« L ‘audience est ouverte » au Théâtre de la Michodière, jusqu’au 14 avril
La fameuse éloquence des maîtres du barreau ! Ce mélange de passion et de compassion, ce sens de la critique aiguisé et cette capacité de jugement au service du droit, transforment souvent une audience en un véritable spectacle. Inspiré, combatif et engagé, Richard Berry a choisi de faire revivre quatre plaidoiries marquantes de l’histoire du XXe siècle, des thèmes qui s’inscrivent encore très fortement dans l’actualité de ce premier quart du 21ème siècle. « L‘audience est ouverte » au Théâtre de la Michodière, jusqu’au 14 avril et bientôt en tournée, est un seul en scène mais pas uniquement, Richard Berry est accompagné par une ingénieuse illustration d’images issues d’archives, des choix intelligents mis en scène par Eric Théobald.
L’Affaire Dreyfus ouvre le spectacle, impossible de ne pas commencer par rappeler l'évènement qui a bouleversé la société française lors de son saut du 19ème au 20ème siècle. Le capitaine et polytechnicien Alfred Dreyfus est accusé d’avoir livré aux Allemands des documents secrets, il est condamné au bagne à perpétuité pour trahison. Scandalisé, le 13 janvier 1898, Émile Zola publie, en une de l’Aurore, une lettre ouverte au Président Félix Faure. Titré « J’Accuse ! », l’article cite ceux qui ont comploté contre Dreyfus. La fureur de l’écrivain créé un bruit assourdissant, la France se divise, l’ignominie de l’antisémitisme se montre… Aussitôt une plainte pour diffamation envers l’autorité publique est déposée, Maître Fernand Labori (interprété par Richard Berry) prend la défense de Zola dont l’acte dit-il est « révolutionnaire » !
Autre affaire dont le retentissement se faire encore (et aussi) entendre, puisque le projet de loi sur la fin de vie sera débattue dès le 27 mai prochain au Parlement, Richard Berry est Maître Dupin, avocat du docteur Bonnemaison. C’était il y a dix ans aux Assises de Pau, l’accusé encourt la prison à perpétuité. En 2011, il a administré du curare à sept personnes âgées au Centre hospitalier de Bayonne. Maître Dupin invoque l’humanité dont a fait preuve le docteur Bonnemaison et fait valoir la loi Claeys-Leonetti qui renforce le droit d’accès aux soins palliatifs. Le débat est poignant, sans contexte Bonnemaison fait figure de héros…
Le 27 janvier 1998, lors du concours international de plaidoiries, le texte de Félix Molteni éveille la réflexion. Le délit de solidarité vise à condamner les passeurs et trafiquants d’êtres humains, ou comment la loi - croyant bien faire - engage des poursuites contre ceux qui sont venus en aide à des personnes étrangères en situation irrégulière en France. Sincère, souvent drôle car le moment et le lieu le permettent, Félix Molteni par la voix de Richard Berry défriche un terrain sensible, là où la loi perd tout son sens et va jusqu’à écraser ce dont notre monde n’a jamais eu autant besoin : l’altruisme et ce nouvel apprentissage tant nécessaire à la survie de notre espèce "le vivre ensemble".
« Je revendique à cette barre d’être l’Avocat de la Défense, de l’Histoire et de la Mémoire, de la Vérité, de l’Avenir » Maître Jakubowicz.
1987, à la cour d’Assises du Rhône, c’est le procès de Klaus Barbie, dans la salle des pas perdus du palais de justice de Lyon, parmi les 39 avocats de la partie civile, Maître Jakubowicz participe à faire accuser le nazi pour ses crimes contre l’humanité. Richard Berry redonne corps et voix à Maitre Jakubowicz dans ce moment historique d’une intensité remarquable. Parmi les faits abominables dont Klaus Barbie est responsable, il y a la rafle des enfants d’Izieu, le 6 avril 1944. Ce jour-là, 44 enfants juifs, réfugiés dans une colonie de vacances dans l’Ain, sont déportés et exterminés à Auschwitz…
Le public au théâtre n’est pas toujours très discipliné, il y en a toujours un qui oublie d’éteindre son portable, se dandine sur son fauteuil pour y trouver la meilleure place, hésite à garder son manteau ou à le retirer, un autre très agaçant dépiaute le papier d’un chewing-gum et celui d’à côté pianote sur le carton du programme du spectacle, tandis qu’on perçoit les toux étouffées de ceux qui ont eu du mal à soigner les sales rhumes de cet hiver trop doux. Pourtant, au moment où Richard Berry endosse la robe noire de Maître Jakubowicz, plus personne ne respire. Les trois plaidoiries précédentes ont suffi pour aplatir au fond de leur fauteuil les plus dissipés, le moment qui arrive est extrêmement douloureux. La colère est la même, toujours aussi neuve et le choc est d’une violence toujours aussi inouïe même quand on connaît déjà bien l’Histoire. Les regards des victimes rescapées, le maintien de leurs épaules droites et dignes, les voix claires qui s’élèvent dans le silence, ces questionnements qui resteront sans réponses, les images des archives du procès tirent les larmes, tant de cruauté et tant d’horreur.
Comme Richard Caillat, le directeur du Théâtre de la Michodière, le dit « on ne sort pas indemne ». Entouré par une équipe de talents, de la scénographie à la lumière, la prestation de Richard Berry est formidable, son jeu sobre, juste, au phrasé impeccable et vibrant de passion, cependant j’ai du mal à joindre mes mains pour démarrer les applaudissements. Bouleversée. Et puis tout ce mélange, perplexe, contrariée, les questions sur la justice, les droits de l’Homme, l’antisémitisme, l’égalité,… d’infinis sujets maltraités, parfois oubliés et si difficiles. Notre monde est abreuvé d’exemples assez médiocres, heureusement un spectacle comme « L’audience est ouverte » nous rappelle qu’il y a aussi des esprits brillants et passionnés qui mettent leur intelligence au service du bien, une oxygénation de l'intellect plus que nécessaire pour traverser l'époque que nous partageons.
A voir absolument par tous.
Laurence Caron
Mise en scène : Eric Théobald
Scénographie : Antoine LE COINTE
Sound Designer : Aurélien BIANCO
Mapping Vidéo : Caroline GRASTILLEUR
Lumières : Thomas HARDMEIER
Voix Off : Pascale Louange