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Requiem(s) d’Angelin Preljocaj à la Grande Halle de la Villette

Il est le chorégraphe qui a su faire le saut le plus magistral entre le 20ème et le 21ème siècle. Depuis 1993, l’année où Patrick Dupond, directeur de la danse de l’Opéra de Paris, l’invite pour recréer Parade, Le Spectre de la rose et Noces, et offrir au Ballet de l’Opéra le très poétique et sublime « Le Parc » Angelin Preljocaj, le chorégraphe surdoué enchaine les créations a un rythme extrêmement soutenu, plus d'une cinquantaine. 

Aujourd’hui, Angelin Preljocaj et sa compagnie sont installés au Pavillon Noir (Aix-en-Provence), un Centre national chorégraphique imaginé par l’architecte Rudy Ricciotti (Mucem à Marseille, stade Jean Bouin à Paris, Les Grand Moulins de Paris, ...). Au sein de cet espace de production unique où se rencontrent les arts, plastiques à musical, dans une très libre et savante mixologie artistique, Angelin Preljocaj n’a de cesse de traduire la beauté de la vie et pour cette fois celle de la mort. Tourmenté par le décès de ses proches, l’artiste a parcouru l’imaginaire ésotérique ou religieux, historique ou encore allégorique, du départ ultime en une succession de tableaux chorégraphiques réunis sous l’intitulé liturgique «Requiem(s)».

A grande vitesse, les rites de séparation des morts des vivants se suivent sous le ciel de fer de la Grande Halle de Villette. Le Ballet Preljocaj exerce une véritable prouesse aussi bien artistique que physique. Les « Requiem(s) » du Maitre de la danse neo-classique (et pas seulement) sont tous retranscrits, de l’Égypte ancienne à la crucifixion en passant par les contes et légendes, Preljocaj est allé puiser à grandes brassées dans tout ce que notre Humanité a pu inventer pour traverser l’insupportable, ce passage du temps, suspendu, arrêté, le deuil. Dessinés par Eleonora Peronetti, de sobres justaucorps comme de la peau font place à des costumes vaporeux et fluides puis des drapés de rouge, des couronnes brillantes, du blanc encore pour mieux transfigurer un noir scintillant. Ces contrastes de tableaux, Preljocaj en use de façon un peu brouillonne, même si l’ensemble du spectacle avance à un rythme constant, on sent une multitude de sentiments qui vienne se précipiter, s’entrechoquer, se catapulter, comme des papillons de nuit se cognant sur une lanterne. L’artiste a tellement de choses à nous confier ! Évidemment on ne peut reprocher ce bouillonnement, cette colère qui transforme parfois (souvent) la tristesse en désespoir. La plupart du temps la mort n’est-elle pas une injustice totale, incompréhensible ? Ne craignant pas de s’aventurer dans les parties les plus sombres de l’Histoire humaine, la Shoa ou la mort d’un enfant allongent la liste mortifère d’Angelin Preljocaj. La voix du philosophe français Gilles Delheuze vient s’immiscer dans les choix musicaux qui de Mozart (toujours), Ligeti ou Messiaen, sont bousculés par des sons rocks, métalliques comme System of a Down. On sait déjà que le chorégraphe est un mélomane averti, il a notamment multiplié les collaborations avec les plus grandes figures de la scène électronique tout en soignant des places de choix aux grands compositeurs classiques.

Animé par les vidéos organiques, en noir et blanc, de Nicolas Clauss et éclairé élégamment par son lumineux complice, Eric Soyer, le Ballet dévore la large scène, se réunissant en groupes, diagonales et spirales,  puis se séparant en duos et enfin solos, terriblement techniques, merveilleusement virtuoses, incroyablement beaux. On en ressort sonné, comme après avoir marché dans la tempête, c’est un trop plein d’émotions. Où est la touche « rewind » ? Fermer les yeux pour chercher dans sa mémoire, pianoter sur internet pour y trouver des images, guetter la date de la prochaine représentation pour vite y retourner… L’expérience est intense, il y a des tableaux de « Requiem(s) » qui restent ancrés, d’autres que l’on n’a pas eu le temps de retenir, tout était tellement dense (danse), l’instant est passé si vite, trop vite, comme la vie.

Une chose est sûre, avec « Requiem(s) » Angelin Preljocaj a d’ores et déjà transcendé la mort, il se révèle bien plus fort qu’elle, définitivement vivant, pour l’éternité.

Laurence Caron

  • du 3 au 6 juin 2024
  • photo Didier Philispart
Lien permanent Catégories : EN FAMILLE, SCENES 0 commentaire Imprimer

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