Cats d'Andrew Lloyd Webber, au Théâtre Mogador (lundi, 12 octobre 2015)

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Pour un bon nombre de comédies musicales, les chorégraphies sont décoratives, elles s’esquissent très simplement, en ensembles ou duos, afin de laisser les chanteurs et comédiens s'exprimer (Chorus Line). Pour d’autres c’est l’inverse, la danse est privilégiée et les premiers rôles sont aussi essentiellement chantés (West side story). Et puis, il y a des comédies musicales très exigeantes qui imposent aux artistes d’être à la fois d’excellents chanteurs et d’excellents danseurs (Un Américain à Paris). La comédie musicale Cats d’Andrew Lloyd Webber est de ce registre. 

CATS est une œuvre à part entière, chorégraphique, musicale mais aussi picturale, de nombreux coups de griffes sont nécessaires pour faire naître la Jellicle-shère (Félinosphère pour les initiés).

 Plébiscitée par le public du monde entier depuis sa création en 1981, la comédie musicale Cats puise dans le répertoire classique et exerce les demies-pointes des danseurs aux techniques les plus hardues. Il en est de même pour la musique inspirée du répertoire du XXième siècle tandis que l’orchestration est maniée à la sauce eighties parcourant des rythmes jazz, rock et pop, à grand renfort de synthés. Les costumes épousent la peau des danseurs avec sensualité, ils ne laissent aucune chance aux moindres bourrelets ou plis disgracieux qui tenteraient de s’en échapper. Les maquillages étirés du nez, plutôt de la truffe, jusqu’à la racine des cheveux, plutôt des poils, créent autant de minois adorables ou effrayants qu’il y a de races de chats. Les perruques, de poils hirsutes ou douces peluches, engagent à la caresse et tirent un trait définitif sur ce qu’il restait d’humain chez ces artistes. Désormais, ils sont chats : des chats de gouttière, des chats noirs, des chats siamois, des chats câlins, des chats blancs, des chats fins gourmets, des chats sexy, des chats baratineurs, des chats très singuliers.

 

Dès le hall d’entrée du Théâtre Mogador, CATS accroche de ses yeux dorés ses futurs spectateurs. L’heure est aux selfies, à Broadway, Londres, Hong Kong ou Paris, la photo devant l’affiche est culte. Le parcours jusqu’au siège, désigné par une hôtesse survoltée, consiste à éviter les pièges : confiseries en tout genre et achats incontournables de badges, tee-shirts et autres colifichets à l’effigie du spectacle, la toile du marketing est définitivement tissée et se resserre à chaque nouvelle production autour de Mogador. 
- Il paraît que c’est en Français, je regrette tellement, tu sais moi qui l’ai vu à Londres… » La petite phrase assassine semée par quelques spectateurs snobinards est répétée à qui veut bien l’entendre. Pourtant, une traduction bien faite est bien plus agréable qu’un torticolis. Mais laissons ici ces oiseaux de mauvais augure, les chats auront vite fait de faire voler leurs plumes. 

La scène de Mogador paraît bien exiguë tellement le décor est chargé, plusieurs camions sont arrivés de Londres pour transformer la scène et la salle en déchetterie sophistiquée. Les musiciens sont ailleurs dans le théâtre, un écran retransmet aux artistes l’image du chef d’orchestre afin que les interprètes puissent suivre la mesure. Des effets de lumière, fumigènes et autres technicités très eighties enveloppent l'atmosphère et font la promesse d’une mise en scène spectaculaire. 

Comme à l'accoutumée, les félins se faufilent entre les spectateurs ravis, ils délient quelques gracieux étirements sur la scène et se rassemblent pour raconter leur histoire en un enchaînement de ballets endiablés, tableaux drôles ou tendres, chorégraphies audacieuses et airs mémorables…

Et puis ?  Et puis, c’est tout. Ce CATS là n’est pas tout à fait CATS .

Malgré leurs beaux pedigrees, ces chats là ne semblent pas bien éveillés de leurs siestes et leurs miaulements manquent douloureusement de justesse. La grâce des mouvements créés à l’origine par Gillian Lynne aboutie rarement, et l'allegro de la partition ne semble pas gagner les corps des danseurs. Cette nouvelle traduction se heurte très maladroitement aux mélodies, et la musique s’encombre, et c’est nouveau, d’accords pianistiques façon Richard Clayderman, inutiles et lourds. Certains costumes semblent épais, plus proche du lycra que de la soie, les perruques sont plates et sans texture, les maquillages paraissent ternes. 

Le pauvre Munkustrap a des problèmes de micro et semble manquer de place pour faire entendre sa belle voix, Deutéronome (Mathusalem) a un phrasé bien tremblant à tel point qu’on lui souhaite à lui aussi de s’envoler au paradis des chats, Grizabella hurle comme si elle s'égosillait sous la voûte du Palais des Sports, toute la sensibilité du célèbre et poignant air Memory est piétiné, le sympathique chat rockn-roll (rocky tam tam) s’est transformé en chat hip-hop, pas vraiment hip-hop…. Heureusement : admirable, Bustopher Jones, qui est aussi Yves (le chat du théâtre) et Growltiger, offre lui une interprétation beaucoup plus fine aux côtés d'autres artistes très talentueux mais qui semblent noyés dans une ambiance plus obscure que claire.

Pourtant la magie de CATS opére, les chats défoulent toute la séduction dont ils sont capables. Le spectacle se clôt sous des trombes d’applaudissements, visiblement je suis la seule à ne pas me laisser charmer..

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Parce que CATS peut être tout à fait autre chose ! Le 23 février 1989 a commencé l’aventure parisienne : Mel Howard, producteur averti de Broadway, a couvert Paris de ces affiches noires aux yeux flamboyants: « ils arrivent ». L'effervescente production s’est affichée au fronton du Théâtre de Paris, juste après Starmania (1988), pendant 18 mois et a vite été reconnue par ses pairs lors des Molières comme Meilleur spectacle musical. Fourni par un casting international de danseurs et de chanteurs aux personnalités originales, la direction artistique avait alors fait le choix de l’exacte traduction de Jacques Marchais pour servir les vers de TS Eliot ("Old possum's book of practical cats"). 

En ces temps, les West Side Story, Black and Blue ou autres sublimes comédies musicales étaient surtout servies par le Théâtre du Châtelet, grâce à CATS au Théâtre de Paris le public des Théâtres Privés Parisiens des années 80 découvrait pour la première fois une œuvre à la fois dansée, chantée et jouée, d’une qualité égale. Toujours sur un ton très humoristique, aux accents poétiques, en rythmes jazzy et en vertigineuses envolées lyriques, ce CATS là était un tout autre spectacle. 

 

Depuis, la crise économique semble avoir pelé le poil de cette nouvelle version de CATS, à moins que ce soit le dépressif Bal des Vampires qui hante encore les lieux... L'intention reste spectaculaire mais la poésie n’est plus : l'émotion a t'elle été volontairement gommée ou innocemment perdue au détour d’un faubourg de Londres ou de Paris ? A l’heure où les icônes des années 80, de la mode ou de la musique, sont célébrés et cités en référence, était-ce vraiment nécessaire de tenter de moderniser cette œuvre emblématique ? Je reste sans réponse.

Dommage, extrêmement dommage.

Laurence Caron-Spokojny

16:27 Écrit par CARON | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gillian lynne, théâtre du châtelet, ce qui est remarquable, andrew lloyd webber, cats, théâtre mogador, théâtre de paris, comédie musicale, spokojny consulting | |  Facebook | | |  Imprimer | | Pin it! |