"Personne" jusqu'au 27 janvier au Théâtre 14 (mercredi, 17 janvier 2024)
« Personne » de Gwenaëlle Aubry est d’abord un roman, plus exactement une auto-fiction parue en 2009 (Le Mercure de France) maintes fois récompensée (Prix Femina, lauréat du prix Thyde Monnier, sélection Médicis, de l’Académie française, de Novembre et Flore) et traduite dans une dizaine de langues. Sur la scène du Théâtre 14, pour créer un rythme, et peut-être aussi pour tendre à distance (protectrice) le protagoniste principal, soit le père de l’autrice, le récit est présenté sous la forme d’un abécedaire. Un procédé dont la metteuse en scène Elisabeth Chailloux en extrait vingt-six tableaux d’un charme ludique, un intelligente astuce pour traiter un sujet dramatique.
Homme de droit et universitaire de renom Francois-Xavier Aubry souffre d’épisodes maniacodépressifs puissants aux frontières de la schizophrénie, sa bipolarité lui fait mener une existence de mouton noir mélancolique. Emporté par sa maladie, il laisse à sa fille un écrit « à romancer » qu’elle s’emploie à réinventer, cette fois-ci par la voix de la comédienne Sarah Karbasnikoff de la troupe du Théâtre de la Ville. La sincérité émouvante de la comédienne n’a d’égale que la profondeur du texte, son jeu affiche une spontanéité enfantine qu’elle fait succéder au réalisme crasse des ravages de la maladie. Sans perdre souffle à aucun moment, Sarah Karbasnikoff donne vie à ces personnages dans lesquels se noue et se déchire l’intensité de cette relation père-fille. Il y a des maladies qu’il est plus difficile d’excuser, celles qui confondent les âmes et maltraites les êtres en font parties. La folie. Alors… La fille demande pardon à son père, avec cette sorte d’honnêteté troublante pour laquelle on souhaiterait lui donner tort. Elle lui fait un dernier adieu même si elle l’a déjà fait cent fois alors qu’il était encore en vie. De A comme Antonin Artaud à Z comme Zelig (Woody Allen, 1983 ), « Personne » est en somme une sorte de lettre aux mots brûlants, une troublante réalité qui se moque bien du temps, de l’espace, de l’absence - sans concession, sans pathos - une déclaration d’amour d’une fille pour son père pour laquelle la maladie ne peut rien empêcher, ne peut rien taire.
Laurence Caron
photo : Nadège Le Lezec
17:01 Écrit par CARON | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gwenaëlle aubry, sarah karbasnikoff, elisabeth chailloux, frédéric cherbœuf, théâtre de la ville, theatre14, cequiestremarquable | | Facebook | | | Imprimer |