C’est un personnage fragile et puissant, celui de Michaël enfermé dans un asile de fous, qui marque les premiers pas sur scène de Jean-Baptiste Maunier (très jeune star à l’issue du filmles Choristes de Christophe Barratier en 2004). Exercé au jeu par l’école de Lee Strasberg de New-York, Jean-Baptiste Maunier, du haut de ses 22 printemps, livre une démonstration qui semble puiser au plus profond de lui-même, il ne s’épargne rien, les tourments de son personnage vibrent, douloureusement, méthodiquement il décortique, analyse, digère et donne. Intense et physique, il y a quelque chose de Brando dans ce grand gamin là mais aussi quelque chose de Jean-Louis Barrault, une poésie discrète, un genre de s'excuser... Lire l'article
SCENES - Page 9
-
REWIND... En course pour LES MOLIERES 2014 : Jean-Baptiste Maunier et Christine Bonnard pour La Chanson de l’éléphant de Nicolas Billon, mise en scène Bruno Dupuis
-
REWIND... En course pour LES MOLIERES 2014 : "Des fleurs pour Algernon" de Daniel Keyes, mise en scène Anne Kessler au Théâtre Hébertot, nominé pour "LE MOLIERE", et, Grégory Gadebois pour le "Molière Seul en scène"
L’adaptation de Gérald Sibleyras et la mise en scène d’Anne Kessler sont en tout point parfaites, résolument contemporaines, la part belle est faite à la magnifique présence du comédien et à la sincérité du texte. L’intense scénographie de Guy Zilberstein, les lumières ingénieuses d’Arnaud Jung et l’inventivité sonore de Michel Winogradoff contribuent à offrir un écrin idyllique au jeu de Grégory Gadebois.
Pour écrire ces lignes, j’avoue mon impuissance, je ne suis pas certaine de retransmettre ici l’émotion incroyable ressentie dès les premiers mots prononcés par Grégory Gadebois jusqu’aux derniers, alors qu’ils retentissent encore…
Lire l'article ici -
REWIND... En course pour LES MOLIERES 2014 : "La Framboise Frivole" nominé pour le "Molière Théâtre Musical"
De nombreux compositeurs de variétés se sont inspirés avec talent du répertoire classique, je citerai Serge Gainsbourg qui a puisé allégrement dans le répertoire de Chopin ; pour « La Framboise Frivole » il s’agit d’une toute autre échappée belle… Aux Bouffes Parisiens, les notes classiques s’envolent, sous la voûte de ce temple du music-hall, pour se mêler aux sons et rythmes modernes. Les mélodies épousent les contours du répertoire de la chanson française (à moins que ce soit l’inverse) avec humour, et, laisse s’épanouir ce qui est sans contexte la plus belle invention de l’Homme : la Musique. Lire l'article
-
REWIND... En course pour LES MOLIERES 2014 : Robert Hirsch, Isabelle Gélinas, Ladislas Chollat, et, Florian Zeller nominé pour le "Molière de l'Auteur francophone vivant" pour Le Père au Théâtre Hébertot !!!
« Mais il ne doit pas vraiment avoir la maladie d’Alzheimer pour arriver à se souvenir d’un si long texte ? » : tout est dit. Cette phrase incroyablement naïve citée par ma voisine de rang, hier soir au Théâtre Hébertot, donne la mesure du talent du plus grand acteur français, aujourd’hui inégalé, celui de Robert Hirsch, et définit aussi la juste et raffinée écriture de Florian Zeller (déjà sa septième pièce écrite).
De sa toute puissante générosité, Robert Hirsch, clown absolu, incarne non pas «Le Père» mais tous les pères à la fois. Sa voracité est intacte, passé 88 ans, l’acteur distille mimes, grimaces, entre apartés savants et danses sautillantes, pour donner vie à ce personnage qui lui ressemble pourtant si peu, et dont s'échappe plus de cinquante ans de carrière. Lire l'article, ici
-
Etat de siège au Poche-Montparnasse : prolongation jusqu'au 26 juin !
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale en 1948, Albert Camus propose un nouvel écrit L'Etat de siège dont le caractère, universel et intemporel, raisonne encore. Il s’agit du déroulé schématique et froid qui précède, établi, entretient et finalement laisse s’écrouler -pour mieux renaître ailleurs- les rouages de la dictature. En référence à Pétain ou Franco, Camus dénonce le fléau du nazisme (entre autres) et l’installe dans une logique implacable.
-
Daphnis et Chloé de Benjamin Millepied, à l'Opéra Bastille jusqu'au 8 juin 2014
Le piège, lorsque l’on a beaucoup entendu parlé, et lu, de choses sur une œuvre, et en particulier sur une création, est que notre curiosité se transforme souvent en une hâte particulièrement exigeante. Ainsi, j’ai eu la chance de faire partie des premiers élus pour découvrir le « Daphnis et Chloé » à l’Opéra Bastille, de la star mi-bordelaise mi-américaine, qui sera dès novembre à la tête du ballet de l’Opéra de Paris, Benjamin Millepied.
Sur une idée de l’actuelle directrice du Ballet, Brigitte Lefèvre, le plasticien Daniel Buren s’est emparé de la scène de l’Opéra Bastille pour organiser l’espace de cercle jaune, carré orange ou rectangle vert. Les couleurs éclatantes, qui se fondent et s’enchaînent aux costumes fluides de Holly Hynes, font étrangement penser aux envolées lyriques du peintre Olivier Debré pour le chef d’oeuvre de Carolyn Carlson, Signe (1997, Opéra national de Paris). La beauté indiscutable des œuvres de Daniel Buren n’a rien perdu de sa puissance picturale, pourtant la même histoire semble se répéter.
Pour orchestrer cette somptueuse symphonie de Maurice Ravel, commandée par Diaghilev entre 1909 et 1912 (Ballets Russes), Phillippe Jordan est à la baguette pour accompagner le Ballet. Cette première fois pour lui est une très grande réussite, le chœur et l’orchestre de l’Opéra sont éblouissants, profonds et aussi passionnés que le propos. Les danseurs du Ballet de l’Opéra se régalent, les pas sont aériens, les sauts fréquents, cette chorégraphie est en parfaite cohérence avec la musique, elle est un hymne à la jeunesse : Hervé Moreau, Alessio Carbone, Eleonora Abbagnato et l’intrépide François Alu n’en font qu’une bouchée. Et puis, toujours divine, Aurélie Dupont est au sommet de son art, à un an de la retraite (incroyable ;-) ), l’étoile virevolte, swingue, s’échappe et s’élance avec une grâce surnaturelle.Pourtant, malgré cet enthousiasme qui révèle une musique résolument magnifique et qui épanouie tant le talent de ces jeunes danseurs, il y a un arrière goût amère, comme une impression de « déjà vu » (avec l’accent svp), c’est un peu dérangeant. La musique dicte les pas des danseurs dans une belle harmonie : les ensembles, solos, et pas de deux glissent sur la scène de Bastille dans une grande virtuosité - mais, qu’en est-il de la création au sens premier du terme ? Qu’en est-il de ce sentiment de découverte pour un phrasé différent, une courbe inattendue, une cassure déraisonnable, un saut impromptu, un plié savant ou le dépouillement insolent d’une avancée… J’avais lu, ici et là, quelques interviews de Benjamin Millepied, les mots qui l'accompagnaient étaient : « jeunessse » - ça, c’est fait - mais aussi : « nouveauté » (?), « risque » (?)...
Dans les cintres, Jérôme Robbins conduit les élans des danseurs, inspiré forcément par cette musique de Ravel qui lui rappel aussi sa collaboration avec Léonard Bernstein ; côté jardin, Roland Petit règle les pas de deux et les jambes de Zizi Jeanmaire n’ont de cesse de tournoyer autour de son partenaire, et côté cour, Angelin Prejlocaj précise les contours d'un baiser ailé...« Daphnis et Chloé » serait-il un hommage rendu par un bon élève à ses maîtres ?
Laurence Caron-Spokojny #cequiestremarquable
- soirée Balanchine / Millepied jusqu'au 8 juin à l'Opéra Bastille
-
Jusqu’au 13 mai 2014, l’opéra « A flowering tree » au Théâtre du Châtelet
Depuis hier soir, et, jusqu’au 13 mai, l’opéra «A flowering tree» se joue sur la scène du Théâtre du Châtelet, afin de poursuivre sa relation assidue avec le compositeur américain John Adams, après : Nixon in China en 2012, et, I was looking at the ceiling and then I saw the sky en 2013.
En 2006 à Vienne, pour célébrer le 250ème anniversaire de la mort de Mozart, Peter Sellars choisit un conte populaire Indien pour raconter la musique de John Adams, « A flowering tree ». Oscillant entre les codes du répertoire traditionnel indien, pour ne pas dire folklorique, et le kitch absolu du genre, Vishal Bhardwaj met en scène cet opéra dont le premier acte s’étire en longueurs infinies, autant dans sa narration que dans son illustration musicale. L’histoire se conte, en détails, à la façon d’un voyage initiatique : une jeune femme se transforme en arbre à fleurs sous réserve que certains soins attentifs lui soient prodigués ; un prince, fou d’amour pour ce don extraordinaire, épouse celle qui devient princesse… Le talent du narrateur, le barython Franco Pomponi, captive, et cela malgré la suavité de la mise en scène, l’absence d’effets, et la musique quelque peu lancinante s’avère trop minimaliste pour un propos aussi faible. Le ton est donné, le rythme particulier au théâtre indien est de découdre des sentiments et des émotions, l’histoire ne se révèle d’ailleurs pas d’un grand intérêt. Une recherche d’esthétisme s’appuie sur la stylisation gestuelle des interprètes, elle prend forme aussi par l’exercice chorégraphique peu probant de deux danseurs dont le scénographe Sudesh Adhana. Une poésie enveloppe l’atmosphère, la très belle présence de marionnettes laisse courir l'imagination. Il y a une sorte de dépouillement, une franche simplicité, quelque chose de décalé que l’on aimerait saisir…
L’orchestre Symphonique de Tours joue fort mais la baguette de Jean-Yves Ossonce est précise, et, tout comme la soprano Pauline Pfeiffer, l’ensemble prend des allures wagnériennes. Pour lui donner la réplique, le ténor David Curry offre une interprétation claire et moderne du Prince, ces trois chanteurs, mais aussi comédiens, ont l’extrême grâce d’articuler à merveille, nos yeux sont très peu attirés par le sur-titrage en français.
Entracte, patience...
Le second acte attaque, ce sont des ensembles chantés, les chœurs du Châtelet sont brillants, la partition contemporaine de John Adams s’éveille et trouve enfin une raison d’être. Il semble que le tragique soit bien plus inspirant, et, le deuxième acte passe à grande vitesse alors que sa durée est quasi identique au premier. Il est trop tard pour les impatients qui ont quitté la salle pendant l’entracte, tant pis pour eux. La musique s’exprime, elle sort de la fosse pour des envolées lyriques dont David Curry et Pauline Pfeiffer s’emparent sans défaillir. Le tableau final brode une sorte d’apothéose heureuse, l’esprit Bollywood n’est pas loin mais sans le faste.
La confrontation des genres n’est pas toujours du meilleur effet, et les chemins de traverses font parfois s’égarer, pourtant si l’idée était de surprendre ou de dérouter, le pari est réussi. Je m’interroge encore...
Laurence Caron-Spokojny
-
Muriel Robin : représentation exceptionnelle le vendredi 23 mai 2014 à l’Olympia
« ROBIN REVIENT TSOIN TSOIN » revient pour une seule date à Paris, au profit de l’association Joséphine, pour la beauté des femmes.
Créée en 2006 par Lucia Iraci, L’Association Joséphine pour la beauté des Femmes s'adresse aux femmes défavorisées afin de les aider à se réinsérer dans la société à travers l'apprentissage de la beauté.
La merveilleuse Muriel Robin est marraine de l’association depuis novembre 2013. Pour acheter vos places, c'est ici.
-
La très belle pièce "LES VAISSEAUX DU COEUR" est annoncée au moins jusqu'à fin mai au Théâtre du Petit Montparnasse !
George sans ‘s’ - son nom inspiré par George Sand, annonce déjà la couleur - est une parisienne, raffinée et cultivée. Gauvin - dont le nom héroïque est emprunté à un des chevaliers de la table Ronde - est un marin pêcheur, simple et rustre.
Entre ces deux héros, l’histoire d’amour se noue et se dénoue au rythme des pêches. L’amour partagé est passionné. Mais l’harmonie n’est pas au goût du jour, les contraintes sociales et culturelles enchaînent les amants et les contraignent à quelques rendez-vous entre Paris et des rives exotiques… Lire l'article ici -
Spamalot à Bobino, jusqu'au 19 avril
Lorsque l’humour british rencontre l’humour français, le mariage n’est pas forcément évident. C’est pourtant le pari gagné par Pierre-François Martin-Laval, dit PEF.
Inspiré par le film des Monty Python « Sacré Graal ! » (1975), puis créé sur scène à Londres en 2005, l’arrivée de « Spamalot » à Paris était très risquée ; ces dernières années les comédies musicales servies sur les planches parisiennes n’ont pas su être à la hauteur de leurs aînées londoniennes ou newyorkaises… Pourtant, après le succès en 2010 au Théâtre Comédia, la production de Spamalot continue à prouver le contraire à Bobino. Lire l'article"Aimer" la page facebook de Ce qui est remarquable
-
Christophe, INTIME, au Théâtre Antoine
Costard ringard coincé dans les santiags, définitivement scotché sur une époque que personne ne saurait exactement situer, Christophe entre sur la scène du Théâtre Antoine comme dans son salon, il connaît le lieu sans le regarder tout à fait. Expérimentation électro, le public tente de s’y retrouver... Des spots colorés balayent la brume. Tentative sophistiquée. Le brushing blond, maintenant presque blanc, est éclairé par le haut comme auréolé. Couinements funambulesques, le public soupire d’aise.
Christophe pianote, il se donne des airs de concertiste, des effets de lumières eighties rétrécissent l'espace du Théâtre Antoine, façon boudoir. Nostalgie amoureuse, rencontres hasardeuses, des petits riens déprimants enchantent de suaves mélodies. Délaissant les synthés pour le piano noir, comme sur le tableau noir du Cancre de Prévert, il dépouille, épure et réinterprète ses chansons comme s’il s’agissait d’un répertoire classique. L’oiseau de nuit instrumentalise tout, et le son persiste même quand il ne chante plus.
Quelques gorgées de Jack Daniel's rappellent que ce truc là ne se fait plus sur scène depuis belle lurette. Gainsbourg n’est plus. Même Jaeger et Bowie mangent bio et sirotent du thé vert. Mais lui, Christophe, il est celui qui a transformé son prénom en un genre à part entière, il ignore les nouvelles lubies des autres. Pas de mea culpa ici bas. Il râle un peu, il conduit sa chaise magique armée de son micro. Terminé les Ferrari. L’italien s’est calmé. Bavardages. Le chanteur yéyé cite Alan Vega, encore et toujours, à tel point qu’on ne sait plus lequel des deux a commencé à admirer l’autre. Le ton est aux confidences, anecdotes pas très neuves, le public lui répond. C’est cela qu’on appelle « l’intime ».
Brassens, pourquoi pas Barbara, alors que Bashung veille du haut des cintres... Quelle bonne idée cette articulation précise qui fait apprécier le texte, c’est mieux. Le public chante toujours. La réverbe à fond les balances envoie des échos comme sous la voûte céleste d’une cathédrale. Mystique de son propre mythe. Il parle de lui. Bonne parole. Maîtrise aiguisée de sa guitare…parfaite, et du micro.
Caricatural, entre les bobos qui regrettent une jeunesse punk qu’ils n’ont pourtant jamais eu, et, les mamies qui ‘savent rester jeunes comme Sylvie Vartan', le public de Christophe est en émoi, transporté. Rome-antique, les très classiques ‘mots bleus’ font planer. Pâmoison. Idolâtre. C’est cela, Christophe est un concept ou une autre sorte de dieu, à qui voudra bien l’écouter.
Laurence Caron-Spokojny
...et, parce qu'il impossible de résister au manque :
-
N’en doutez-plus, l’opéra est un art populaire, rendez-vous à la MC93 de Bobigny pour Don Giovanni
Ils sont beaux, ils sont jeunes, ils sont comédiens et ils ont de belles voix : il ne s’agit absolument pas du teaser de la prochaine comédie musicale du Palais des Sports mais de l’Atelier Lyrique de l’Opéra national de Paris ; pour sa septième production, « Don Giovanni » est présenté sur la scène de Bobigny.
« L’Opéra national de Paris propose un programme pour donner à des jeunes chanteurs et à des pianistes-chefs de chant en début de carrière les meilleurs atouts pour réussir dans leur vie professionnelle »,
Christian Schirm, Directeur de l’Atelier Lyrique.Hier soir, à la MC93 Bobigny, les jeunes artistes de l’Atelier Lyrique ont été à la hauteur de cette exigence. Sur scène, l’atmosphère dégage un véritable esprit de troupe - cela est rare, pour ne pas dire inexistant lorsqu’il s’agit du répertoire lyrique - la jeunesse des chanteurs et leur travail commun, au sein de l’Atelier Lyrique, semble éveiller un nouvel, et heureux, engagement, aussi bien musical que théâtral.
Pour ce Don Giovanni en italien, certains chanteurs se distinguent, selon l’alternance de la distribution, c’est le cas d’Andriy Gnatiuk par sa très belle voix de basse à la diction impeccable, il est Leporello, le valet de Don Giovanni, il fait preuve d'un talent de comédien tout aussi remarquable. Le jeune ukrainien fera ses premiers pas sur la scène de l’Opéra Bastille, en janvier 2015, dans Ariane à Naxos selon la mise en scène de Laurent Pelly, à suivre… Tiago Matos est un beau Don Giovanni, tout à fait crédible, il est aux côtés d’une Donna Elvira, Elodie Hache, à la carrière déjà très affirmée, dont la voix et la présence révèlent une puissance digne des plus grandes sopranos. Différemment, Zerlina proposée par Armelle Khourdoïan est, elle, tout en nuances et en couleurs, elle est aussi excellente comédienne et sa fraîcheur est ravageuse.Wolfgang Amadeus Mozart a fait fi de tout enchaînement dramaturgique logique, la musique est seule guide, les pages musicales se déroulent comme des frises dans un rythme étourdissant. Pour maîtriser cette course effrénée de notes qui tente d’être rattrapée par l’histoire de Lorenzo Da Ponte, le metteur en scène, Christophe Perton, a dessiné un large espace d’expression, à la façon d’un terrain de jeux, il semble que ce soit le fond d’une piscine. Les chanteurs évoluent dans un univers souhaité « contemporain » qui se scande par des claquements de portes, rien de très nouveau en somme ; ceci, malgré un intéressant travail vidéo, projeté sur le fond du décor, il s’agit d’une création extrêmement forte, Barbara Creutz en est l’auteure. Et puis, il y a ce regrettable parti pris de faire chanter les interprètes le visage non éclairé, il est temps que cette mode cesse...
"Lorsqu’on vient d'entende un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui." Sacha Guitry
Richard Wagner qualifiait Don Giovanni comme étant «l’opéra des opéras»… Mon propre et humble « top-Mozart » ferait passer devant cette première place Les Noces de Figaro, ou bien, La Flûte Enchantée, mais tout ceci est finalement une question d’humeur ou de saison. Dans « Don Giovanni » l’écriture vive du compositeur est d’une créativité telle qu’elle atteint une sorte d’émerveillement absolu, notamment à la fin du deuxième acte, l’entrée du Commandeur soutenu par ce chœur de basse, est une partition d’une beauté parfaite, une extase. L’Atelier Lyrique, les musiciens de l’orchestre-atelier Ostinato sous la baguette d’Alexandre Myrat et la Maîtrise des Hauts-de-Seine constituent un ensemble qui témoigne d’une interprétation pour laquelle la complexité et la richesse incroyable des notes ne sont pas des obstacles, la légèreté et l’extravagance du propos sont admirablement bien retranscris.
La musique et le livret romantique à souhait de Don Giovanni, et, la jeune équipe d’artistes choisis, servent une production d’un très remarquable niveau d’exigence. La MC93 Bobigny est aux portes de Paris, le prix des places est accessible (9 à 29 euros) et une navette gratuite est proposée en direction de la capitale à la fin du spectacle ; ainsi, les moyens sont réunis pour donner accès à cette musique universelle. L’art lyrique est, à la MC93 Bobigny, un art définitivement populaire.
Laurence Caron-Spokojny
photos © Cosimo Mirco Magliocca
-
GHOST TRACK au Théâtre Claude Lévi-Strauss, Musée du Quai Branly
Avant, hier soir, je ne connaissais pas encore le Théâtre Claude Lévi-Strauss. Heureuse découverte. Après avoir traversé les jardins du Musée du Quai Branly, il faut entrer dans l’enceinte du Musée et s’enfoncer dans ses entrailles. Ici, une salle de plus de 400 places propose des banquettes de cuir brun face à une large scène. Concerts, projections, conférences et spectacles, l’espace est très occupé, on y parle de singularité, de métissage, de tradition mais aussi de techniques contemporaines et de nouveaux langages. «Danse au Quai Branly» est donc une première approche, et GHOST TRACK de la «LeineRoebana Dance Company» arrive en ouverture de ce cycle printanier.
Harijono Roebana et Leine Andrea dirigent cette compagnie de danse néerlandaise. Les origines indonésiennes du chorégraphe Harijono Roebana ont trouvé leur écho au travail du compositeur indonésien Iwan Gunawan, directeur de l’ensemble de gamelan contemporain et de l’ensemble Kyai Fatahillah.
Cinq danseurs néerlandais et trois danseurs indonésiens confondent leur maîtrise du geste, soutenus par sept musiciens indonésiens entourés par leurs instruments traditionnels. L’ensemble est une réussite. Les musiciens entament chants sensuels, cris étranges, percussions envoûtantes et mélodies suaves selon d’astucieux mélanges, la musique contemporaine puise sans détour dans le répertoire traditionnel des éléments, fastes ou minimalistes, nécessaires à son existence. Dans la veine des contemporains Steve Reich ou Philip Glass, la création musicale assume sa contemporanéité autant que la création chorégraphique. En fait, l’un ne va pas sans l’autre.
Les danseurs déroulent une chorégraphie inventive, l’empreinte de la danse est bien celle du nord, Mats Ek et Pina Bausch veillent ; mais la courbure des mains et des pieds, les équilibres complexes et les regards farouches des danseurs sont inspirés du théâtre d’ombres, des danses rituelles ou des danses guerrières javanaises.
L’ensemble porté sur la scène du Théâtre Claude Lévi-Strauss est mue par une énergie forte, les danseurs se jettent littéralement sur scène. La danse répond à la musique, une conversation tout à fait naturelle s’est engagée. Les décors et les lumières participent à l’échange, même l’intervention d’une chanteuse, à l’allure kitchissime à souhait, ne parvient pas à troubler le voyage. Les histoires fantasques racontées par les danseurs indonésiens se nouent intimement à l’expression intuitive et radicale des danseurs néerlandais ; le langage corporel et l’intention musicale atteignent une sorte d’universalité, aboutie, et c’est là certainement le souhait révélé par le Musée du Quai Branly, Musée des Arts et Civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques.
Laurence Caron-Spokojny
-
Entre création et répertoire, Sa Majesté audacieuse...: la saison 2014-2015 de l'Opéra national de Paris, en scène !
L’Opéra national de Paris a démarré ce mois de mars sur les chapeaux de roues. Une nouvelle étoile, Amandine Albisson, a été nommée, ce mercredi 5 mars par Brigitte Lefèvre, à l’issue de la représentation du ballet Onéguine (chorégraphié en 1965 par John Cranko). Ce même soir, le futur directeur de la danse, Benjamin Millepied, qui succède dès la saison prochaine à Brigitte Lefèvre, proposait, au Théâtre du Châtelet, sa toute récente création L.A. Dance Project 2. Puis, ce vendredi 7 mars, l’AROP (l’Association pour le Rayonnement de l’Opéra de Paris) est venue -soutenue par l’équipe artistique de l’Opéra (Brigitte Lefèvre pour la danse, et, Christophe Ghristi pour le lyrique et les concerts)- présenter la saison à ses adhérents, autrement dit aux Amis de l’Opéra ; ce soir là, j’en faisais partie…
L’AROP soutien l’Opéra national de Paris, en termes de mécénat, depuis plus de trente ans avec un réel investissement et une grande énergie. Cet engagement, sans cesse renouvelé, concerne aussi un programme pédagogique remarquable : Dix mois d’Ecole et d’Opéra. Selon le Président de l’AROP, Monsieur Jean-Louis Beffa : « Il est essentiel que l'Opéra ne s'adresse pas qu'à une élite. D'où les actions en direction des enfants défavorisés, à priori éloignés de cette offre culturelle. Élargir l'Opéra au grand public est une de nos actions prioritaires ». Et, cette action est devenue essentielle. Destiné à offrir aux élèves (des Académies de Paris, Versailles et Créteil) une égalité de chance dans des lieux où l’éducation a un rôle plus que salvateur, ce programme permet de donner accès à l’Art et à la culture sur de nouveaux territoires. Par la pratique d’une discipline artistique, la rencontre, ou tout simplement par le simple fait d’assister à un spectacle, l’action engagée permet d'étendre l'horizon, et de libérer «la possibilité de» si nécessaire à la compréhension du monde. Pour l’heure, la volonté est d’inscrire cette action dans un contexte national par un partenariat avec les Opéras et Académies de Nancy et de Reims, un nouveau festival est attendu en 2015, à suivre…
Pour sa dernière saison, Brigitte Lefèvre, après avoir mené la danse pendant 20 ans (un record historique) du plus exigent Ballet du monde, a présenté son programme avec une belle émotion, tout en retenue, une passion, intacte, toujours très communicative :
Les trois coups du brigadier se feront entendre dès le 1er septembre 2014 à Garnier par l’invitation de la Compagnie de (la déesse) Pina Bausch le Tanztheater Wuppertal, plus tard en janvier 2015, une seconde Compagnie invitée s’installera à L’Opéra : Le Ballet de Suède. Deux pièces à la marque indélébile de (mon adoré) William Forsythe au répertoire du Ballet, et le si gracieux Etudes de Harlad Lander à Garnier seront suivis par la musique de Steve Reich adroitement mêlée aux pas dictés par Anna Teresa de Keersmaecker et son « Rain ».Le grand écart entre le contemporain et le classique sera, comme à son habitude, dès plus acrobatique, autant pour les danseurs que pour les agendas. La silhouette élégante de Rudolf Noureev ne cessera de hanter les cintres de l’Opéra (Bastille pour cette fois), lorsque les fêtes de fin d’année seront célébrées au rythme de son tendre et féerique Casse-Noisette - à cette occasion aura lieu la matinée Rêve d’Enfants. A noter aussi, pour faire venir le printemps, le mythique Lac des Cygnes… La Source de Jean-Guillaume Bart, et le magistral décor d’Eric Ruf coloré par le faste des costumes de Christian Lacroix, se fondera à merveille entre les velours rouges de Garnier.
Pour leurs réalisations contemporaines, Garnier accueillera deux nouvelles créations celle de Pierre Rigal pour «Salut», entouré par le talent de Nicolas Paul et une pièce d’Edouard Lock. Puis, Maître John Neumeier signera, dès février 2015, Le chant de la terre, l’œuvre promet d’être profonde et évocatrice, l’inspiration du chorégraphe éveillée par la musique de Gustave Malher offrira au chant une place intéressante. Toujours dans l’excellence, Elisabeth Platel présentera Les Démonstrations de l’Ecole de Danse en avril.
L’Histoire de Manon et les adieux d’Aurélie Dupont chargeront d’émotions l’atmosphère de Garnier. Suivront le poétique 'Paris disparu' des Enfants du Paradis de José Martinez, et, la reprise de L’Anatomie de la sensation de Wayne McGregor, ce dernier ballet clôturera la saison avec l’Ensemble Intercontemporain.
Après ces nombreux pas, voici quelques justes notes... Philippe Jordan domptera, de septembre à juillet, pas moins de neuf Symphonies de Beethoven. Alors que l’Amphithéâtre proposera des Rencontres plus intimistes avec le Ballet, et les Convergences ingénieuses de Christophe Ghristi. Le Festival d’Automne consacrera un cycle aux œuvres de Luigi Nono, et Rameau prendra possession de Garnier en s’y exposant pour l’hiver. Sous la direction de Christian Schirm, l’Atelier Lyrique lancera de nouvelles productions et une création : Maudits les innocents, en décembre.
La Traviata mise en scène par Benoît Jaquot et la voix formidable de Dimitri Hvorostovsky, puis une nouvelle production du Barbier de Séville, et, l’ardente Tosca de Béatrice Uria-Monzon dans une toute nouvelle production, s’installeront à Bastille.
Ce sera ensuite la découverte de l’Enlèvement au Sérail de Zabou Breitman, les accents fervents de Puccini selon la mise en scène de Jonathan Miller pour La Bohème, le légendaire Don Giovanni de Michael Haneke, le retour de Karita Mattila dans Ariane à Naxos, et l’absolue pureté Wilsonienne de Pelléas et Mélisande. Michel Plasson voyagera entre Bastille à Garnier, en mars et en avril, pour la direction musicale de Faust et Le Cid. Robert Carsen fera entrer une lumière incomparable sur la scène de Bastille avec Rusalka de Dvorak et La Flûte enchantée, en avril et jusqu’en juin.
Il est à remarquer, une œuvre lyrique inattendue, Le Roi Althus de Chausson, qui précédera l’Alceste d’Olivier Py dans les décors éphémères de Pierre-André Weitz. Enfin, la somptueuse Angela Gheorgiu fermera la grande maison pour l’été dans le rôle de Adriana Lecouvreur de Cilèa.
Il est aisé de constater que cette énumération n’est pas exhaustive, la composition de la saison de l’Opéra national de Paris est encore bien plus riche et bien plus haute en couleurs. Ainsi, 2014/2015 est la promesse d'une saison brillante pour accueillir l’arrivée de Stéphane Lissner et Benjamin Millepied, ce nouveau duo artistique fera ses premiers pas sur une terre déjà fertile.
Aujourd’hui, il est à souhaiter que le souffle de contemporanéité absolue - qui a été projeté par la fine intelligence de Gérard Mortier (1), sur la scène de l’Opéra Bastille, pour Tristan et Isolde (2) de Wagner dans une mise en scène de Peter Sellars et argumenté par l’art maîtrisé de Bill Viola - soit un exemple pour tous et n’ait de cesse de créer des passerelles entre les arts.
Laurence Caron-Spokojny
1. Gérad Mortier est décédé le 9 mars 2014, il fut Directeur de l’Opéra national de Paris entre 2004 et 2009
2. Cette œuvre sera reprise en avril 2014 et sera dédiée à Gérard Mortier.
Entretien avec Philippe Jordan : Tristan und... par operadeparis -
Mary Prince à la Manufacture des Abbesses, jusqu'au 22 mars
Mary Prince se tient là, droite et fière, sur la scène de la Manufacture des Abesses, elle raconte son histoire.
En 1831, le récit de Mary Prince fut le premier témoignage écrit avant l’abolition de l’esclavage qui fut prononcée le 27 avril 1848 par ces mots : «Le sol de France affranchit l'esclave qui le touche». Puis, très tardivement, en mai 2001, l’esclavage est reconnu comme crime contre l’humanité par une loi initiée par Christiane Taubira.
-
Médée, poème enragé, selon Jean-René Lemoine, à la MC93 de Bobigny : the ultimate experience
Médée aime, tue et fuit… puis Médée aime, tue et fuit, encore et toujours.
La magicienne ne conçoit aucune limite à son amour lorsqu’elle l’offre, et aucune limite si cet amour lui est repris. Eternelle amoureuse, esclave sentimentale ou manipulatrice vengeresse, Médée déifie les passions, elle donne la vie comme un cadeau ou la reprend comme une punition, suit les battements de son cœur et répond à ses affres passionnelles avec une logique et une froideur implacable.
Pour l’avoir écrit et composé, et pour lui donner souffle, Jean-René Lemoine impose un être hybride, homme, femme, démon, ange, dieu, déesse. Jamais violente, ni hystérique, l'autorité du comédien est toute en nuances, envoûtante…
Il absorbe mon oxygène, il m’oblige à me plier à son propos par une écoute attentive, vouée. Aucune sortie possible, la magicienne fait son œuvre, nous sommes emmenés au delà des mers, le soleil est à son zénith et seule la poussière soulevée par le passage d’un char ou le galop d’un cheval vient troubler ce bleu méditerranéen. Parfois, je tente de jeter un œil de côté pour échapper au magnétisme, juste une seconde pour respirer, je cherche à restaurer une sorte d’équilibre entre les émotions qui me submergent et l’immobilisme de mon corps, mais la lutte s’avère vaine, aussitôt rattrapée, terrassée, je me laisse à nouveau envelopper par la toute-puissante histoire.La présence souveraine et délicate de Jean-René Lemoine laisse échapper quelques chaudes mélopées, cette création musicale de Romain Kronenberg est salvatrice. En l’espace d’une heure trente, à la fois terrien puis aérien, Jean-René Lemoine quitte les Hommes pour rejoindre les dieux de la mythologie grecque. Parmi eux, l’auteur et comédien incarne éperdument mais toujours dans la juste mesure, une performance profonde totalement hors du commun. Impossible de m’en sortir indemne –applaudissements– je suis meurtrie par cette Humanité qui se bat contre elle-même, mais forte et riche de cet art parfait et abouti. Ce dimanche après-midi, je retrouve un soleil de plomb, je respire, Médée ne me quittera plus.
« Médée, poème enragé » est un rendez-vous entre notre Humanité et la monstruosité qu’elle nourrit, celle-ci est racontée dans toute son universalité sur un ton qui n’appartient à aucun espace temps ou bien à tous. Jean-René Lemoine offre une performance qui dépasse le concept du « spectacle », il s’agit d’une expérience bouleversante qui donne à voir l’invisible.
A Bobigny, au début des années 90, j’ai découvert Sellars, Wilson, Découflé... - chocs - lumières - il semble que la Maison de la Culture de la Seine Saint-Denis poursuive toujours, avec zèle, l’action culturelle initiée par Malraux dans les années 60. Il est impératif de réserver vos places pour ce spectacle et d’éveiller votre curiosité pour la suite de la programmation en 2014.
Laurence Caron-Spokojny
Texte et mise en scène Jean-René Lemoine - Création musicale et sonore Romain Kronenberg avec Jean-René Lemoine et Romain Kronenberg Collaboration artistique Damien Manivel - Dispositif scénique Christophe Ouvrard - Costume Bouchra Jarrar - Lumières Dominique Bruguière Assistanat lumières François Menou - Assistanat à la mise en scène Zelda Soussan
Médée poème enragé, ce texte est publié aux Solitaires intempestifs
-
Gauthier Fourcade, dernière le 16 mars : dépêchez-vous !
Gauthier Fourcade à l’allure d’un Géo Trouvetou, le funambule s’élance sur la piste et tient l'équilibre pendant plus d'une heure et demie ; en dadaïste averti, il jongle avec les mots, déroule sur la scène de la Comédie Bastille de fumeuses théories, et, entrelace jargon éclairé et complots linguistiques…
Dans une mise en scène de François Bourcier, et, soutenu par la plume de Marc Gelas, "Le secret du Temps Plié" est un voyage aux confins de l'univers...
drôle, sensible et savant ! -
Génial ! L’« Etat de siège » d’Albert Camus au Théâtre de Poche-Montparnasse
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale en 1948, Albert Camus propose un nouvel écrit L'Etat de siège dont le caractère, universel et intemporel, raisonne encore. Il s’agit du déroulé schématique et froid qui précède, établi, entretient et finalement laisse s’écrouler -pour mieux renaître ailleurs- les rouages de la dictature. En référence à Pétain ou Franco, Camus dénonce le fléau du nazisme (entre autres) et l’installe dans une logique implacable.
Nous entrons dans un monde où «rien ne bouge», «tout va bien» en apparence, jusqu’au jour où La Peur vient bouleverser ce trompe-l’oeil moral et sociétal. La confusion est un terrain propice pour y faire naître ses valeurs : l’asservissement, l’obscurantisme et surtout la manipulation de l’opinion et des esprits mènent enfin à la résignation ; tout puissant Le Mal règne.
L’Etat de siège fut créé en 1948 au Théâtre Marigny selon une mise en scène de Jean-Louis Barrault, sur une musique d’Arthur Honegger, des décors et costumes de Balthus, et, avec une distribution toute aussi ahurissante : Jean-Louis Barrault, Madeleine Renaud, Maria Casarès, Jean Desailly, Simone Valère, Pierre Brasseur, Pierre Bertin ...
Au Théâtre Marigny, la pièce s’était installée pour trois heures, vingt-cinq comédiens dans des décors magistraux ; sur la scène du Poche-Montparnasse, six comédiens tiennent Etat de siège en moins d’une heure trente dans des décors de «poche».
Il m’est hélas impossible de comparer les deux versions, celle de 1948 et celle d'aujourd'hui, mais il est aisé de constater que les procédés artistiques mis en place pour cette adaptation, avec les décors de Vincent Léger, les marionnettes de Juliette Prillard et la lumière de Jacques Puisais, s’accordent aux mouvements sénographiques et aux choix musicaux avec une rare efficacité. A tambours battants, les comédiens se jettent sur scène avec passion. L’esprit de troupe rafraîchissant gomme quelques inégalités de jeu, notamment lorsque le jeune Adrien Jolivet lance quelques tirades dos au public (?), mais Antoine Seguin (dans les pas de Pierre Brasseur) mène avec force la joyeuse équipe, et, les comédiens et comédiennes servent brillamment le texte en se partageant énergiquement et adroitement les rôles.
Le sujet est grave, impitoyablement contemporain, et pourtant le génie infini de Camus le fait user de toutes les techniques théâtrales possibles, de la farce au mélodrame, rien ne lui échappe. C’est ainsi que le Théâtre retrouve sa fonction première, souvent oubliée dans nos salles : « la distraction », le divertissement, et cela la metteur en scène Charlotte Rondelez l’a très bien compris pour cette version au Poche-Montparnasse. Cette adaptation est bourrée d’inventions, tout en perspective, le décor proposé est ingénieux et offre un territoire d’expression transformable. Le ton, radicalement burlesque et savoureusement déjanté, permet de ratisser un large registre d’émotions. La bienveillance et la cruauté se côtoient au plus près de notre Humanité ; avec cette pièce, Albert Camus nous rappelle, à nouveau, et, à quel point, il demeure le plus grand des auteurs.
Etat de siège est un divertissement intelligent et un instant délicieux à partager. Je préconise de s’inspirer de son propos, tant il respire la créativité, afin de nous rappeler, si justement, qu'il ne faut jamais abandonner la lutte ! Résistez.
Laurence Caron-Spokojny
-
Le feu sacré de Gersende Perrin !
Sur la scène du ravissant Théâtre la Bruyère, un homme veille au chevet de son meilleur ami, atteint d’une paralysie totale, ce dernier ne s’exprime plus qu’en clignant des yeux. Au bilan d’une vie, ou plutôt de deux vies, remords, confidences, amitié et jalousie s’expriment et se confrontent…
L'auteur de « Comme un arbre penché », Lilian Lloyd, a emprunté son pseudonyme à Harold Lloyd, acteur burlesque américain, star du cinéma muet des années 20. Loin de la cascade de son illustre mentor (accroché aux aiguilles d’une pendule), c’est par l’écriture que Lilian Lloyd fait entendre sa voix aussi bien au cinéma, en multipliant sa participation à la production de courts métrages (récemment pour le beau court métrage de Simon Lelouch Nous sommes tous des êtres penchés), et, au théâtre depuis plus de dix ans (à l’affiche : Des accordés au Théâtre Le Bout, éditions Eclats d’encre).
Sur scène, Francis Perrin alterne facéties et compositions variées, le comédien fait quelques pas sensibles du côté du tragique dans lequel on souhaiterait le voir s’engager un peu plus…
A ses côtés, sa très remarquable femme Gersende Perrin interprète, par sa présence délicate, le rôle de « l’aide soignante ». Flamboyante à l’égale de sa chevelure rousse, et totalement imprégnée d’empathie, de pudeur et de courage, Gersende Perrin a un doux sourire et un regard profond, elle s’approprie si bien son rôle que ses apparitions, écrites toutes en ponctuations, finissent par occuper tout l’espace. Gersende Perrin est une comédienne magnifique.
Pour harmoniser habilement cet ensemble, Jean-Luc Tardieu ne s’est à nouveau pas trompé. Sa mise en scène, fluide, dorlote les acteurs, mesure leurs déplacements avec énergie et naturel tout en épousant les nuances du texte. Avec Les vaisseaux du Cœur actuellement à l’affiche du Petit Théâtre Montparnasse, le metteur en scène montre à quel point il sait donner du relief à la profondeur des sentiments.
La pièce de Lilian Lloyd, née sous l’impulsion de Michel Leeb, évoque un sujet douloureux qui pourrait être traité de la façon la plus triste qui soit : ce n’est absolument pas le cas. La plume de Lilian Lloyd triture le tragique avec des accents poétiques et quelques échappées drolatiques, ajoutés à cela une retenue modeste et ce ‘je ne sais quoi’ de surréaliste qui fait tant de bien à notre époque et à nos esprits…
Comme un arbre penché va puiser aux confins de notre humanité pour en rapporter ce qu’il y a de meilleur. Une petite séance de «bons sentiments» est à recommander par les temps qui courent.Laurence Caron-Spokojny
-
Fureur au Théâtre de l'Essaïon : une rage terriblement drôle !
La musique classique est un art qui s'approche du divin, et ceux qui tendent à la maîtriser peuvent parfois se considérer comme des sortes de divinités…
C’est le cas pour le Maestro crée par Victor Haïm, formidablement interprété par Benjamin Bollen et astucieusement mis en scène par Stéphanie WURTZ, les lundis soirs sous la voûte (céleste pour cette fois) du Théâtre Essaion.Les musiciens d’orchestre sont un genre d’artistes à part… La formation en orchestre leur permet de faire corps afin de défendre leurs droits, dans un théâtre, ou bien face à un chef d’orchestre trop exigeant. Ce soir là, le chef d’orchestre a dépassé les bornes, et ses musiciens, syndiqués pour la plupart, ont décidé de le virer, le vote s’est prononcé à l’unanimité sauf une voix.
-
"j'aime, j'aime, "j'aime" : L.A. Dance Project, du 5 au 9 mars 2014 au Théâtre du Châtelet
« J’ai rêvé d’un compagnonnage d’artistes et d’un collectif de créateurs parce que la danse est disséminée partout. [...] Un projet autour de la danse et de tout ce qu’elle peut représenter aujourd’hui. » C’est ainsi que Benjamin Millepied s’exprimait au moment de lancer ce L.A. Dance Project, né de son amour de Los Angeles, scène artistique au bouillonnement incessant.
Le danseur et chorégraphe français, produit d’une éducation chorégraphique parfaitement classique, nourri de Balanchine et de Robbins, veut créer un modèle original, donner une nouvelle définition de la collaboration artistique. Nommé directeur de la danse de l’opéra de Paris, il aspire cependant à rester proche de cette expérience féconde. déjà présent en 2013 au Châtelet, le groupe proposait des œuvres de Merce Cunningham, William Forsythe et Benjamin Millepied, ce dernier signant aussi une création mondiale. L.A. Dance Project offre cette fois de mettre en valeur des œuvres de chorégraphes délibérément hors des sentiers battus.
"Aimer" la page facebook de Ce qui est remarquable
-
"A suivre!", les Fables d’Isabeau de R. au Théatre de Dix-Heures
« Le Cabaret des arts » fut la première enseigne du lieu, puis « La lune Rousse » en 1904 pour enfin être baptisé le Théâtre de Dix-Heures en référence au roman de Courteline « Les linottes » en 1912 : « Je vous dis que l’homme qui fondera un théâtre de Dix heures, pratique, confortable, élégant et où on ne jouera que des pièces gaies – car les heures ont leurs exigences – gagnera une fortune, par la force des choses, par le seul fait qu’il aura étanché une soif. »
Cette prédiction littéraire s’est avérée juste. Le Théâtre de Dix-Heures, sur le trépidant boulevard de Clichy, mêle adroitement têtes d’affiches et nouveaux talents. L’esprit est à la découverte et au rire. Dans la salle chaleureuse de velours rouge, il est impossible de tricher, la proximité entre les artistes et le public est fondu de sincérité, presque épidermique.
Après les riches et belles heures de Jean Michel Joyeau et Michel Miletti, Juste Pour Rire dynamise le lieu depuis 2007. Les humoristes se disputent la scène ; pour confronter leur art, le choix ne doit pas être toujours aisé mais en cela Juste pour Rire possède un savoir-faire indiscutable.
Parmi ces artistes, il y a Isabeau de R. Avec assurance, Isabeau franchit la scène, elle n’a pas vraiment l’air de s’excuser d’être là, vous êtes ici chez elle.
Pour cette fois encore, il s’agit d’une bourgeoise (c’est son crédo), un peu réac ou plutôt nostalgique, elle jette un œil lucide sur les changements qui se sont opérés ces quarante dernières années. Entre stand-up, parodie burlesque et parfois même imitation, l’humour d’Isabeau n’attaque personne, elle épouse juste les courbes d’un personnage et témoigne d’une (sa ?) réflexion sur l’éducation, les parents, les enfants, la télévision. Isabeau regarde un univers immédiat, concret, elle titille les points les plus faibles, les nôtres ou ceux de votre voisin de fauteuil. Il y a plusieurs entrées, plusieurs niveaux de compréhension à son univers, ainsi chacun en prend pour son grade. Très efficacement, les sketches s’enchaînent selon une mise en scène d’Hélène Serres : "La Caissière" est un exercice textuel formidable, " Les Fables" sont des virgules indispensables, "Bonne nuit" est très bien vu,…
Isabeau de R. s’adresse à tous, charmeuse et pétillante, elle promet de vraiment beaucoup vous amuser avec "chic et décontraction". Rendez-vous au 36 boulevard de Clichy différentes méthodes vous seront proposées pour ne pas devenir « de vieux cons » (dixit Isabeau de R.). Laurence Caron-Spokojny
"Aimer" la page facebook de Ce qui est remarquable
-
TILT ! au Poche-Montparnasse : Bruno Solo et Sébastien Thiéry sont remarquables !
Les mots se déplacent, ils vont et viennent, ils claquent les portes, ils se murmurent ou bien ils se crient, et même si les mots ont plusieurs vies et ont la faculté de fendre l’espace, ils restent une affaire d’hommes. Sans les hommes pour les écrire et pour les dire, les mots ne seraient rien.
Sur les planches du Poche-Montparnasse Bruno Solo et Sébastien Thiéry sont les serviteurs efficaces et zélés de ces mots ; ces mots sont nés de la plume exercée de Sébastien Thiéry et ils sont mis en scène, au cordeau, par Jean-Louis Benoît. La performance d’Antony Cochin est aussi à remarquer, le comédien propose quelques virgules burlesques déjà inscrites sous l’enseigne clignotante « culte ». Lire la suite de l'article
-
Pour porter un regard, à la fois un regard scientifique et humaniste, sur Albert Einstein et son siècle : deux géants, Francis Huster et Jean-Claude Dreyfus
En 1934, Albert Einstein a fui l’Allemagne nazi, il est réfugié aux USA, à Princeton. A 55 ans, le lauréat du Prix Nobel de Physique rencontre, sur les rives d’un lac du New Jersey, un vagabond, écorché vif par la disparition de son fils sur le champ de bataille en 1918…
Les deux personnages, dont la relation se nourrit d’échanges intellectuels, souvent houleux, font croître peu à peu une véritable amitié. -
Les amants terribles, de Benoîte Groult, embarquent sur "Les vaisseaux du coeur", au Petit Montparnasse
George sans ‘s’ - son nom inspiré par George Sand, annonce déjà la couleur - est une parisienne, raffinée et cultivée. Gauvin - dont le nom héroïque est emprunté à un des chevaliers de la table Ronde - est un marin pêcheur, simple et rustre.
Entre ces deux héros, l’histoire d’amour se noue et se dénoue au rythme des pêches. L’amour partagé est passionné. Mais l’harmonie n’est pas au goût du jour, les contraintes sociales et culturelles enchaînent les amants et les contraignent à quelques rendez-vous entre Paris et des rives exotiques…« C’est trop compliqué d’écrire une histoire d’amour » : c’est ce qu’affirme l’héroïne de Benoîte Groult. Pourtant, l’auteure a su remporter le défit dans un écrit résolument moderne. « Les vaisseaux du cœur » dépasse le style du 'roman d’amour' qui consiste à décrire la puissance du sentiment amoureux. Benoîte Groult, avec l’alibi de la romance, affirme un engagement féministe, limpide et combatif. A cet esprit militant s’ajoute un amour immodéré pour la mer - partagé avec son mari, l’écrivain et journaliste, Paul Guimard - et se délie sous une plume aiguisée. « Les vaisseaux du cœur » ont remué la bonne conscience et bousculé les diktats à leur sortie en 1988, et c’est tant mieux !
Deux en scène, Josiane Pinson et Serge Riaboukine, jouent sur un quai ou sur le bord d’un ponton qui prend parfois l’allure d’un lit immaculé, théâtre de leurs ébats. Des pans d’étoffe d’un blanc pur, suspendus aux cintres, les empêchent parfois d’avancer, empêtrent leurs déplacements, comme autant de contraintes qui gênent leurs vies. Ainsi, Jean-Luc Tardieu peint la toile de fond de l’histoire selon une mise en scène impeccable qui, toujours, prend grand soin des comédiens et sert le texte avec raffinement.
Josiane Pinson a adapté le texte de Benoît Groult. Parfaitement ajustée, elle se glisse dans la peau de George, elle touche juste, elle interpelle, et son personnage est souvent très agaçant, elle veut tout sans rien donner, et cela elle en est tout à fait consciente... Le temps de la représentation, elle incarne un féminisme qui poursuit la lutte (incessante et toujours d'actualité) ; l’amour physique, décrit en termes crus, est un prétexte pour faire entendre sa voix. Comparée à son amant, George semble être la moins libre à moins qu’elle soit la plus réaliste, il est à chacun d'entamer cette réflexion... Josiane Pinson fait aussi office de narratrice, et malgré l’importance de son texte, elle laisse toute la place nécessaire aux courtes répliques de son partenaire. Serge Riaboukine est Gauvin, il campe un marin pêcheur plus vrai que nature, il ne cesse d’opposer sa forte stature à une candeur masculine désarmante. La performance de l’acteur est d’une grande poésie nourrie par de très délicates intentions de jeu.
Le couple de comédiens fait preuve d’une sincérité absolument magnifique. Il n’est pas question de confronter l’homme et la femme, mais plutôt d’assister à une sorte d’union sacrée qui tente de résister coûte que coûte aux contraintes imposées par la société mais surtout aux idées reçues de chacun. « Les vaisseaux du cœur » est encore une très, très jolie pièce proposée au sein de la toujours très artistique saison du Petit Montparnasse.
Laurence Caron-Spokojny
-
« Hollywood » est un triomphe depuis deux saisons, après Daniel Russo, Samuel Le Bihan et Dominique Pinon, le Théâtre de la Michodière poursuit l'histoire avec Thierry Fremont, Pierre Cassignard et Emmanuel Patron.
Entrer dans le hall du théâtre de la Michodière est déjà un voyage dans le Hollywood des années 30. La décoration précieuse, intacte jusqu’à ce jour, de Jacques-Emile Ruhlmann, ornée d’appliques stylisées, de moulures courbes et de lignes géométriques et de sa moquette graphique rouge et or, révèle ici la puissance esthétique des années Art Déco. On imagine aisément que la décoration du bureau du célèbre producteur de films David O. Selznick devait s’en approcher.
L’enjeu est aux films en Technicolor ; en 1939, le tournage de «Autant en emporte le vent» est stoppé. David O. Selznick vire le réalisateur George Cukor et convoque Victor Fleming, déjà sous contrat pour «Le Magicien d’Oz». Pour une réécriture du script, du best seller éponyme de Margaret Mitchell paru trois ans plus tôt, David O.Selznick fait appel au talent du scénariste Ben Hecht.
Voici, Pierre Cassignard, Thierry Fremont et Emmanuel Patron pris dans un huit-clos délirant sur la scène d’un des temples parisiens du théâtre de Boulevard.
Faire un film a quelque chose de l’ordre de l’hystérie, une volonté farouche, et cela Ron Hutchinson, le dramaturge britannique, a su le décrire dans la composition de ses trois rôles essentiels : le producteur, le scénariste et le réalisateur. Les trois comédiens rivalisent de talent et leur joie de jouer ces personnages extravagants est communicative, le public est plié de rire. La mise en scène classique mais très efficace de Daniel Colas fait virevolter les comédiens, les artistes énergiques défoulent un jeu viril, nécessaire au propos. Les personnages ne se prennent pas au sérieux, ils doutent, et cette humanité désarmante parvient à s’exprimer dans un désordre débordant parfaitement orchestré.
Pierre Cassignard personnifie LE producteur, si proche du personnage réel David O.Selznick, dans sa fragilité autant que dans son rôle de visionnaire génial, sa performance est autant physique qu'inventive et exacte. Le réalisateur, Victor Fleming, incarné par Emmanuel Patron, apparaît sensible et totalement embarqué dans son rôle fantasque de réalisateur ; Emmanuel Patron est tout aussi juste que Thierry Fremont qui, définitivement dingue, est si habité par son personnage qu’il se jette sur la scène dans un abandon magnifique ! Quant au rôle féminin (pas vraiment à son apogée) illustré par de charmantes et très essentielles apparitions de Françoise Pinkwasser, dans le rôle de la secrétaire du producteur, rythment très subtilement l’enchaînement des scènes. C’est 1h40 de spectacle partagé dans la joie... Terrible !
A l’aube de la naissance du plus gros succès du cinéma américain, l’Amérique des années 30 vibre d’une créativité artistique aujourd’hui encore inégalée. Pourtant, dans le désordre, l’ombre de la fragilité économique au lendemain de la crise de 29 plane encore, l’idéologie dangeureuse du nazisme menace, la montée de l’antisémitisme en Europe est aussi bien présente aux Etats-Unis, le racisme et sa marque indélébile de l’esclavagisme règnent, et même une certaine forme de misogynie, sont évoqués ici avec beaucoup de ferveur et de raffinement. Sans en avoir l’air, cette pièce est le juste dessin d’une époque.
La finesse du propos, ajoutée à la performance de ces très (très, très, très) grands comédiens, donne une vraie classe au parti pris burlesque de la pièce. Le théâtre de Boulevard affiche « HOLLYWOOD » au fronton du Théâtre de la Michodière en lettres de noblesse… pourvu que ce phénomène soit contagieux !
Laurence Caron-Spokojny
Pour "aimer" la page facebook de "Ce qui est remarquable", c'est par ici
-
« Des fleurs pour Algernon » au Théâtre Hébertot, interprété par Grégory Gadebois : attention chef-d'oeuvre !
Charlie Gordon est un jeune homme simple, il n’est pas bête, il est juste « simple ». Il travaille dans une usine dans laquelle il est chargé du nettoyage des toilettes. Régulièrement, deux de ses amis l’invitent pour boire un verre, ils le font boire pour se moquer de lui.
A l’université Beekman, Charlie suit les cours de Miss Kinnian, il apprend à lire et à écrire avec une grande assiduité. Sa motivation extrême est remarquée par deux éminents professeurs qui lui proposent de démultiplier ses facultés intellectuelles par une intervention du cerveau totalement inédite. Cette intervention a déjà été réalisée sur une souris blanche, Algernon. Avant et après l’opération programmée, les scientifiques demandent à Charlie de noter, chaque jour, ses impressions sur un cahier…
Juste après Robert Hirsh (Le Père) et avant Michel Bouquet (Le roi se meurt), Grégory Gadebois est sur les planches du Théâtre Hébertot, et ce dernier est largement à la hauteur de ses voisins !
Hier soir, Grégory Gadebois a englouti la salle entière dans les pages du journal intime de Charlie Gordon. Au départ, ce fut une nouvelle « Flowers for Algernon » écrite par David Keyes, publiée pour la première fois en 1959, et aussitôt récompensée par le Prix Hugo en 1960 ; puis en, 1966, l’histoire, transposée en roman, reçoit le Prix Nebula du meilleur roman (prix réservé à la Science fiction).
L’adaptation de Gérald Sibleyras et la mise en scène d’Anne Kessler sont en tout point parfaites, résolument contemporaines, la part belle est faite à la magnifique présence du comédien et à la sincérité du texte. L’intense scénographie de Guy Zilberstein, les lumières ingénieuses d’Arnaud Jung et l’inventivité sonore de Michel Winogradoff contribuent à offrir un écrin idyllique au jeu de Grégory Gadebois.
Pour écrire ces lignes, j’avoue mon impuissance, je ne suis pas certaine de retransmettre ici l’émotion incroyable ressentie dès les premiers mots prononcés par Grégory Gadebois jusqu’aux derniers, alors qu’ils retentissent encore…
La sensibilité brute révèle un travail, une recherche, de la part du comédien, incomparable. Le texte est oublié pour être éperdument incarné, Charlie Gordon prend vie d’entre les lignes de son journal intime. Il y a une juste mesure, respectée, et maniée avec la plus grande dextérité pendant 1h20 sans jamais faillir. Le comédien triture nos sentiments, il les fouille avec gourmandise avec la même aisance qu’un enfant plongé dans un sac de bonbon. La douce diction de Grégory Gadebois rythmée par sa gestuelle de virtuose ajoutent à la présence chaleureuse et intense du comédien. Pourtant, la pudeur est profonde, elle résiste, et l’angélisme du personnage fait fondre son auditoire. Le public est liquide, déplacé comme une marée, remué par une forte et indicible houle.
Charlie Gordon s’introspecte méticuleusement avec les mots les plus simples, il observe ce double, absurde, une souris de laboratoire. La cruauté de l’humanité réside là dans ce rapport empathique bourré de tendresse, si bien décrit et si bien joué, entre un homme et une souris, ou bien entre un homme et lui-même. Et puis, il y a cet enjeu de l’intelligence qui se déploie avec arrogance pour dépasser l’affect ; le déséquilibre ultime, l’un ne va pas sans l’autre, son QI écrase toutes formes de sentiments, jugés inutiles…
« Des fleurs pour Algernon » est une parfaite fusion, absolue, entre un comédien et un texte. Et, trêve de bavardages, je ne saurai mieux vous l’exprimer ici que par ces mots : Au Théâtre Hébertot, « Des fleurs pour Algernon », interprété magistralement par Grégory Gadebois, est un chef-d’œuvre !
Laurence Caron-Spokojny
Pour "aimer" la page facebook de "Ce qui est remarquable", c'est par ici
-
Après les glaces des océans, Géraldine Danon brûle les planches du Dejazet jusqu'au 28 février
Ces dernières années, Géraldine Danon est une comédienne bien trop rare sur les planches de nos théâtres. Son cœur est ailleurs, en marin averti elle trace sa route d’un pôle à l’autre. Aux côtés de son mari, le navigateur Philippe Poupon, l’ancienne directrice de théâtre (ciné théâtre 13), et productrice, est aussi écrivain et réalisatrice, toujours très inspirée lorsqu’il s’agit d’océans. Témoin infaillible des expéditions familiales autour du globe (Une fleur dans les glaces, Le continent inconnu, Sur la route des pôles… ), Géraldine Danon a la très grande chance de vivre ses passions et elle sait user de son talent pour nous les faire partager.
Ce soir là, Géraldine Danon est sur la scène du Dejazet dans la peau d’ Edith Stein :
En août 1942, réfugiée au carmel d’Echt en Hollande, la philosophe Edith Stein, entrée au carmel de Cologne sous le nom de Soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix, est arrêtée et emmenée en déportation. Avant de quitter le carmel, alors qu’elle se prépare à partir, elle rembobine le fil de sa vie et convoque les personnages qui l’ont construite.Le Théâtre Dejazet est un magnifique théâtre, repère théâtral historique du boulevard du crime, il fut le décor naturel du chef d’œuvre de Marcel Carné «Les enfants du Paradis». L’espace offert pour ce récit sur la vie d’Edith Stein semble bien grand, les derniers rangs peinent à entendre les comédiens, mais dès les premiers mots, le silence se fait, la concentration du public est totale.
Une succession de tableaux avec de subtils arrêts sur image, tout en clair-obscur à la façon des peintres hollandais, est proposé selon une mise en scène de Marylin Alasset, juste, précise. Avec pour effroyable toile de fond la montée du nazisme, la plume de Maryse Wolinski plonge dans l’intimité d’Edith Stein pour s’interroger notamment sur la condition féminine de l’époque. Edith Stein délaisse peu à peu ses préoccupations hautement intellectuelles pour des considérations spirituelles : la jeune femme juive, passée par une phase d’athéisme, découvre les écrits de Thérèse d’Avila et choisit d’entrer au carmel… elle sera canonisée par Jean-Paul II en 1998.
Le questionnement philosophique, la quête de spiritualité, l’attachement aux origines, la shoah, la condition féminine, la guerre et ses ravages, rien n’est épargné. Pour mener à bien ce sombre propos, Géraldine Danon, très bien entourée par l'épatante France Darry, Catherine Zavlav et Sébastien Finck, offre une performance remarquable. La comédienne s’empare de son personnage ; elle affirme une très belle présence et nous régale par sa parfaite maîtrise du texte, sa diction est impeccable (et c’est suffisamment rare pour le faire remarquer), elle raisonne de passion et de puissance avec constance. Pleinement dans son rôle, elle bouffe l’atmosphère, s’approprie une vie qui n’est pas la sienne, et, traverse les différentes époques et âges de la vie d’Edith Stein avec aisance et naturel. Le ton est donné, Géraldine Danon est souveraine, lumineuse.
Laurence Caron-Spokojny
….Géraldine Danon s’apprête à réaliser son premier long métrage et produit le prochain film de Sylvie Ohayon (Les Bourgeoises)... il est aussi possible de l’écouter : les samedis dans l’émission de Régis Picart sur France Info et les dimanches dans l’émission de Jacky Gallois sur Europe1.
La Passion d’Edith S., Maryse Wolinski, Seuil, 222 p., 17,50 € - en librairie le 6 février.
Pour "aimer" la page facebook de "Ce qui est remarquable", c'est par ici
-
La Framboise Frivole au Théâtre des Bouffes Parisiens : une déclaration d'amour à la Musique
« Delicatissimo » par la Framboise Frivole est joué dans le très emblématique Théâtre des Bouffes Parisiens, ce nouveau spectacle marque le grand retour de Bart Van Caenegem au piano, aux côtés du brillant ténor et violoncelliste Peter Hens. Nos deux aventuriers partent à la recherche de l’Archet perdu…
De nombreux compositeurs de variétés se sont inspirés avec talent du répertoire classique, je citerai Serge Gainsbourg qui a puisé allégrement dans le répertoire de Chopin ; pour « La Framboise Frivole » il s’agit d’une toute autre échappée belle… Aux Bouffes Parisiens, les notes classiques s’envolent, sous la voûte de ce temple du music-hall, pour se mêler aux sons et rythmes modernes. Les mélodies épousent les contours du répertoire de la chanson française (à moins que ce soit l’inverse) avec humour, et, laisse s’épanouir ce qui est sans contexte la plus belle invention de l’Homme : la Musique.
Le duo de clowns mélomanes exercé aux arts musicaux, au niveau des plus grands virtuoses d’aujourd’hui, ne se prend définitivement pas au sérieux et c’est là que se porte toute sa singularité. Les touches du piano de Bart Van Caenegem rivalisent de vélocité avec la danse savante de l’archet du violoncelliste Peter Hens, ce dernier assaisonne son jeu de mélopées audacieuses. Ténor aux accents brillants, Peter Hens a de quoi mettre au placard notre cheptel de chanteurs de variétés. Le ton donné est résolument comique, et la salle attentive est hilare.
Une très nébuleuse quête d’un archet croise les pas de Maurice Jarre, avec pour graal : le rire. Les musiciens font corps avec leurs instruments, et, n’hésitent pas aussi à argumenter leur propos de calembours, plaisanteries caustiques, jeux de mots hasardeux et autres « blagues de ténor » (comme le disait un ténor que j’ai bien connu ;-) - lui aussi jardinier à ses heures)…Depuis près de 30 ans, les deux musiciens belges régalent un public sans cesse renouvelé. Très intelligemment, les spectacles de la Framboise Frivole sont à chaque fois différents, et demeurent fermement inscrits dans l’air du temps. De leur plat pays, les musiciens chevronnés prennent toute la distance nécessaire pour se jouer de la chanson française à leur guise, afin que le spectacle soit à chaque fois plus saisissant et plus déjanté.
Jusqu’au 26 avril, un souffle inattendu, aussi insufflé par les nouvelles technologies, balaye magistralement, et, sans aucune prétention, toutes les conventions qu’elles soient issues du répertoire classique ou de la chanson française.
La Framboise Frivole déclare une nouvelle fois son amour à la Musique avec une créativité qui ne semble pas prête de s’épuiser.
Bart Van Caenegem et Peter Hens sont de grands artistes.Laurence Caron-Spokojny
Nb : allez-y aussi avec vos enfants.
-
Gauthier Fourcade est supercalifragilisticexpialilicieux dans "Le secret du Temps Plié" à la Comédie Bastille
Gauthier Fourcade à l’allure d’un Géo Trouvetou, le funambule s’élance sur la piste et tient l'équilibre pendant plus d'une heure et demie ; en dadaïste averti, il jongle avec les mots, déroule sur la scène de la Comédie Bastille de fumeuses théories, et, entrelace jargon éclairé et complots linguistiques… Dans une mise en scène de François Bourcier, et soutenu par la plume de Marc Gelas, "Le secret du Temps Plié" est un voyage aux confins de l'univers... drôle, sensible et savant !
Il s’agit du temps qui passe, le présent fugace et le passé disparu, puis l’avenir imperturbable, toujours le même pour tous lorsqu’il se cogne à sa fin. Infiniment tendre, le Pierrot lunaire fait chavirer notre cœur lorsqu’il soupire après l’absence de sa Colombine... Poignant, l’enfant orphelin ébranle notre être tout entier en rendant un hommage vibrant au rôle du père, probablement le sien…
Héritier spirituel de Roland Dubillard, et, héritier acrobate de Raymond Devos, Gauthier Fourcade allégorise, il se joue des mots à la perfection. Sans en avoir l’air, avec un humour teinté de poésie, l’artiste farfouille au plus près de notre âme, il creuse.
Au départ, on ne soupçonne rien de particulier, on aime à se laisser porter par le divertissement, entre la surprise et le rire, orchestré avec talent par l’esprit vif et manipulateur de l’artiste. Puis, au fur et à mesure du spectacle, d'imperceptibles changements s’opèrent, on glisse, tout notre être s’ébranle peu à peu, l’émotion est à son comble, un chamboulement, voilà que l'on nous parle d’amour et d’anges…
Impossible de s’en sortir indemne, inventif et généreux, Gauthier Fourcade est un très adroit sniper, il sait appuyer au bon moment sur la gâchette et vise juste ! Un spectacle de très haute voltige.Laurence Caron-Spokojny