"Les Poupées Persanes" au Théâtre de la Pépinière
Dans les années 70 en Iran cela fait plus de 30 ans que le shah Mohammad Reza Pahlavi fait régner un gouvernement corrompu et aux pratiques violentes. L’opposition se forme portée par des intellectuels laïcs, essentiellement des étudiants et des mouvements populaires, vite récupérés par les religieux. Le shah s’oppose très fermement à cette opposition religieuse jusqu’à faire exiler l’Ayatollah Khomeiny, leader emblématique devenu historique. Exilé hors d’Iran pendant 14 ans (notamment en France, difficile de ne pas se souvenir des images de sa sortie de l’avion Air France…), l’Ayatollah Khomeiny tire les ficelles de la révolution iranienne, il accuse le shah de tyrannie et diffuse sa propagande théologienne qu’il qualifie de «démocratie islamique».
Téhéran, aujourd‘hui. Alors que le Prix Nobel de la paix vient d’être décerné à Narges Mohammadi, militante iranienne emprisonnée à Téhéran, Armita Garavand (16 ans) est dans le coma pour ne pas avoir porté le foulard hijab dans le métro... juste un an après le décès de la jeune kurde Jina Mahsa Amini (22 ans), arrêtée par la même police des mœurs chargée d'appliquer les règles vestimentaires strictes pour les femmes. Dans ce pays où il est coutume de capturer des étrangers afin de les utiliser comme un levier de chantage diplomatique et financier, les violences à l’égard des femmes se multiplient, elles peuvent-être mariées dès l’âge de 13 ans et sont considérées responsables pénalement dés 9 ans, l'agression sexuelle n'est pas considérée comme un crime et si un homme tue sa femme pour adultère il n’est pas sanctionné, aucune femme n’a accès à des fonctions politiques de haut niveau, ... la liste est longue, infiniment.
Inspirée par ses origines iraniennes, et de toute la complexité et la douleur de cet héritage, l’auteur Aïda Asgharzadeh a écrit « Les Poupées Persanes », elle y joue aussi avec une sincérité bouleversante. La pièce, déjà Moliérisée (Molière de l'auteur francophone vivant, Molière du comédien dans un second rôle pour Kamel Isker) a dépassé la 220ème représentation. La scène du Théâtre de la Pépinière réunit une jeune bande de comédiens et comédiennes (d’origines iraniennes ou pas) particulièrement dynamique et concernée par un sujet qui continue à faire écho à notre actualité. Cependant, ne vous méprenez pas, malgré le sujet traité, la pièce demeure un pur divertissement.
La fine équipe a été rejointe début septembre par l’énergique Juliette Delacroix (Une histoire d’Amour, La Scala), la comédienne a relevé le défi en s'appropriant ses différents rôles, à toute berzingue elle passe du clown au tragique et a appris phonétiquement les répliques et chants venues d’Iran. La recette est adroite. D’abord, il faut dérouler le fil d’un des plus beaux contes amoureux de la culture persane, celui de "Bijan et Manijeh" (Shâhnâmè ou Livre des Rois) ; ensuite, il faut souffler puissamment l’élan fougueux et courageux de la jeunesse iranienne des années 70, prête à en découdre pour gommer un monde ancien et créer un monde meilleur ; ne pas hésiter à surfer sur une vague théâtrale à l’esprit troupier qui rappelle les exploits drolatiques de l’équipe du Splendid ou même celle des Robins des Bois ; enfin, articuler l’ensemble avec la mise en scène de Régis Vallée, fabuleusement ingénieuse et incroyablement enlevée. Sur un rythme effréné, six artistes d'un enthousiasme touchant se partagent une trentaine de rôles grâce notamment à d’astucieux jeux de costumes et de mimes qui inventent constamment des accessoires et de nouvelles situations.
"Les Poupées Persanes" est une page d’Histoire qui demeure en mouvement et fait hélas écho à notre plus récente actualité, cette pièce est plus que jamais nécessaire pour l'éclairage qu'elle apporte tout en conservant sa vocation théâtrale, soit un pur moment d’amusement et d’émotion.
LCS
· A voir l’excellent documentaire « Femme, vie, liberté - Une révolution iranienne » sur Arte : https://www.arte.tv/fr/videos/113185-000-A/femme-vie-liberte-une-revolution-iranienne/