Le Mariage de M.Weissmann au Théâtre La Bruyère
Sans en avoir l’air : nous montrons du doigt, sans y prêter attention : nous nommons, et, souvent sans en prendre garde : nous dénonçons. Les mots lancés comme «communautarisme» ou «ségrégationnisme» répondent en choeur aux mots «racisme», «antisémitisme», et, de la façon la plus terrifiante qui soit, au mot : «terrorisme». Dans notre Monde chacun à de plus en plus de mal à trouver sa place, pour y parvenir la plupart d’entre nous commencent par observer la place des autres, c’est une façon de se situer, une sorte de point de vue, pas le meilleur. Car, par mauvais temps la malveillance prend ses aises, plus ou moins avouée, plus ou moins ressentie, pour parfois dépasser les limites, l’Humanité s’en trouve esquintée, on appelle cela «l’horreur» et plus grave encore il est question de "crime contre l'humanité". Ce fut le cas lors du massacre de Charlie Hebdo et de l’épicerie cacher de Vincennes ; à cela, les foules se sont levées, elles ont marché. Des écriteaux noirs comme des faire-parts de décès se sont dressés « je suis Charlie », il y a eu très peu de « je suis juif ». Pourquoi ? A cette question millénaire, je n’ai pas de réponse.
En revanche, je peux vous recommander vivement d’assister à la pièce «Le mariage de M. Weissmann» au Théâtre La Bruyère, la plume de l’auteur Karin Tuil se charge d'éveiller les esprits et elle peut être aussi un baume souverain...
« Je m'appelle Saül Weissmann mais ne vous fiez pas à mon nom qui est juif, en dépit des apparences. J'ai été, pendant soixante-dix ans, un imposteur pour les autres et pour moi-même ».
Ainsi commence la confession du narrateur qui apprend de la bouche d'un rabbin qu'il n'est pas juif selon la loi de Moïse.
L’identité est un «caractère permanent et fondamental de quelqu’un, d’un groupe qui fait de son individualité, sa singularité», selon le Larousse. Alors lorsque cette «identité», qu'elle soit en partie religieuse, sociale, ethnique, culturelle, professionnelle ou autre, est remise en cause, de quelle façon notre existence s’en trouve t’elle bouleversée ou même menacée ? Tout en cherchant à jauger l’influence de notre « identité » sur notre existence, par son propre regard intérieur ou bien par celui que porte les autres sur nous-mêmes, l’auteur Karine Tuil -aussi lorsqu’il s’agit de citer des sujets aussi graves que les camps d’extermination orchestrés par les nazis pendant la seconde guerre mondiale- traite un sujet souvent esquivé dans les conversations courantes (Interdit, Plon 2001, puis en Livre de Poche). Avec déférence et dans une véritable liberté d'expression, Karine Tuil fonce, rien n’échappe à cette chevalière des temps modernes dans sa quête de vérité.
Pour donner une existence scénique au roman "Interdit", et sur un ton résolument burlesque, Salomé Lelouch s’est intelligemment attelée à l’adaptation et à la mise en scène. Délicatement, avec ce je ne sais quoi « d’éternel féminin » qui lie les mots aux mouvements comme pour un ballet contemporain, le propos se concentre sur l’essentiel. Dans un décor aux lignes pures, un rien minimaliste, trois comédiens formidables se partagent un seul rôle : Jacques Bourgaux, Bertrand Combe et Mikaël Chirinian. Intarissables d’inventions, ils expriment un jeu plein de complicité soutenu par un rythme sans faille réglé au cordeau. Habité de souvenirs terribles et d’anecdotes savoureuses, un univers vaste se déploie : une vie entière pour un seul homme, cela prend de la place…
Et, comme pour tromper l’ennemi tortueux à l'insatisfaite question existentielle que chacun se pose : "qui suis-je ?" , le drame adopte le vocabulaire du bonheur à grand renfort d’autodérision, l’humour juif fixe un point d’honneur à se faire entendre et c’est un régal. La tendresse et la politesse du désespoir rivalisent d’élégance, les intentions de Salomé Lelouch sont souvent ludiques et les comédiens semblent s’y sentir parfaitement à l’aise. L'exercice est adroit, le résultat parfait.
Toujours dans le rire, sans prétention, et, dans une rare franchise de ton, « Le Mariage de M. Weissmann » passe en un éclair (de génie), il reste un sentiment de paix, une sorte de compréhension immédiate, un apaisement… nécessaire.
Laurence Caron-Spokojny
lundi à 20h30 et dimanche à 15h30. Réservez sans attendre.