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La Bohème à l’Opéra Bastille, jusqu’au 31 décembre 2017

claus guth,henry murger,benjamin bernheim,roberto tagliavini,artur ruciński,andrei jilihovschi,aida garifullina,guerassim dichliev,nicole car,marcel marceau,gustavo dudamel,la bohème,puccini,opéra bastilleIl y a eu l’époque des Castafiore et divas, des sopranes capricieuses, et leurs versions masculines, Caruso et autres ténors héroïques et basses tourmentées. Puis vint une longue période vouée aux chefs d’orchestre, géniaux, parfois tyranniques, souvent mégalomaniaques… Aujourd’hui, la dynastie des metteurs en scène règne. Inexpugnable. Interminable. Les critiques musicaux s’excitent et les directeurs de Théâtre et d’Opéra se disputent la partie usant d’un langage tarabiscoté et emprunté aux amateurs d’art contemporain les plus radicaux. Pour provoquer, certains metteurs en scène n’hésitent pas à aller puiser dans les instants les plus sombres de notre histoire (guerre, nazisme, djihadisme,…) et à montrer les dérapages de notre Humanité de la façon la plus crue qui soit (violences, abus sexuels, …). A Bastille pour La Bohème de Puccini proposée par Claus Guth, il n’est pas question de secouer la frange conservatrice du public lyrique, Claus Guth n’a pas la réputation sulfureuse mais plutôt élégante.

Ambiance, 2001 l’Odyssée de l’Espace. Le film de Stanley Kubrick est inévitable : blancheur clinique du décor, inclinaison (très belle) du plateau symbolisant une entrée dans l'apesanteur, … Les fumées noires, qui s'échappent des toits gris de Paris, du roman de Henry Murger sont bien éloignées de cet environnement intersidéral, mais la transposition temporelle n’émeut plus personne, elle est devenue presque conventionnelle. Soit. Les astronautes sont en stase pour parcourir la longueur infinie du voyage, une sorte d’hibernation programmée. Les souvenirs viennent peupler ce profond sommeil souvent interrompu par des incidents techniques. L’espace est un univers difficile et hostile.
Le public de Bastille est donc invité à visiter les rêves de Rodolfo ; et, pour son plus grand confort, l’ordinateur de bord se charge de tout expliquer entre chaque tableau dans un langage très simpliste. Dans l’espace, il vaut mieux être guidé pour ne pas s’égarer. Malgré ces efforts, dans la salle de Bastille ce soir là, les soupirs et les rires laissent penser que certains sont pourtant déjà perdus. Le premier acte semble vite passer, et à l’entracte cela bourdonne autour des bars à sandwichs, il y a ceux qui adorent et ceux qui ne comprennent rien. La mécanique est lourde, pourtant comme en matière d’art pictural justement, il serait bon que le public commence à noter que l’important n’est pas de «comprendre» mais de «ressentir».

Le rideau se lève sur un désert lunaire et glacé, la neige tombe sur le plateau (étrange pour un environnement sans oxygène). "Il neige sur Paris " : la salle éclate de rire.
Les spationautes agonisent. Rodolfo a bien du travail, ça va mal là-haut. Le ténor Benjamin Bernheim tente de réparer branchements et appareils lunaires, il s’avère être un piètre technicien mais un chanteur exceptionnel à la voix pure et si naturelle ! Seulement voilà, le vaisseau est en perdition, il aurait peut-être mieux fallu que le gars soit plus fort en bricolage qu’en art lyrique. Les artistes sont alignés et repoussés au bord de la fosse d’orchestre tant le décor imposant occupe la profondeur du plateau. Les fêtes passées et regrettées, aux côtés de ces amis Marcel (Artur Ruciński), Shonnard (Andrei Jilihovschi) et Colline (Roberto Tagliavini), trio très adroitement distribué, réconcilient avec le Paris insouciant des années 30, une table de bistro, des garçons de café, un chapeau haut de forme ou une poignée de paillettes suffisent à l'affaire. Dans un véritable esprit de troupe, les artistes rivalisent de talents, un régal à écouter et à voir, dans une mise en scène qui s’avère finalement très classique. 

Le Chœur de l’Opéra, et le chœur d’enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine font fondre le vaisseau banquise, déjà bien entamé, par des séquences rythmées. Aida Garifullina est une très efficace et séduisante Musette, et Nicole Car est une Mimi peut-être un peu trop fragile ce soir là… Et puis, il y a le Maître de Cérémonie, Guerassim Dichliev, un mime épatant, héritier de Marcel Marceau, il pimente les différents tableaux en apportant mille éléments de décors, personnages poétiques, et intentions scintillantes.

La musique est d’une beauté inouïe, le chef Gustavo Dudamel est d’une virtuosité absolue, entre autorité et nuances, le jeune Maestro Vénézuélien fait vibrer et monter en puissance le brillant Orchestre de l’Opéra de Paris et soutient les chanteurs avec grâce.

Puccini est à son apogée, mes larmes coulent. Finalement, c’est ce qu’on retiendra la musique et ses interprètes. La mise en scène de Claus Guth manque de parti pris, peut-être aurait-il mieux fallu inventer totalement un univers de science Fiction et ne pas le quitter ? Et puis, il y a cette drôle d’impression laissée par ce magnifique artiste, le ténor Benjamin Bernheim, que l’on voit saluer en combinaison spatiale… heureusement que la mise en scène lui a permis d’ôter son casque. 

Laurence Caron

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