DES OMBRES ET DES ARMES À LA MANUFACTURE DES ABBESSES
L’art, par extension la culture, participe au processus de résilience des personnes et des sociétés confrontées à une situation traumatisante. Dans les livres, sur les écrans ou même dans les arts plastiques, ce super pouvoir du genre humain s’est exprimé depuis les attentats du 13 novembre 2015 comme cela a été aussi le cas aux États-Unis après le 11 septembre 2001. Et puis, il y a cet irrépressible besoin de comprendre les mécanismes qui ont conduit à de tels évènements, les rouages malfaisants de cette folie meurtrière sans compter la manipulation religieuse, cette arme de destruction massive, les enjeux géopolitiques, la communication plus ou moins juste qui en est faite. Là l’histoire serait trop longue... L’auteur Yann Reuzeau a été interpellé par un article de presse, il a voulu en savoir plus, il a fouillé et beaucoup lu, enfin il a choisi d’embarquer -dans une proximité quasi documentaire- le public au plus près du réel : "Des ombres et des armes" à La Manufacture des Abbesses.
Sous l’angle de vue du camp des gentils mais pas seulement
Dans les coulisses de la DGSI, une équipe s’apprête à intervenir pour déjouer un attentat. Sans concession, avec le grain d’un film de Pialat, Yann Reuzeau montre ce que l’on n’a pas envie de voir ou que l’on ne veut pas nous montrer : le manque de moyens et d’effectifs, la pression, cette foudroyante peur de l’échec, la fatigue crasse et le stress,… Comme si cela n’était pas suffisant, à la chasse aux djihadistes vient s’ajouter des courants nauséabonds d’extrême droite qui tentent par tous les moyens de s’infiltrer pour influer leur idéologie radicale et infiniment dangereuse.
Dans un espace-temps rétrécit où chaque instant est le témoin d’une avancée de l’enquête, une troupe de comédiens se partage les rôles, parfois plusieurs, avec maestria ! La comédienne Sophie Vonlanthen se révèle totalement bouleversante, intense, elle s’empare de son personnage (extrêmement bien écrit) avec un sens du détail dans chacune de ses intentions de jeux. A sa suite Charif Ethan Al Ramlat, Aurélie Cuvelier, Favier, Matěj Hofmann, Melki Izzouzi, Romain Julliand, Loïc Risser se jettent sur scène, ils jouent absolument, complètement, avec passion. Le souffle court le public ne lâche aucun des protagonistes, la tension est palpable, presque douloureuse, la culpabilité et son lot de tortures guette. Même s’il semble impossible de se tromper de camp, il y a une sorte de compréhension qui s’installe, une compassion presque, des deux côtés, des choses que l’on a du mal à imaginer… ; mais, la guerre, effroyable et impardonnable, est en marche comme un rouleau compresseur il n’est pas question de s’arrêter sur les détails, le temps manque, il s’agit de sauver des vies, souvent nombreuses.
Le titre « Des ombres et des armes » comme l’affiche du spectacle ne reflètent pas comme il le mérite toute la puissance de cet excellent moment de Théâtre passé à la Manufacture des Abbesses. Cette fiction brosse avec justesse et honnêteté notre actualité brulante et brutale, une œuvre témoin, percutante et précieuse. A voir sans hésiter.
Laurence Caron
Les Jeudi, Vendredi et Samedi à 21H. Les Dimanche à 17H