun quitte les très confortables fauteuils de l’Espace Pierre Cardin avec le sentiment ultime d’avoir vécu un moment exceptionnel, et l’envie irrésistible de se (re)plonger entre les lignes du Mary Stuart de Stefan Zweig.

Laurence Caron

(c) photographie : Lucie Jansch

22:59 Écrit par CARON | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : robert wilson, isabelle huppert, darryl pinckney, ludovico einaudi, jacques reynaud, charles, annick lavallÉe-benny, xavier baron, pascale paume, fani sarantari, nick sagar, sylvie cailler, jocelyne milazzo, fabrice scott, theatre de la ville, espace pierre cardin, mary said what she said | |  Facebook | | |  Imprimer | | Pin it! |