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Charles Berling met en scène "Dans la solitude des champs de coton" au Théâtre 14

theatre 14,charles berling,léonie simaga,alain fromager,massimo troncanetti,marco giusti,sylvain jacques,roxana carrara,frank michelettiC'est un texte mythique. Créée en février 1987, au Théâtre des Amandiers dans une mise en scène de Patrice Chéreau, avec Laurent Mallet et Isaach de Bankolé, la pièce Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès (1985) est entrée dans le répertoire du théâtre contemporain.

En ce très chaud mois de juin, sur les planches du Théâtre 14, dans un monde crépusculaire, terriblement proche, des monologues se cousent  entre un dealer et son client. Empêtrés dans leurs désirs et empêchés par leurs angoisses, le flot de propos est remuant, perturbant, heureusement interrompu par de longs silences, nécessaires – sophistication extrême - pour laisser le temps aux spectateurs vaincus de se remettre des séries d’uppercuts envoyées par l’auteur. Les verbes forts de Koltès, puissamment jetés en pâture à nos esprits avides de savoir, révèlent ce qui ne peut-être dit qu’ici, sur ces planches, à moins que cela soit lu. Alors que la situation appartient au registre du quotidien, presque anodine, nos interrogations muettes sont criées, hautes et fortes, nos hontes, nos désarrois, nos peurs, dévoilés. Koltès est un traducteur de l’époque, du monde, des gens, et tant pis si ça fait mal c'est ça qui est beau.

Copyright : Nicolas Martinez - Scène nationale Châteauvallon

Le rôle d’un metteur en scène est de mettre un texte en valeur, et souvent d’en exagérer les contours, révélant les évènements, pour que le sens se fasse bien comprendre. Avec Bernard-Marie Koltès, l’affaire est inverse, ce sont les mots qui décident.
Les années 80 - époque de la création du texte et de la mise en scène de Patrice Chéreau - sont loin derrière. Les temps ont changé, faut-il encore dénoncer la violence alors que nous la voyons partout ? Charles Berling s’essaie donc à la pudeur, à la décence même, une sorte d’élégance pour éviter le pire. Seulement, malgré lui, on sent bien que le drame parvient à s’extirper pour se faire voir. Inutile de prendre des gants. Tant pis si la violence est difficile à supporter par les temps qui courent, les deux interprètes et la mise en scène se débattent très adroitement avec le fleuve des pensées de Koltès, tant et si bien, qu’ils se fondent dans ces mots abruptes, animales, vrais.

« La vraie et terrible cruauté est celle de l'homme ou de l'animal qui rend l'homme ou l'animal inachevé, qui l'interrompt comme des points de suspension au milieu d'une phrase, qui se détourne de lui après l'avoir regardé, qui fait, de l'animal ou de l'homme, une erreur du regard, une erreur de jugement, une erreur, comme une lettre qu'on a commencée et qu'on froisse brutalement juste après avoir écrit la date. »  
Bernard-Marie Koltès (Dans la solitude des champs de coton).

Le texte est tendu, riche - difficile d’imaginer la tartine que cela a été pour l'apprendre par coeur. « Je ne suis pas là pour donner du plaisir, mais pour combler l'abîme du désir » à 36  années d’écart entre l’écriture de ces répliques si pleines de véracité, et cette nouvelle adaptation, on pourrait croire que cette phrase de Koltès a été écrite uniquement pour Mata Gabin. Avec son phrasé impeccable – bien à la hauteur des plus grandes actrices formées au Conservatoire puis entrées dans les rangs de la Comédie française - elle accompagne son jeu par le langage chorégraphique de son corps, un port de tête, des arabesques de la main, ... Charles Berling s’efface. Humble, en comédien précis et en metteur en scène attentif, il offre toute la place nécessaire à la muse. C’est un déchainement, une performance rare. Entre retenues pudiques et envolées lyriques, il y a de quoi être remué, chahuté.

Le texte de Koltès semble s’écrire au moment où il est dit. Sans leçon, sans moral, seul l’instant de la rencontre compte. A voir absolument.

Laurence Caron

Lien permanent Catégories : EN FAMILLE, SCENES 0 commentaire Imprimer

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