Ils sont beaux, ils sont jeunes, ils sont comédiens et ils ont de belles voix : il ne s’agit absolument pas du teaser de la prochaine comédie musicale du Palais des Sports mais de l’Atelier Lyrique de l’Opéra national de Paris ; pour sa septième production, « Don Giovanni » est présenté sur la scène de Bobigny.
« L’Opéra national de Paris propose un programme pour donner à des jeunes chanteurs et à des pianistes-chefs de chant en début de carrière les meilleurs atouts pour réussir dans leur vie professionnelle »,
Christian Schirm, Directeur de l’Atelier Lyrique.
Hier soir, à la MC93 Bobigny, les jeunes artistes de l’Atelier Lyrique ont été à la hauteur de cette exigence. Sur scène, l’atmosphère dégage un véritable esprit de troupe - cela est rare, pour ne pas dire inexistant lorsqu’il s’agit du répertoire lyrique - la jeunesse des chanteurs et leur travail commun, au sein de l’Atelier Lyrique, semble éveiller un nouvel, et heureux, engagement, aussi bien musical que théâtral.
Pour ce Don Giovanni en italien, certains chanteurs se distinguent, selon l’alternance de la distribution, c’est le cas d’Andriy Gnatiuk par sa très belle voix de basse à la diction impeccable, il est Leporello, le valet de Don Giovanni, il fait preuve d'un talent de comédien tout aussi remarquable. Le jeune ukrainien fera ses premiers pas sur la scène de l’Opéra Bastille, en janvier 2015, dans Ariane à Naxos selon la mise en scène de Laurent Pelly, à suivre… Tiago Matos est un beau Don Giovanni, tout à fait crédible, il est aux côtés d’une Donna Elvira, Elodie Hache, à la carrière déjà très affirmée, dont la voix et la présence révèlent une puissance digne des plus grandes sopranos. Différemment, Zerlina proposée par Armelle Khourdoïan est, elle, tout en nuances et en couleurs, elle est aussi excellente comédienne et sa fraîcheur est ravageuse.
Wolfgang Amadeus Mozart a fait fi de tout enchaînement dramaturgique logique, la musique est seule guide, les pages musicales se déroulent comme des frises dans un rythme étourdissant. Pour maîtriser cette course effrénée de notes qui tente d’être rattrapée par l’histoire de Lorenzo Da Ponte, le metteur en scène, Christophe Perton, a dessiné un large espace d’expression, à la façon d’un terrain de jeux, il semble que ce soit le fond d’une piscine. Les chanteurs évoluent dans un univers souhaité « contemporain » qui se scande par des claquements de portes, rien de très nouveau en somme ; ceci, malgré un intéressant travail vidéo, projeté sur le fond du décor, il s’agit d’une création extrêmement forte, Barbara Creutz en est l’auteure. Et puis, il y a ce regrettable parti pris de faire chanter les interprètes le visage non éclairé, il est temps que cette mode cesse...
"Lorsqu’on vient d'entende un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui." Sacha Guitry
Richard Wagner qualifiait Don Giovanni comme étant «l’opéra des opéras»… Mon propre et humble « top-Mozart » ferait passer devant cette première place Les Noces de Figaro, ou bien, La Flûte Enchantée, mais tout ceci est finalement une question d’humeur ou de saison. Dans « Don Giovanni » l’écriture vive du compositeur est d’une créativité telle qu’elle atteint une sorte d’émerveillement absolu, notamment à la fin du deuxième acte, l’entrée du Commandeur soutenu par ce chœur de basse, est une partition d’une beauté parfaite, une extase. L’Atelier Lyrique, les musiciens de l’orchestre-atelier Ostinato sous la baguette d’Alexandre Myrat et la Maîtrise des Hauts-de-Seine constituent un ensemble qui témoigne d’une interprétation pour laquelle la complexité et la richesse incroyable des notes ne sont pas des obstacles, la légèreté et l’extravagance du propos sont admirablement bien retranscris.
La musique et le livret romantique à souhait de Don Giovanni, et, la jeune équipe d’artistes choisis, servent une production d’un très remarquable niveau d’exigence. La MC93 Bobigny est aux portes de Paris, le prix des places est accessible (9 à 29 euros) et une navette gratuite est proposée en direction de la capitale à la fin du spectacle ; ainsi, les moyens sont réunis pour donner accès à cette musique universelle. L’art lyrique est, à la MC93 Bobigny, un art définitivement populaire.
Laurence Caron-Spokojny
photos © Cosimo Mirco Magliocca