De West Side story, Hair, Grease, Chicago, jusqu’au français Starmania, le genre «comédie musicale» redessine souvent des fresques sociales qui mettent en exergue les problématiques d’une époque. Quand l’œuvre est bien faite, elle prend ce caractère universel que l’on peut balader sur tous les continents. C’est le cas pour Cher Evan Hansen qui aborde les difficultés de l’adolescence dans tous ses états, de son mal être jusqu’au premier amour, mais aussi de la monoparentalité, du mensonge, des limites de la psychothérapie, et enfin de la drogue, du suicide, de la sexualité et des réseaux sociaux (notamment du cyber-harcèlement), des thèmes souvent menaçants qui bouleversent notre temps. Heureusement, les auteurs et les artistes ont le pouvoir de rendre la vie beaucoup plus belle. Spécialisé ces dernières années dans des spectacles destinés à un public jeune, le metteur en scène Olivier Solivérès (Molière 2024 pour Les Aventures de Pinocchio et Molière de la mise en scène pour Le Cercle des poètes disparus) s’est emparé du sujet ; après avoir été adoubé par Broadway, la version française de Cher Evan Hansen, une comédie musicale nourrie d’amour, d’humour et d’espoir, est, pour la première fois en France, au Théâtre de la Madeleine jusqu’au 17 janvier 2026.
Loin de sa fonction première, le Théâtre de la Madeleine, qui fut celui de Sacha Guitry dans les années 30, s’est sonorisé de cour à jardin et a perché, dans une des loges latérales à la scène, une formation musicale dirigée par Léa Rulh. La musique live donne sens et répond aux règles de l’art de la comédie musicale même si la balance et la projection du son souffrent d’un manque d’équilibre, le défi technique pour ce type de salle est de taille. On reconnaît la signature musicale aux accents pop (récompensée aux Oscars, Grammy Awards et Tony Awards pour La La Land et The Greatest Showman) de Benj Pasek et Justin Paul, tandis que Dimitri Vassiliu, enflammant déjà des shows comme ceux de Mylène Farmer ou Pascal Obsispo, illumine la Madeleine comme s’il s’agissait du Stade de France. L’adaptation française, mise en paroles par Hoshi, est fluide et tient un rythme endiablé du début à la fin.
Cher Evan Hansen est un succès qui est véritablement dû aux jeunes talents qui occupent le plateau. Le rôle-titre est interprété par Antoine Le Provost, assurant une présence à la fois énergique et sensible pendant près de deux heures, le très jeune comédien (19 ans !), échappé de la Classe libre du cours Florent puis repéré à La Philharmonie de Paris dans Gypsy aux côtés de Nathalie Dessay, incarne intensément son personnage. Solaire, Antoine Le Provost se jette avec fougue dans son rôle, passant d’une sensibilité extrême à la facétie. A ses côtés, âgé d’à peine quelques années de plus, Antoine Galey, attendu par ses fans (pour avoir participé à la finale de la cinquième saison de The Voice), assure une prestation d’un enthousiasme débordant, drôle, original et terriblement rock. Même s'ils semblent assez peu dirigés, comme des chevaux lancés au galop, les deux artistes se déchainent, une leçon donnée aux aînés qui les entourent, bien moins ardus à la tâche. A leurs côtés, Lou Nagy, dans le rôle de Zoé, avec son timbre vocal à chanter des tubes de Disney en boucle, est la jeune héroïne à laquelle toutes les jeunes filles de la salle s’identifient. Enfin, les comédiens Fanny Chelim et Kevin Barnachea forment un excellent duo, celui des copains qu'on aurait préféré éviter et qui pourtant sont les plus attachants. D’ailleurs, le public ne s’y trompe pas, les éclats de rire succèdent aux yeux mouillés… Car, pour séduire un public jeune, il faut le faire vibrer, rire et pleurer dans le même temps, à ces âges traversés, l’un ne va pas sans l’autre, et c'est précisément là que réside le secret de la comédie musicale Cher Evan Hansen : de quoi rajeunir et renouveler le public des théâtres privés parisiens !
Laurence Caron
A noter, le tarif moins de 26 ans à 15 €.
Photo © Fabienne Rappeneau