Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

THE ONE DOLLAR STORY, Les Plateaux Sauvages, jusqu'au 17 février

roland auzet,fabrice melquiot,sophie desmarais,pascale bussières,victor pavel,cédric delorme-bouchard,pierre laniel,bernard grenon,sophie el assaad,valery drapeau,sandy caron,geoffrey dugas,act opus,compagnie roland auzet,le groupe de la veillée,montréal,le théâtre,scène nationale de saint nazaire,les plateaux sauvages,the one dollar storyRaconter l’histoire de « The one dollar story »  - actuellement sur la scène des Plateaux Sauvages jusqu’au 17 février - serait un peu comme dévoiler la fin d’un roman à succès… Alors, comme l’auteur de la pièce a lui-même promis d’en extraire un roman, il y a deux solutions : allez aux Plateaux Sauvages ou attendre la sortie du roman. Je vous conseille la première solution, comme l’on fait Dennis Hopper et Peter Fonda sur leurs choppers dans le film Easy rider, il faut rencontrer ces hippies des années 70, partir loin, parcourir la majesté de ces grands espaces américains, goûter à ces ambiances psychédéliques, là où la beauté et le sordide voisinent.

Pour commencer le voyage vers de lointaines contrées, la comédienne Sophie Desmarais hypnotise le public avant de le soumettre complètement avec sa douce voix où perce un adorable et léger accent québécois. Ses yeux lui bouffent le visage, comme les héros des dessins animés japonais, de par leur taille et l’intensité qu’ils dégagent. Jodie vient de naître, un personnage rageur, frondeur et douloureux. Rapidement, la frêle jeune femme a piégé l’attention de tous, elle est une guerrière, il est impossible de quitter ce petit corps qui se débat. Éprise de liberté autant que de vérité, Jodie, enfant des années 80, entame un road trip au cours duquel elle va bousculer les thèmes qui n’ont de cesse de tarauder nos sociétés contemporaines : la fin de vie, la sexualité, le genre, la maladie, la drogue, la quête des origines, la maternité et la paternité, le statut de la femme, … Volontiers, on fait des centaines de kilomètres en car ou bien on dîne sur des tables en Formica sur des parkings de plages aux abords bétonnés.  Le mouvement hippie est en marche, pétri d’ivresses et d’excès en tout genre, de ses années qu’elle n’a pas connues, Jodie, la petite princesse malheureuse en baskets et blouson de sky, s’en dépêtre en allant y débusquer les secrets, les raisons et enfin le sens de son existence. Fantasmant et fouillant les années qui ont précédées sa naissance, Jodie enquête, accuse, condamne, aime et déteste, toutes et tous y passent, chacun en prend pour son grade. Allen Ginsberg est maître en la demeure (mainte fois cité en référence au cours de la pièce), l’auteur Fabrice Melquiot  s’en inspire et explore le style avec délice. L’écriture intarissable se délie, crue et puissante, sans détours. Ainsi, il est possible de mêler des tirades hautes et fortes à la façon d’Edmond Rostand et son Cyrano, à d’autres confidences, sortes de pensées soufflées, entre l’anecdote et la révolte comme le ferait Virginie Despentes. Le monologue se déverse, un torrent, un trop-plein sans fin. Pour ce soir de première, le son du micro de la comédienne n’est peut-être pas très bien réglé, pas assez fort, on se doute que les choses s'arrangeront plus tard, comme pour notre héroïne, on se répète que tout finira bien ; alors, on s’accroche aux mots, on s’accroche à elle comme à une planche qui flotte après un naufrage, on ne lâche rien.

Roland Auzet a créé une mise en scène où la jeune femme n’a de cesse de se cogner aux parois comme un insecte pris au piège d’une lanterne restée allumée tard dans la nuit. Seul, un grand frigo semble rappeler la société de consommation des années qui suivront en contradiction totale avec les soleils couchants imaginés des années 70. Sophie Desmarais est tendue comme un arc, elle décoche ses flèches, elle a décidé de comprendre cette vie-là peut-être pour en commencer une nouvelle… La Beat génération est à la fête, Leonard Cohen, William Blake, William Burroughs et pas loin aussi Jack Kerouac forment des vœux sincères pour un avenir meilleur. La Contre-culture américaine fait table rase, elle obscurcie tout sur son passage comme un tempête de sable en plein désert, un monde nouveau est convoqué, plus clairvoyant... Est-il là ? Est-ce qu’on l’espère encore ?

Créé en avril 2022 au Théâtre Prospero de Montréal, « The One dollar story » est une sorte de conte moderne, l’histoire d’un dommage collatéral, un de ceux que les révolutions laissent dans leur sillage. En attendant que le roman voit le jour, il faut aller aux Plateaux Sauvages pour partager ces vies qui se montrent, se laisser envelopper par le texte, assister à une performance inédite, artistique et esthétique, une expérience rare, un genre de théâtre immersif. Surprenant, vibrant et immanquable !

Laurence Caron

Photos © Pauline Le Goff

Lien permanent Catégories : EN FAMILLE, LETTRES, ONDES & IMAGES, SCENES 0 commentaire Imprimer

Les commentaires sont fermés.