Échappant aux grèves, Giselle d'après Jean Coralli et Jules Perrot, l’emblématique ballet classique toujours très attendu, a lancé la saison danse de l’Opéra National de Paris à Garnier. Ce Giselle a été monté par le regretté Patrice Bart en 1991, avec Eugène Polyakov. Après avoir été une étoile de la scène et dansé tous les rôles du répertoire jusqu'aux créations de Serge Lifar, Roland Petit, MacMillan ou Noureev, Patrice Bart a rejoint les étoiles de la voie lactée. Maître de Ballet en 1987 et "associé à la direction de la danse" de 1990 à 2011, il a passé plus d'un demi-siècle à l'Opéra National de Paris. On lui doit aussi des chorégraphies pour le Staatsoper de Berlin (Don Quichotte, Le Lac des cygnes, ..), pour l'Opéra de Paris (Coppélia, La Petite Danseuse de Degas) et pour le Ballet du Bayerische Oper de Munich (La Bayadère).
photo : Patrice Bart, lors d'une répétition pour Coppélia dont il est le chorégraphe.
Paris, Palais Garnier, 24 avril 1996.
A Bastille, Racines a démarré le 6 octobre avec un titre évoquant les origines de la danse. Cette nouvelle saison s’annonce somptueuse et répond à une logique intéressante, considérant le néo-clacissisme en son centre d’où irriguerait d’un côté le ballet classique et de l’autre la danse contemporaine (il est prévu en décembre « Contrastes » avec la post-moderne Trisha Brown, et les plus modernes David Dawson, et le duo Imre, Marne van Opstal) ; un paradigme juste inscrivant solidement l’institution dans son rôle à la fois patrimonial, culturel et de divertissement. Ce besoin de marqueurs de notre temps, José Martinez y est attentif, le directeur de la danse de l’Opéra, en poste depuis décembre 2022, a conçu pour la première fois cette saison dans son entier. Un changement de climat se fait sentir toujours entre respect absolu du répertoire classique et contemporanéité. Une saison 2025/2026 claire et lumineuse.
George Balanchine s’impose en maître et ouvre la danse avec le très technique et virtuose Thèmes et Variations qui fut créé à New-York en 1947. Le chorégraphe formé à l’École des Ballets Impériaux de Saint-Pétersbourg et fondateur de la School of American Ballet (école du New York City Ballet) explore les codes académiques du ballet russe avec cette influence américaine toute particulière. Le mouvement est amplifié, les lignes se brisent, les bras s’élancent et emplissent l’espace et parfois même les hanches se décrochent en équilibres savants dans des envolées que l’on croirait presque jazzy. La danse de Balanchine est toujours une performance, l’Etoile Valentine Colasante est à la hauteur du défi comme la compagnie du Ballet de l’Opéra de Paris sublimée par la beauté des tutus, diadèmes et lumières. Et puis, ce soir-là il y a surtout Paul Marque - celui dont la nomination d’Etoile par Alexandre Neef en décembre 2020 (rôle de l’Idole dorée dans La Bayadère) s’est faite devant une salle vide en raison du covid, mais aussi devant les milliers de spectateurs de la plateforme TV « L’Opéra chez soi » - Paul Marque offre une danse exceptionnelle, aérienne et musicale, dont les efforts physiques et techniques ne sont absolument pas perceptibles… et pourtant !
Après le Maître, les héritiers. Le jeune chorégraphe Mthuthuzeli November originaire du Cap Mthuthuzeli November a fait ses débuts de chorégraphe avec la Cape Dance Company en 2014 avant de rejoindre le Ballet Black en septembre 2015, il est la découverte de la soirée. On le connaît ailleurs, aux USA (Washington Ballet et Charlotte Ballet), en Afrique du Sud (Cape Town City Ballet) et en Europe (Ballet Zurich,, Northern Ballet Royal Ballet) où il a déjà montré sa façon toute particulière d’infuser la danse académique dans de subtils mélanges urbains et africains. L’alchimie est réussie autant pour la scène qu’au cinéma, Mthuthuzeli November est déjà multi récompensé pour ses chorégraphies.
Sous une ligne de néons et sur pointes, 20 mn de danse (bien trop courtes) de Mthuthuzeli November, sous l’intitulé Rhapsodies, entrent au répertoire de l’institution. Le vocabulaire néo-classique est respecté en tout, langoureusement les interprètes glissent en pas de deux sensuels ou s’échappent (des cadres) en saccades rythmées collant à la musique de Gershwin. Entre la chorégraphie de Mthuthuzeli November et la musique de George Gershwin le dialogue fait sens, c’est une danse pure, évidente, sans fioriture, magique. Mthuthuzeli November est adopté et à suivre avec passion.
Après l’entracte, la star Christopher Wheeldon pour sa pièce Corybantic Games, inspirée de la mythologie grecque, entre lui aussi au répertoire de l’Opéra avec près de 40 mn de danse intense. Le chorégraphe britannique archi successful dessine sa danse aussi bien pour les comédies musicales (Un Américain à Paris en 2014 au Théâtre du Châtelet) que pour le New York City Ballet,, le San Francisco Ballet, le Ballet du Bolchoï ou le Royal Ballet. Dans Corybantic Games, les danseurs parés élégamment par le couturier Erdem Moralıoğlu rivalisent de beauté, à la fois athlétique et inspirés, la danse ne s’arrêtent jamais, comme ces pas de deux qui s’enchainent à une vitesse inouïe dans un déferlement de propositions romantiques. Parmi ce déploiement de brillants solistes qui couvre littéralement le plateau de Bastille, l’Etoile Roxane Stojanov, (nommée un peu tardivement en 2024 dans Paquita de Pierre Lacotte), s’impose, énergique et terriblement. puissante dans la chorégraphie extrêmement précise de Wheeldon où tout semble aussi étourdissant qu’éblouissant.
Enfin, il y a ces musiques, de la partition profonde et soutenue de Piotr Ilitch Tchaïkovski (dernier mouvement de la Suite n°3 en sol majeur op.55) composée en 1884, aux accents pianistiques de la fabuleuse Rhapsody in blue de George Gershwin jusqu’aux cordes frénétiques de Leonard Bernstein ; les danseurs sont accompagnés, avec beaucoup de délicatesse à leur égard, par le chef estonien Vello Pähnqui déjà en 1988 dirigeait l’Orchestre de l’Opéra de Paris à la demande de Rudolf Noureev.
Dans le bruit et l’incertitude de notre époque, l’Opéra National de Paris et son Ballet promettent du rêve pour cette nouvelle saison. S’il n’est évidemment pas à la portée de tous d’aller s’abriter dans ces enceintes célestes, je vous recommande vivement de visiter la plateforme de streaming de l’Opéra.
Laurence Caron