C’est une lutte, non pas contre les autres mais contre soi. J’ai toujours pensé qu’il ne faut pas trop chercher à connaître les gens de la même façon qu’il ne faut pas trop chercher à comprendre une œuvre d’art, le ressenti suffit. Je ne veux pas être déçue, je ne veux plus être déçue, c’est la raison. A trop vouloir comprendre, on se fait mal. C’est la philosophie contradictoire de ceux qui souhaitent justement aller voir au fond des êtres, au fond des choses. Thomas Bernhard est un allié précieux comme quand il écrit/crie sa haine de la famille tout en avouant son impossibilité de vivre sans elle. « Maîtres anciens » sous-titré « Comédie », est l’avant-dernier roman (septembre 1988 /éditions Gallimard, Prix Médicis) de l’écrivain autrichien. 

Le comédien Nicolas Bouchaud sur la scène du Théâtre 14, entouré savamment d’Eric Didry et Véronique Timsit, est magistral. 1h30 de vie intense, de creusement de l’Humanité et d’effritement de nos sociétés, de fuite et d’encaissement, de rage et de sagesse, de critiques et de culture. Ce sont les meilleures colères qui livrent les plus grandes confidences, peut-être qu’il s’agit de ça, comme quand Thomas Bernhard ou un de ses personnages avoue avoir gagné sa liberté depuis la mort de sa femme car il n’a plus rien à défendre, autrement dit plus rien à attendre de la vie. La détresse de l’être s’exprime de partout mais avec un humour insolent admirablement bien dressé par Nicolas Bouchaud. Interprète engagé dans son entier, le comédien joue à l’excès, totalement, il y a du Brando dans cet homme-là. Le rire permet de supporter ce qui ne l’est pas, un rire répétitif comme ces phrases qui se déconstruisent à l’infini et qui laissent pétri d’admiration devant l’éblouissante mémoire et l’interprétation époustouflante de Nicolas Bouchaud. De la mise en scène fine et inventive jusqu’à l’interprétation d’un texte clair et fluide qui fait presque oublier un propos complexe,  « Maîtres anciens » est un chef d’œuvre, intense, servi dans le cadre du Festival d’Automne 2023. Magnifique !

Photo/ © Charles Paulicevich