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« Swan lake » de Matthew Bourne à la Seine Musicale

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Il faut l’attraper au vol avant qu’il ne migre : « Swan lake » de Matthew Bourne est à la Seine Musicale jusqu’au 26 octobre.

Le Lac des cygnes, dans sa version classique ou dans ses infinies interprétations contemporaines, est certainement le ballet qui a connu le plus grand nombre d’entrées au répertoire des compagnies, il est le ballet le plus dansé et donc le plus vu. A la fin du film Billy Elliott de Stephen Daldry (2000), on aperçoit Billy se jeter sur scène dans le costume du Cygne de Matthew Bourne. Dans la fiction, c’est la consécration pour le petit gars du nord-est de l’Angleterre devenu étoile, dans le réel, c’est un des reflets du succès phénoménal du Swan Lake de Matthew Bourne.

Pour remonter aux origines, Piotr Ilitch Tchaïkovski crée « en famille » un petite pièce chorégraphique issue des récits romantiques russes. En 1871, inspiré du conte russe Canard Blanc et aussi du destin tragique de Louis II de Bavière, la fable est intitulée Le Lac des cygnes. Quatre ans plus tard, Tchaïkovski s’en empare de nouveau pour créer une véritable symphonie, c’est le premier ballet du genre, La Belle au bois dormant puis Casse-Noisette suivront. Vladimir Petrovitch Beguitchev, directeur des Théâtres Impériaux de Moscou, en imagine le scénario. Le plus grand ballet de tous les temps est né. Entre autres, Lifar, Balanchine, Cranko, Mac Millan, Mats Ek ou Preljocaj, les chorégraphes de tous horizons et de tous siècles se sont appropriés l’œuvre. En 1984, Rudolf Noureev, fidèle au livret imaginé par Petipa (datant de 1895), redéfinira la chorégraphie pour en offrir une version plus analytique, presque freudienne ; dix ans plus tard, le chorégraphe Matthew Bourne quant à lui fera un pas de côté, plutôt un saut, libre et redoutablement efficace.

Après avoir revisité L’Oiseau de feu et Casse-Noisette, Matthew Bourne s’empare du Lac des Cygnes. En 1995, cent ans après la version de Marius Petipa, au Sadler's Wells à Londres, le succès est total, controversé aussi, juste ce qu’il faut pour créer un évènement : les cygnes ne sont plus des danseuses en tutu mais des danseurs tout en plumes. Par ce changement de genre, Matthew Bourne bouleverse l’ordre établi tout en respectant scrupuleusement les codes du ballet russe, son discours qui pourrait sembler militant s’impose finalement comme une évidence et résonne jusqu’à nous sans perdre une plume.

Comment témoigner de la douleur tout en divertissant et en rendant la vie plus belle ? L’Art en a le secret et en particulier le spectacle, Matthew Bourne maîtrise ce domaine. Il est question de l’homosexualité contrariée et cachée derrière les vertus moralisatrices d’une époque - comme ce fut le cas pour Louis II de Bavière dont le personnage principal du Lac, le Prince Siegfried, est inspiré – et aussi très certainement pour le très tourmenté Tchaïkovski. Qu’il s’agisse de la vie en société ou dans les relations familiales, dont un duo mère-fils terriblement œdipien, Bourne n’hésite pas à montrer clairement ce qu’un grand nombre de tragédies antiques ou shakespeariennes sous entendent. La recette mixe une honnêteté désarmante, une sensibilité poétique et un humour décapant, savoureusement british comme ce corgi à roulettes tenu en laisse. C'est un spectacle complet. Il y a ce vernis délicieusement kitch que l’on prête aux productions musicales de Broadway, ces changements de tableaux rapides, cette frénésie à occuper l’espace à grandes envolées de paillettes, ce romantisme avec ces plans serrés (un exploit sur cette Seine Musicale si vaste), ces ambiances cinématographiques hollywoodiennes qui rappellent les écrins de Fred Astaire et Ginger Rogers, ces décors démesurés de façon opératique comme ce lit immense qui pourrait être celui de la Traviata, la théâtralité des costumes en référence tels les  épaules marquées de la reine qui font immanquablement penser à la belle-mère de Blanche-neige, et puis il y a la chorégraphie.

Une chorégraphie à laquelle je ne m’attendais pas.

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Jason Fisch (the Swan), photo Johan Persson 

Swan Lake de Matthew Bourne est multi récompensé, le ballet « a conquis le monde, devenant le ballet contemporain le plus longuement joué à Londres et Broadway ». L’accroche est astucieusement marketée, cependant il ne faut pas s’y tromper ; Swan Lake est une création chorégraphique à classer parmi les plus importantes du dernier changement de siècle. C’est une danse radicale qui ne cesse de surprendre à chaque tableaux. Une danse électrique où parfois (scène dans un bar) les hanches se décalent suavement façon pop, et les poignets se cassent en angles droits, faisant presque oublier que la musique a été composée par un des plus grands compositeurs symphonique du 19ème siècle. Une danse aérienne avec ces jambes à l’horizontale qui planent littéralement, ces bras ou plutôt ces cous de cygne qui se hissent royalement ou s’abaissent tendrement. Une danse poétique et lyrique où le mouvement bascule avec rapidité de la douceur à la violence. Et enfin, c’est une danse de chair parfois douloureusement vivante notamment par l’expressivité de ces cygnes, soufflants, agressifs même ou câlinement enveloppants. Comme vous l’aurez compris, c’est une danse intense pour laquelle les danseurs, de la compagnie Adventures in Motion Pictures, livrent tous une performance remarquable, époustouflante.

On osera penser à l’esprit baroque du Lac de Bourmeister (vu en 1992 avec ses héroïques interprètes, Patrick Dupond et Marie Claude Pietragalla, à l’Opéra National de Paris), Matthew Bourne entre dans cette tradition russe sans perdre le fil du conte. La chorégraphie est définitivement contemporaine, bourrée d'inventions, rien n’est laissé au hasard, à se demander si Matthew Bourne n’a pas percé le mystère du Lac pour en extraire sa substantifique moelle ? Chacun en fera sa propre interprétation.

Depuis des années, Matthew Bourne nourrit une collaboration avec le producteur Cameron Mackintosh créant notamment Mary Poppins, My Fair Lady et Oliver. A l’heure où le chorégraphe américain Christopher Wheeldon vient d’entrer au répertoire de l’Opéra National de Paris, peut-être faut-il  s’étonner qu’une commande n’est pas encore été faite, par cette même institution, à Matthew Bourne…

Laurence Caron

Lien permanent Catégories : EN FAMILLE, SCENES 0 commentaire Imprimer

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