"Qui a peur de Virginia Woolf ?" au Théâtre de l'Oeuvre (lundi, 18 janvier 2016)

daniel loayza,pierre-françois garel,julia faure,alain françon,théâtre de l'oeuvre,dominique valadié,wladimir ordanoff,edward albee,qui a peur de virginia woolfMartha est la fille du Président de l’Université, elle est mariée à George depuis plus de vingt ans, il est professeur d’histoire.
La soirée est déjà bien avancée, Martha invite un jeune couple insignifiant, Honey et Nick, rencontré quelques heures plus tôt. Martha et George entament une dispute d’une violence inouïe : reproches, mensonges et vérités se libèrent par l'effet de l'alcool ; Honey et Nick se révèlent aussi bien différents...

 « Qui a peur de Virginia Woolf ? » - Une première fois : je découvre l’immense succès d’Edward Albee sur scène et c'est au Théâtre de l’Oeuvre. La pièce fut créée en France en 1964, au Théâtre de la Renaissance, avec Madeleine Robinson (Martha), Raymond Gérome (George), Pascale Audret (Honey) et Claude Giraud (Nick).
Pour ce titre mythique c’est le cinéma qui m’a happé - comment ne pas penser à Elizabeth Taylor et Richard Burton dans le film éponyme de Mike Nichols ? Et puis, mes pensées sont rattrapées par Gena Rowlands dans Une femme sous influence de John Cassavets, Marylin Monroe dans Les Désaxés de John Huston, Faye Dunaway dans Arizona Dream d’Emir Kusturica, Cate Blanchett dans Blue Jasmine de Woody Allen, et mille autres rôles. Ces femmes là n’ont pas froid aux yeux, admirables, sauvages, et désespérément séduisantes. 

Impitoyable et caractérielle, la Martha d’Edward Albee rafle tout le répertoire du genre féminin. Le désespoir fait la femme, Bette Davis s’y reconnaitrait. Avec un instinct maîtrisé, la comédienne Dominique Valadié comprend et est Martha. D’un naturel désarmant : jamais, Dominique Valadié ne décroche. Intense :  jamais, elle ne se laisse dépasser par l’hystérie. Tenace et souveraine, même dans les recoins les plus sombres de son personnage : toujours, la comédienne dompte cette alchimie compliquée entre abandon total et pudeur amoureuse. 

Pour provoquer les fantasmes de sa femme insatisfaite, Wladimir Yordanoff est George, il est l’homme, désabusé. Le cynisme fait l’homme, Clark Gabel ou Richard Burton eux-aussi s’y reconnaitraient. En un peu moins alcoolisé, ce George est d’une classe folle, le texte coule, parfait, fluide, les mots semblent naître au moment où ils sont dits, et le comédien se régale à prendre le public en aparté, l’effet est criant de vérité. 

Pour accentuer la sincérité dans laquelle tous se jettent à corps et âmes perdus, le metteur en scène, Alain Françon, rapproche intimement les protagonistes de la pièce aux spectateurs et  laisse ainsi s’exprimer toutes les couleurs des sentiments. Le décor se fond au Théâtre, en moquettes savamment usées et escalier théâtral, le paroxysme du dépouillement est atteint : le vide, magnifique.

Ce vide, ce manque de sens, dont souffre les personnages retentit en chacun de nous à différents niveaux. Bouleversés, les spectateurs sont des témoins, loins d’être impartiaux. Comme ce jeune couple, formé par Honey (Julia Faure) et Nick (Pierre-François Garel) qui se mêlent à la danse macabre... Julia Faure est remarquable pour sa fragilité avouée et son sens inné pour une sorte de dérision délicate.

A grand renfort de mauvaise foi et d’alcool, Martha et George puisent dans tous les arguments fantasmagoriques dont l’être humain est capable : inventions douteuses, mensonges éhontés, violences… Jamais épuisés car certainement tenus par un amour infini, Martha et George abandonnent un public dévasté par l’émotion, comblé par les sentiments et infiniment reconnaissant par tant de générosité de la part de ces artistes.

L’auteur américain Edward Albee (et la traduction en français de Daniel Loayza) propose une œuvre suspendue dans le temps et l’espace qui a la grâce de laisser à chacun la liberté de ressentir ses propres émotions. « Qui a peur de Virginia Woolf ? » au Théâtre de l'Oeuvre est un instant puissant qui marque au fer rouge, un exploit dramatique renouvelé à chaque représentations, et c'est aussi une expérience extrême qui pourrait s'avérer si proche, si dangereusement proche…

Laurence Caron-Spokojny

09:29 Écrit par CARON | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : daniel loayza, pierre-françois garel, julia faure, alain françon, théâtre de l'oeuvre, dominique valadié, edward albee, qui a peur de virginia woolf, ce qui est remarquable, spokojny consulting, wladimir yordanoff | |  Facebook | | |  Imprimer | | Pin it! |