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"L'évènement" au Théâtre de l'Atelier

Annie Ernaux,Éditions Gallimard,Marianne Basler,Jean-Philippe Puymartin,Robin Laporte,Célestine de Williencourt,Thomas Cordero,theatre de l’atelier,cequiestremarquableMarianne Basler a été « L’autre fille » d’Annie Ernaux au Festival d’Avignon en 2021, aujourd’hui elle est celle qui créée « L’Évènement » jusqu’au 27 mars au Théâtre de l’Atelier. Décidément, les femmes se font fortement entendre sur les scènes parisiennes ! Après la découverte du formidable « Prima Facie » de l’auteure britannique Suzie Miller, interprété brillamment par la comédienne Elodie Navarre au Petit Montparnasse, et à la veille de la reprise d’Ariane Ascaride et son exceptionnel « Gisèle Halimi, une farouche liberté », le 27 février prochain à La Scala ; Annie Ernaux, Prix Nobel de littérature 2022, s’exprime par la voix de Marianne Basler à l’Atelier. Silhouette noire, cheveux d’or, teint diaphane, il y a une similitude physique entre les deux femmes, la sobriété est de mise, l’histoire qui nous est contée fait mal, très mal. En 1963, sur un campus universitaire à Rouen, Annie Ernaux a vingt-trois ans, elle apprend qu’elle est enceinte, elle ne veut pas garder « ça ».  

A cette époque pas si lointaine, l’avortement est interdit, il est même sanctionné par la loi. Un long parcours douloureux, voir atroce, s’annonce dans cette France patriarcale du début des années 60. Ce que la jeune femme ne sait pas encore est qu’il faudra attendre plus de dix ans avec la loi Veil du 17 janvier 1975 pour que l’avortement soit dépénalisé, jusqu’à ce très récent 30 janvier 2024 où l'Assemblée nationale a adopté le projet de loi constitutionnelle, visant à inscrire dans la Constitution de 1958 la liberté des femmes de recourir à l'interruption volontaire de grossesse. Autant dire que ce seul en scène est essentiel au moment où le droit d'avorter régresse aux États-Unis et même en Europe. Le théâtre nous rappel au danger, restons vigilant(e)s.

L’expérience est intense. Le thème du féminisme parcourt l’ensemble de l’œuvre d’Annie Ernaux, son engagement social et politique fait d’ailleurs souvent naître des polémiques. Il y a ceux qui aiment Annie Ernaux et ceux qui ne l’aiment pas. Cependant, à l’Atelier la question ne se pose pas, pour « L’Évènement », on vient assister à un extrait d’Humanité, et pas seulement, toute l’Humanité puisqu’il s’agit de la naissance, …ou pas. Ce choix que les femmes ont à prendre en toute liberté n’est pas encore inscrit partout, n’est pas encore compris par tous. Notre civilisation a force de faire basculer ses valeurs d’une extrême à l’autre semble plus que jamais fragilisée.

Magistrale, Marianne Basler fait gronder la souffrance de son personnage dans tout son être, elle a le corps tendu par l’angoisse et les épaules baissées comme craintive des coups, sa voix est haute, légèrement gutturale, une façon de refuser d’adoucir les angles. Sans concession, le langage est dur, rugueux, cru, un vocabulaire neutre ne s’embarrassant pas de fioritures littéraires ou d’effets théâtraux. Les parents d’Annie Ernaux, ses amoureux, amis et rencontres estudiantines, des médecins jusqu’à la faiseuse d’anges, une ribambelle de personnages sans visage peuple la scène, autant de témoins passifs du drame qui se joue. La comédienne est forte pour s’emparer de ce texte si abrupte, on ne peut s’empêcher de penser que pour elle aussi il doit raisonner quelque part. Public écrasé, choqué aux nuques glacées de frissons et aux tripes étalées là aux yeux de tous, même si Marianne Basler mérite un immense succès il est très difficile de lever les mains pour applaudir.

En sortant du Théâtre de l’Atelier, on s’en va avec une sororité encore plus renforcée, un sentiment puissant et une grande part d’héroïsme.

Laurence Caron

Lien permanent Catégories : LETTRES, ONDES & IMAGES, SCENES 0 commentaire Imprimer

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