Les Contes d'Hoffmann à l'Opéra Comique jusqu'au 5 octobre (vendredi, 26 septembre 2025)
La production de l’Opéra du Rhin, créée le 20 janvier à Strasbourg, s’installe jusqu’au 5 octobre à l’Opéra-Comique, le chef d’œuvre d’Offenbach est mis en scène par Lotte de Beer, Pierre Dumoussaud est à la baguette.
Avec un air songeur et les yeux brillants, on dit Les Contes, cela suffit pour se faire comprendre. Dans le plus bel opéra-bouffe du compositeur, le fantastique et le merveilleux rythment le livret de Jules Barbier, d’après la pièce écrite en 1851 avec Michel Carré initialement inspirée des contes de l’écrivain allemand Ernst Theodor Amadeus Hoffmann.
Plus ou moins achevée, la partition des Contes est une œuvre posthume. Jacques Offenbach souffre de la goutte et d’insuffisance cardiaque, malgré son enthousiasme à terminer la plus grande œuvre de sa vie, il meurt à 61 ans Boulevard des Capucines, quinze jours après le début des répétitions, sur ces Grands Boulevards qu’il a tant aimé illustrer en musique. Quelques mois plus tard, le 10 février 1881, Les Contes se créé à l’Opéra-Comique dans une version pas tout à fait définitive, elle sera ensuite de nombreuses fois chahutée notamment par les recommandations écrites d’Offenbach. Il est supposé que les compositeurs Ernest Guiraud et Léo Delibes ainsi qu’Auguste Offenbach, le fils du compositeur, âgé de 18 ans, compléteront la partition tandis que Carvalho, le directeur de l'Opéra-Comique, y administrera quelques coupures.
Les Contes d’Hoffmann est à Offenbach ce que « La Flûte Enchantée » est à Mozart, un épanouissement suprême pour un chef d’orchestre, un territoire infiniment vaste dont les multiples concepts sont inspirants pour un metteur en scène (sans compter l’inventivité inépuisable pour les décors et costumes), et pour les chanteurs lyriques les plus beaux airs du répertoire : la souplesse époustouflante du fameux air d’Olympia, la poétique Barcarolle, les duos poignants en cascade ou la partie très endurante pour ne pas dire héroïque du ténor (avec notamment l’air de Kleinsach), et bien d’autres… De cet opéra fantastique en cinq actes, nombreux s’y sont frottés, les plus grands chefs (Ozawa, Tate, Nagano, Nelson,…), les plus grands metteurs en scène (Chéreau, Béjart, Carsen…) jusqu’aux stars du lyrique (Gedda, Domingo, Alagna, Van Dame, …) ; impossible de ne pas oublier la création de Polanski en 1992 avec Nathalie Dessay ou la plus récente version mise en scène par Robert Carsen à l’Opéra Bastille (2020).
Salle Favart, malgré des lignes de perspective exagérées qui donnent envie de voir et de partir loin, on ne sortira pas de l'unique décor de Christof Hetzer pendant plus de 2h30. Le plateau tournant et son mobilier jouent sur la démesure, de l’infiniment petit à l’immensément grand, ou inversement, rien de très nouveau (Lewis Carroll n'est pas loin) . Le parti pris esthétique de la directrice du Volksoper de Vienne, et metteuse en scène des Contes, Lotte De Beer s’exprime en couleurs éteintes bousculées parfois par un costume scintillant ou des perruques extravagantes laissant entrevoir la possibilité du rêve. C’est beau sans aucun doute mais un peu tristouille. C’est à nouveau une mise en scène qui interroge : est-ce une affaire de goût ou de vision artistique ? Même si Lotte De Beer réserve quelques heureuses surprises, les poèmes fantasmés d’Hoffmann s’approchent plus du délire psychotique que du rêve romantique, on en conviendra, cependant moins de réalisme moderne aurait été bienvenu, mais à nouveau cela est une affaire de goût, la metteuse en scène a fait ses choix et elle s'y tient. En revanche, l’humour souvent burlesque rafraîchit l’ambiance (les rires du public en témoignent), les chanteurs se prêtent admirablement à la facétie et s’en régalent grâce à l’étendue de leur jeu de comédiens et leurs dictions impeccables.
Depuis, presque toujours, mon imagination a tellement cavalé sur cette musique que mon attente est grande. Cette oeuvre à géométrie variable restant à jamais inachevée implique une sorte de liberté créatrice que chacun aime à s'approprier, artistes ou public...
Le directeur musical de l’Orchestre Normandie Rouen, Pierre Dumoussaud, dirige l’excellent Orchestre Philharmonique de Strasbourg à la perfection. L’un des meilleurs chefs du lyrique du moment a tout compris à Offenbach et aux chanteurs. Privilégiant les cordes et en particulier le violoncelle auquel Offenbach donne autant d’importance qu’à une voix lyrique, c’est une musique brillante et vive, délicieusement romantique et gaie, du vrai Offenbach.
Et puis voilà, il y a la mezzo Heloïse Mas. Sans éclipser les stars, comme le solide ténor Michael Spyres en Hoffmann qui se pose en champion, avec lequel Heloïse Mas forme un duo complice, et Amina Edris (Stella, Olympia, Antonia, Giulietta) dont l’étendue et la souplesse vocale semblent illimitées, la mezzo Héloïse Mas (La Muse, Nicklausse) entre en scène comme sur un ring, décidée à en découdre. Endurante et drôle, elle en fait des tonnes comme il se doit (trop n’est jamais assez pour Offenbach), l’artiste lyrique s’inscrit parfaitement dans la tradition du Maître du genre de tout son être et de toute sa voix puissante et veloutée.
Quant au baryton Jean-Sébastien Bou (Lindorf, Coppélius, Miracle, Dapertutto), il est décidément un artiste accompli, il joue de sa fantaisie de comédien tout en soignant ses airs avec une musicalité parfaite. Enfin, Raphaël Brémard, Nicolas Cavallier, Matthieu Justine, Matthieu Walendzik, Marie-Ange Todorovitch et l’Ensemble Aedes sont formidables, rares sont les distributions aussi réussies.
Le partage des personnages entre les artistes, où ils interprètent plusieurs rôles, est tout aussi savoureux, il confère un esprit de troupe follement énergique. D’ailleurs, pour ces artistes, la prise de rôle est de l’ordre de la performance, une intense course de fond où la malicieuse dramaturgie les propulse tour à tour en duo amoureux, trio amusant, ensembles puissants ou grands airs quasi mythiques, à la vitesse de l’éclair. Le spectacle est une fête, c’est la magie d’Offenbach. Immanquable.
Laurence Caron
cdt photo : Kara Beck
A noter :
- "Voix en partage" les lundis : Découvrir le répertoire lyrique en pratiquant le chant grâce à des ateliers participatifs, seul ou en famille, à partir de 6 ans. Durée : 1h - Tarifs : 10 € / 6 € (scolaires) - Salle Bizet
- Les récitals des artistes de l’Académie de l’Opéra-Comique : Acteur majeur de la création lyrique depuis plus de trois siècles, l’Opéra-Comique ouvre en 2023 une Académie à destination des nouvelles générations d’interprètes. Elle a vocation à promouvoir le genre opéra‑comique et son art spécifique de l’interprétation au plus près des textes et du jeu scénique. Elle se veut donc pôle d’excellence artistique autour du chant français et de l’art du parlé-chanté. L’Académie vise aussi à faire émerger et à accompagner les jeunes artistes francophones en les encourageant à développer de nouveaux regards sur l’art lyrique et sur sa vitalité. Les métiers de la dramaturgie et du costume sont appelés à rejoindre ce projet. Durée : 1h | Foyer et salle Bizet - Tarif : 25 €
09:37 Écrit par CARON | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : opéra comique, pierre dumoussaud, lotte de beer, michael spyres, héloïse mas, amina edris, jean-sébastien bou, raphaël brémard, nicolas cavallier, matthieu justine, matthieu walendzik, marie-ange todorovitch, ensemble aedes, orchestre philharmonique de strasbourg, les contes d’hoffmann, offenbach, opéra | |
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