Quel bonheur de retrouver Jacques Weber sur scène ! Monstre sacré, prodigieux, monumental,… une somme d’adjectifs à consommer sans modération. L’homme est fatigué mais le comédien est plus que jamais au sommet de son art. Très simplement donc, Jacques Weber incarne le rôle du Docteur Wangel, mari amoureux et torturé, auprès d’Anne Brochet qui se fond dans le rôle fantasque de La Dame de la mer, sur la scène du Théâtre Montparnasse.
Cette tragédie idéaliste d’Henrik Ibsen date de 1888, à cette époque les femmes commencent sérieusement à ruer dans les brancards, il est question de droits et de responsabilités...
Très préoccupé par cette injustice, l’auteur norvégien aborde ce sujet avec délicatesse tout en se frottant aux frontières de l’âme et de l’inconscient. Le dilemme amoureux noué et dénoué par le texte n’est finalement qu’un prétexte, il séduit le public et interpelle sur la condition féminine en cette fin du XIXème siècle.
Ellida (La Dame de la mer) a épousé le Docteur Wangel, il est veuf avec deux filles ; malgré son amour pour son mari, Ellida remet en cause son couple, dangereusement, elle fait apparaître un amant qui appartient au passé, un démon tentateur, un marin sorti de l’ombre, presque un alibi à son questionnement. Ellida s’interroge aussi sur ses sentiments pour ces belles-filles, comment les aimer, comment codifier ce qui n'est pas établi ? Et puis cette mer qui l’attire sans cesse, l’enveloppe, cherche à la noyer, une déferlante angoissante.
Anne Brochet glisse peu à peu vers l’inconnu, inquiétante, une folie. Jacques Weber, ou plutôt le docteur Wangel, est attentif, profond, plongé lui aussi en plein désarroi, il tente à grandes brassées d’amour de sauver sa femme, de la retenir. Il combat, franchit les obstacles ; l’amour est une bataille.
Les témoins de cette scène de ménage dramatique ont des rôles très peu remarquables, sauf pour Antoine Quintard qui offre une interprétation funambulesque du jeune sculpteur Lyngstrand absolument exceptionnelle.
Aujourd’hui, les « familles recomposées », les « couples qui durent » ou les « divorces » occupent notre actualité, le message d’Henrik Ibsen est plus que jamais intemporel et vaut pour exemple tous les conseillers conjugaux de la terre ! Il est à regretter la mise en scène bien trop classique, un rien consensuelle, pour un texte qui reflète autant d’élégance et de puissance ; une mise en scène inventive et peut être légèrement extravagante aurait ajouté quelques écailles à cette Dame de la mer.
Laurence Caron-Spokojny