Lors de l’exposition annuelle des potiers de Vallauris en 1946, Picasso rencontre Suzanne et George Ramié, les propriétaires d’une fabrique de céramique, l’atelier Madoura. Picasso y réalise ses premières œuvres en céramique puis 4500 œuvres suivront jusqu’en 1971. Picasso considère avoir trouvé une façon de démocratiser son œuvre ; depuis la libération, Picasso est inscrit au parti communiste, son engagement date de la période de la guerre d’Espagne, il confiera à André Malraux : « J’ai fait des assiettes, on peut manger dedans. »
L’œuvre céramique de Picasso a investi le dernier étage de la très belle Cité de la Céramique de Sèvres : c’est un éblouissement. La sensualité des courbes de ses femmes, aux hanches généreuses et à la taille élancée, côtoie la foule déchaînée de ses chères corridas alors que faunes, et chèvres délicates, se partagent les vitrines lumineuses de l’exposition.
Un premier espace réunit matrices et moules aux œuvres originales, c’est une entrée dans l’atelier ; on respire presque la poussière de terre cuite, est-ce le bruit lancinant du tour du potier ? l’envie de caresser l’émail… il faut seulement imaginer, ici même les photos sont interdites, les 150 œuvres présentées sont gardées jalousement par les héritiers du maître.
Puis un second espace puise dans les précieuses réserves de l’exposition permanente de la Cité pour présenter quelques pièces anciennes symbolisant les courants qui ont inspirés Picasso, les civilisations chypriotes, grecques ou espagnoles marquent le territoire.
L’entrée dans le cœur de l’exposition est magique, foudroyée par la beauté. Les mains de Picasso sont partout, inventives, elles modèlent en quelques tours savants des colombes et des chouettes prêtent à prendre leur envol, aussi vivantes que les plats, carafes et assiettes. Picasso transforme l’objet mobile et anodin en œuvre vibrante et tournoyante, les traits sont souvent tracés dans la pâte encore molle de bleus et d’ocres éclatants, la brillance des vernis se frotte au ton mat de la pâte blanche sans que l’une ou l’autre en porte ombrage.
Picasso surcharge de décors certaines pièces classiques pour ensuite modeler une forme pure et aérienne. Par hasard, il ramasse un éclat de brique, il dessine un visage de déesse, tel un fragment de cité antique digne des plus grands trésors de Pompéï. L’artiste génial s’exprime pleinement, de la façon la plus spontanée qui soit pour enfin se consacrer à l’édition de céramique dont 633 modèles seront édités pour des tirages allant jusqu’à 500 exemplaires, l’Atelier Madoura en aura l’exclusivité.
Votre connaissance de Picasso est incomplète si vous ne connaissez pas son œuvre céramiste ; à la Cité de la Céramique de Sèvres, il est question de s’approcher au plus près de l’intensité créative de l’œuvre de Picasso : ainsi il est possible de sentir les mains de l’artiste courir sur la glaise, il suffit juste de dévorer des yeux ces modelages et sculptures, une expérience envoûtante.
Laurence Caron-Spokojny
A visionner ici le film "Picasso céramiste et la Méditerranée" - de Christine Pinault et Thierry Spitzer, 2013 (19'30) - production Picasso Administration.