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"La Promesse de l'aube" par Stéphane Freiss au Poche-Montparnasse

AFF-LA-PROMESSE-768x1152.jpgEst-il possible de trop aimer son enfant jusqu’à fantasmer son existence ? C’est la question que l’on se pose en quittant le Poche-Montparnasse. Pendant plus d’une heure, Stéphane Freiss fait revivre la délicatesse des lignes, vives et drôles, de La promesse de l’aube, le roman quasi autobiographique de Romain Gary. Évidemment, les presque 380 pages de l’édition de Gallimard parue en 1960, ne sont pas toutes livrées sur scène. Stéphane Freiss a choisi d’évoquer rapidement les jeunes années polonaises de Romain Gary, né en Lituanie en 1914, puis de s’attacher à son adolescence lors de ces années niçoises (dès 1928) alors que sa mère était gérante de l'Hôtel-Pension Mermonts, jusqu’à son départ à la guerre.

Stéphane Freiss n'est pas tout à fait seul en scène quand il s’immerge dans le chef d'oeuvre de Romain Gary. Figurant la présence maternelle par un jeu de fauteuils qui se font face, il se glisse dans la peau de l’auteur avec une apparente décontraction. Le ton est à la confidence enthousiaste. L'ambiance est teintée de légèreté, celle qui est nécessaire à la gravité. Une intervention tendre, dont l'identité est à découvrir in situ, ajoute une intime sincérité qui aurait certainement beaucoup plu à l'auteur.

« Après avoir longuement hésité entre la peinture, la scène, le chant et la danse, je devais un jour opter pour la littérature, qui me paraissait le dernier refuge, sur cette terre, de tous ceux qui ne savent pas où se fourrer. »*

A l’époque, Roman Kacew se cherche un pseudonyme. Comme lui fait remarquer très justement sa mère : pour une carrière de musicien, son nom Russe aurait convenu, mais pour être un auteur il se doit d’avoir « un nom bien français ». Cette obsession du pseudonyme partagée par la mère et le fils est à la limite du délire schizophrène. Les mathématiques et les arts sont des premiers choix de carrière écartés au profit de la littérature. Roman sera écrivain, si possible diplomate, et les femmes se jetteront à ses pieds.

« Je ne dis pas qu'il faille empêcher les mères d'aimer leurs petits. Je dis simplement qu'il vaut mieux que les mères aient encore quelqu'un d'autre à aimer. Si ma mère avait eu un amant, je n'aurais pas passé ma vie à mourir auprès de chaque fontaine »*

Enfant, le jeune Roman, résigné, répond aux ambitions visionnaires de sa mère, de son écriture il noircit  pages après pages. A l’adolescence, l’extravagance de sa mère devenant trop visible, il en souffre et parfois même il avoue en éprouver de la honte. Pourtant, ce grand amour lui fait pousser des ailes. Malgré les difficultés de la vie, l’absence du père, et une époque tourmentée, mêlée de guerre, d’injustice et d’antisémitisme, Roman Kacew recevra les honneurs militaires, aviateur de la Grande-Bretagne à l’Afrique, résistant, diplomate et enfin réalisateur, l’écrivain ira jusqu’à se dédoubler, sous le nom d’ Emile Ajar, pour devenir le seul romancier à avoir reçu le prix Goncourt à deux reprises (les Racines du Ciel en 1956, et la Vie devant soi  en 1975).

Le fils adoré de l’ex-actrice exilée, Mina Owczyńska, deviendra une légende du 20ème siècle. Une légende que Romain Gary saura entretenir par une vie terriblement romanesque, comme le jour où il provoquera en duel Clint Eastwood, autant que par une écriture éclatante, jugée post-moderniste. De son vivant, il aura décliné pas deux fois l’Académie française. Enfin, reconnu comme l'un des plus grands écrivains, son œuvre est entrée dans la prestigieuse collection de la Pléiade en 2019.

Celui qui a francisé son prénom et choisi comme nom « Gary » (le verbe « brûle » à l’impératif, en Russe) raconte dans La promesse de l’aube que sa mère souffrante n’a pas cessé de lui écrire pendant ces années de guerre. Seulement, à son retour du front, Romain Gary, entré caporal et sorti capitaine, couronné de gloire par ses faits d’armes, officier de la légion d’honneur, devenu diplomate et serrant son premier roman sous le bras (Education Européenne, 1945), apprendra que sa mère est décédée trois et demi plus tôt.

Le récit dévoile l'attention exceptionnelle de sa mère qui, se sachant condamnée, quelques mois avant sa mort, aurait écrit quelques 250 missives enflammées et, par un habile stratagème, les aurait confiées à une amie afin que son fils les reçoive toute la durée de la guerre. Cette fin de récit - d’un tragique absolu, d’une beauté inouïe et d’un lyrisme incroyable - a l’apparence d’un témoignage mais est pourtant totalement fictionnelle.

Il est fort à parier que la mère de Romain Gary aurait adoré cette invention littéraire. En employant les mêmes codes maternels, Romain Gary a peut-être cherché à lui rendre une part de ce si grand amour en lui offrant un rôle infiniment romanesque, celui d’une des plus bouleversantes héroïnes littéraires.

Laurence Caron

*extrait "La promesse de l'aube", Romain Gary.

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