"Respire" à La Piccola Scala, jusqu’au 8 octobre 2022
Dans un couloir d’hôpital, une mère attend, une nuit durant. Elle espère, désespère, espère de nouveau que son enfant née quelques heures auparavant parviendra à respirer seule. Derrière la vitre qui les sépare, la mère parle à sa fille, pour tenter comme elle peut de l’attirer vers le monde des vivants. Une nuit durant, dans un couloir d’hôpital, une mère attend et vacille entre la rage et la supplique, en animal doutant de ses forces.
Respire Sophie Maurer (éditions Koinè, 2020).
J’aurais aimé avoir Romane Bohringer comme meilleure amie ! Je l’ai déjà dit ici-bas (J’avais un beau ballon rouge, Théâtre de l’atelier, novembre 2015). On ne peut qu’aimer Romane Bohringer. Fragile et puissante, appliquée et brouillonne, sophistiquée et sauvage, Romane Bohringer peut tout incarner, à condition que ses personnages aient un tempérament bien trempé. Puisant de tout son être dans des forces astrales ou telluriques qui nous échappent - à nous, humbles spectateurs - la comédienne impressionne par sa qualité de jeu tout en nuances et d’une infinie sincérité.
Dans une mise en scène inventive de Panchika Velez, aux ombres et images projetées, sur la musique poétique de Bruno Ralle, le combat d’une femme, d’une mère, de l’amour, somme toute d’une vie, se donne dans les profondeurs du Théâtre de la Scala. C’est un lieu secret auquel on accède par des méandres souterrains d’un bleu ténébreux. Pendant que le public bavard s’installe sur les bancs de la Piccola Scala, Romane Bohringer est à découvert, trépignante, elle est un taureau dans l'arène. Le noir se fait, le public se tait. L’auteur Sophie Maurer, dramaturge, romancière et scénariste, a-t-elle pensé tout de suite à Romane Bohringer pour interpréter « Respire »? C’est la question que l’on peut se poser tant le texte semble naître d’entre les lèvres, les mains, les yeux et les entrailles de la comédienne. Quelques terrains mouvants d’ailleurs, comme le rapport de cette mère avec sa propre mère, déploient une énergie sombre, écho d'un désespoir pudique et terriblement troublant. La facilité n’a pas sa place, tout est ardu, rocailleux et même violent. Dépassant les frontières de sang et de chair, la mise en abîme de cette mère, qui appelle de toutes ses forces le souffle libre de son enfant, use d'un langage universel. Ne serait-ce finalement qu’un prétexte pour décrire la vision apocalyptique, et bien réelle, des changements de société que nous traversons, presque la fin d’un monde? Une dégringolade dangereusement rapide dans laquelle nous cherchons tous à quoi nous raccrocher... Sophie Maurer n’épargne rien, ni personne.
La lucidité est faite femme autant que le courage, c’est la ligne de programmation du théâtre de La Scala pour cette entrée de saison, après Carole Bouquet (actuellement dans "Bérénice"), Ruthy Scetbon ("Perte" dès le 20 septembre), Alexandra Pizzagali ("C’est dans la tête", depuis le 17 septembre) et bientôt Ariane Ascaride ("Gisèle Halimi, une farouche liberté", dès le 11 octobre), Romane Bohringer fait figure de porte-drapeau. Assurément, il ne faut ne rien manquer, il y a urgence.
Laurence Caron