"Le mage du Kremlin" à La Scala Paris, jusqu'au 3 novembre (samedi, 14 septembre 2024)
Ouvert sur toute sa surface, le large plateau de La Scala est nimbé d’une lumière blanche, glaciale, semblable aux spots qui éclairent les visages dans les salles d’interrogatoires. Acteurs et public sont soumis aux reflets des miroirs juxtaposés auxquels rien ne laissent échapper. Le KGB veille toujours...
« Le mage du Kremlin » est un récit de Giuliano Da Empoli (collection Blanche, Gallimard / Grand prix du roman de l’Académie française et finale du prix Goncourt) adapté et mis en scène par, le compositeur et metteur en scène français, Roland Auzet. Sur un rythme vif, le ton est sarcastique et grinçant, les formules sont enlevées et modernes, l’analyse semble d’une véracité froide et brulante à la fois, terriblement juste. Un pays aux allures d’un continent, dont les mystérieux contours n’ont de cesse de s’étendre, cette Russie est définitivement une terre de passions pour laquelle les grands auteurs de la littérature, Tolstoï, Soljenitsyne, Nabokov, Dostoïevski, Pouchkine ou Gogol ont défini un genre romanesque unique et inégalé.
« Cette histoire est inspirée de faits et de personnages réels, à qui nous avons prêté une vie privée et des propos imaginaires. Il s'agit néanmoins d'une véritable histoire russe. »
Cette œuvre adaptée au théâtre aurait pu se titrer « Dans les coulisses du Kremlin ». Sur la scène de la Scala, les éminences grises se disputent la partie (comme l’excellent comédien Hervé Pierre de la Comédie-Française), échafaudent des plans pour lesquels Machiavel n’a pas de leçon à donner. C’est une machine du pouvoir démoniaque, des stratégies de pensées radicales, différentes, à tel point qu’ici-bas nos gouvernants semblent avoir la mine tendre et bien pâlotte.
Dans un pays archi nationaliste, bardé de ressources en forêts et en gaz, où la population des campagnes est plongée dans un obscurantisme alimenté par la crainte d’un occupant venu de l’Ouest, Vladimir Vladimirovitch Poutine érode la démocratie et souvent bafoue les Droits de l’Homme. L’ancien officier du KGB, marqué par l’histoire de la seconde guerre mondiale (qu'il n'a pas vécu), étudiant en droit et ceinture noire de judo, fait régner la paranoïa et gère son état en bande organisée comme lorsqu’il était le caïd des cours d’immeubles. Vladimir Poutine - quasi-autoproclamé Tsar de toute la Russie comme Yvan le Terrible - est loin d’être un fou, il est un chef de guerre(s), déterminé à faire outre de l'Occident qu'il estime arrogant.
Le propos est remuant, souvent violent, parfois confus. Les comédiens très adroits se démènent pour occuper l’espace gigantesque - après tout, la Russie est vaste ! Il y a tant de choses à dire, l’Histoire est si mouvementée et si douloureuse. Pourtant au théâtre, il faut souvent trancher, ne pas trop tergiverser, sur les planches il n’est pas possible de tout dire en 1h40, c’est peut-être là où le bât blesse. Comme dans une bousculade, on s’y perd un peu mais ce n’est pas très grave, le jeu des comédiens et comédiens est sans faille, l’auditoire demeure happé par l’intérêt terrifiant du sujet, et puis il y a le charme de ces quelques phrases en langue russe ou même le rap s’en mêle...
Laurence Caron
illustration ©Irene Lamprakou - Trevillion Images
18:52 Écrit par CARON | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le mage du kremlin, giuliano da empoli, roland auzet, hervé pierre, sociétaire de la comédie-française), karina beuthe orr, philippe girard, andranic manet, stanislas roquette, claire sermonne, irène ranson terestchenko, pauline cayatte, cédric delorme bouchard, victoria auzet, wilfried wendling, la scala, jean-gabriel valot | | Facebook | | | Imprimer |