Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

"Roméo et Juliette" au Théâtre National de Chaillot, jusqu'au 24 décembre

angelin preljocaj,prokofievDéjà, il y a la musique de Prokofiev. Si colorée, si vivante, il est aisé de comprendre pourquoi une somme éhontée de compositeurs s'est inspirée à grandes brassées de ces oeuvres éblouissantes.

La tragédie antique gravée dans le marbre par Shakespeare est le passage obligé en matière de création, l’exercice de style n’échappe pas aux auteurs dramatiques, aux compositeurs (pas moins de vingt-quatre Opéras) autant qu’aux chorégraphes. L’entreprise s’avère en réalité des plus ardues, se frotter à toutes formes de comparaisons est bien ce qui est de plus risqué et parfois aussi de plus ingrat.

Le génial chorégraphe Angelin Preljocaj s’est aventuré sur ce terrain avec une sorte d’insolente innocence, la première fois en 1990 avec le Ballet de Lyon avant d’être rejoint par Enki Bilal en 1996 à Aix-en-Provence. Depuis, le spectacle s’est fait voir, entendre, applaudir et a été encensé par les plus attentifs d’entre nous.

angelin preljocaj,prokofievJusqu’au 24 décembre 2016 sur la scène de Théâtre National de Chaillot, le décor monumental prend place, il est à son aise, les lumières s’obscurcissent pour emmener le spectateur sous un régime dictatorial avec son lot d’arrogance, de violence, de crainte, et de suspicion. Les personnages sombres et muets racontent avec leurs corps l’histoire des amants maudits. La talentueuse compagnie d’Angelin Preljocaj écrit la chorégraphie comme on choisit des mots. Angelin Preljocaj est un conteur d’histoires, des histoires d’Amour surtout. Sur les rives extrêmes d’un romantisme foudroyant, les pas de deux qui unissent ces êtres rappellent évidemment les tournoiements et abandons passionnés de l'inoubliable Le Parc (1994). Comme une vague, une sensualité envahit le plateau de Chaillot et remonte les rangs serrés du public pour submerger tout à fait la salle. Preljocaj commande aux frissons avant de faire couler les larmes. L’intention est exacte et d’une justesse incroyable, il n’y a pas un instant ou l’intensité ne se perd. Il s’agit bien d’amour, un amour pressé, sincère, emporté, ce genre d’amour qu’il faudrait avoir vécu au moins une fois même si c’est pour en mourir…

Ce soir là, Jean-Charles Jousni, le Roméo de Preljocaj est dans la pleine puissance de sa jeunesse, un acrobate virtuose absolument convaincant, il aime une Juliette fantasque, gracile et forte, souple et cassante, Emilie Lalande est magique, une Etoile rare, elle apparaît comme dans un rêve, l’interprète a fait abstraction du monde matériel pour nous traduire ce qui est impalpable. Divine.

Cet émouvant Roméo et Juliette demeure un vibrant hommage au ballet classique, sans rien renier Angelin Preljocaj en extrait la substantifique moelle, l’essentiel est là, d’une efficacité redoutable. Les ensembles de danseurs, lors de la scène du bal notamment puis lors des affrontements, font sensiblement penser aux envolées lyriques dessinées par Jérôme Robbins dans West Side Story, une sorte de dédicace qui prend l’air d’une élégante révérence.  

Sans contexte, Angelin Preljocaj a cette particularité, tout à fait singulière à ses créations, qui consiste à faire naître les sentiments amoureux par l’expressivité du corps. Assurément bouleversant par sa beauté et son intensité, ce "Roméo et Juliette" est inscrit profondément dans le répertoire de la danse contemporaine du 21ème siècle, et comme souvent pour ces pages historiques de la danse, c'est à Chaillot que cela se passe. Magique et magnifique. 

Laurence Caron

photo (C) JC Carbonne 

Lien permanent Catégories : EN FAMILLE, SCENES 0 commentaire Imprimer

Les commentaires sont fermés.