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Vous nous avez dit : « faites l’amour pas la guerre. » Nous avons fait l’amour, pourquoi l’amour nous fait-il la guerre ? Maurice Béjart.
La question est posée. Le chorégraphe choisit de lever le voile, voile blanc tel un linceul, jeté sur ce fléau hypocrite, fourbe et impitoyable qui a marqué une trop longue époque (non révolue), dévasté des générations et emporté avec lui, de façon définitive, toute la candeur du miracle de l’amour. Jorge Donn, star de la danse, et, Freddie Mercury, star du rock. Idoles idolâtres dont les carrières sont fauchées en plein vol par la maladie, ils ont 45 ans chacun, seulement. En 1991, Jorge Donn quitte ce monde ; un an plus tard Freddie Mercury déclare être porteur du VIH, il décède le lendemain.
« Mon instrument est un prolongement de moi même. J’ai besoin de le voir, de le toucher, le jouer chaque jour. Son absence crée un manque, il fait partie de ma vie. » Philippe Muller.
Le sensible virtuose à une discographie foisonnante et variée, Philippe Muller enseigne aujourd'hui à la Manhattan School of Music à New-York, auparavant il était professeur au CNSM de Paris de 1979 à 2014. Hier soir, au Théâtre des Champs- Elysées, entourés par l’Orchestre de chambre de Paris, les élèves du Maître se sont réunis afin de rendre hommage aux 50 ans de carrière de leur professeur.
De la très enlevée Rhapsodie Hongroisepour violoncelle et orchestre de David Popper au formidable Violoncelles, vibrez ! de Giovanni Sollima, le programme de la soirée n’oublie pas ses classiques avec le profond et mélancolique Trio n°1 pour piano, violon, violoncelle en si bémol majeur majeur de Franz Schubert ou bien avec les très dansantes Variations sur un thème Rococo pour violoncelle et orchestre de Piotr Ilitch Tchaïkovski, entre autres merveilles… C’est sur ce programme juste et aérien que le toujours très joyeux Orchestre de Chambre de Paris a accueilli la crème du violoncelle français.
L’orchestre de Chambre de Paris a élu domicile au Théâtre des Champs-Elysées pour une série de concerts remarquée, comme à son accoutumée, par une grande intelligence dans le choix du répertoire. Les musiciens sont dirigés, pour ce concert, par le très contemporain Arie van Beek. Sur une idée du prodigieux Gautier Capuçon, les violoncellistes Anne Gastinel, Philippe Muller, Marc Coppey, Henri Demarquette, Edgar Moreau, Raphaël Pidoux, François Salque et Sung-Won Yang soutiennent tour à tour les ventres de bois précieux des violoncelles élancés sur leur pique. Ces personnalités artistiques fortes sont accompagnés par les violonistes Jean-Jacques Kantorow et Marianne Piketty, tandis que Jacques Rouvier marque des accents profonds au piano.
Arie van Beek
Les instruments se font dociles sous l'impulsion des archets, épousant à la perfection les mouvements souhaités par leurs interprètes, les violoncelles chantent. Parfois puissante ou murmurante, tonique ou suave, appuyée ou effleurée, la musique respire. Le violoncelle a quelque chose « d’organique », tant par sa forme que par le son qu’il crée. Ventre magnifique ou poumon fier, il demeure définitivement attaché au corps de son interprète.
Les talents se bousculent sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées, le public s'envole d’un enchantement à un autre. Les plus grands violoncellistes français sont, le temps d’une soirée, redevenus des élèves attentifs et concentrés, ils ont cette grâce incroyable, qui porte les très grands artistes, à affronter les difficultés techniques et le travail infini qu’exigent la maîtrise d’un tel instrument. Et, cette maîtrise parfaite fait naître un vent léger qui éloigne, pour un temps, des réalités du monde pour nous élever ailleurs... Inoubliable, merci.
"Passionné de cinéma, François, dont le rêve est de devenir réalisateur participe à un concours réservé aux adolescents. Les trois meilleurs films auront le privilège d’être projetés dans le cadre d’un prestigieux festival. Il choisit de raconter la résistance des Amérindiens face à l’invasion des colons blancs durant la seconde moitié du XIXe siècle. Un projet bien ambitieux pour un garçon de quinze ans…"
"...Il y a un peu plus de trente ans, au milieu de la surprenante musique de Berlioz entrecoupée de bombardements et de bruits de mitrailleuses, un Frère Laurent peu conventionnel s’écriait devant Jorge Donn et Hitomi Asakawa : “Faites l’amour, pas la guerre !”.
Aujourd’hui, Gil Roman, qui a à peu près l’âge de la création de mon Roméo et Juliette, entouré de danseurs qui n’ont jamais vu ce ballet répond : “Vous nous avez dit : faites l’amour, pas la guerre. Nous avons fait l’amour, pourquoi l’amour nous fait-il la guerre ?”.
Cri d’angoisse d’une jeunesse pour laquelle le problème de la mort par l’amour s’ajoute à celui des guerres multiples qui n’ont pas cessé dans le monde depuis la soi-disant FIN de la dernière guerre mondiale !
Mes ballets sont avant tout des rencontres : avec une musique, avec la vie, avec la mort, avec l’amour… avec des êtres dont le passé et l’œuvre se réincarnent en moi, de même que le danseur que je ne suis plus, se réincarne à chaque fois en des interprètes qui le dépassent.
Coup de foudre pour la musique de Queen. Invention, violence, humour, amour, tout est là. Je les aime, ils m’inspirent, ils me guident et, de temps en temps dans ce no man’s land où nous irons tous un jour, Freddie Mercury, j’en suis sûr, se met au piano avec Mozart.
Un ballet sur la jeunesse et l’espoir puisque, indécrottable, optimiste, je crois aussi malgré tout que The Show Must Go On, comme le chante Queen."
Maurice Béjart
"Le Presbytère n'a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat..." par le Béjart Ballet Lausanne, musique de Queen et Mozart, costumes de Gianni Versace, au Palais des Congrès , du 4 au 6 avril : immanquable !
Gautier Capuçon, Marc Coppey, Henri Demarquette, Anne Gastinel, François Salque, Sung-Won Yang et toute la jeune génération du violoncelle français se réunissent autour de leur professeur Philippe Muller pour lui rendre hommage à l’occasion de ses 50 ans de carrière, le 2 avril au Théâtre des Champs-Elysées.
De la musique de chambre à l’orchestre de chambre, un programme-festival illustrant toutes les formes de musique autour du violoncelle.
Ma première fois c’était en 1993 au Grand Théâtre de Bordeaux pour Les Noces de Figaro. William Christie dirigeait la musique, et, Robert Carsen architecturait l’espace. Ce soir là, je découvrais qu’il était donc possible de faire traverser la lumière du jour jusqu’à la scène d’un théâtre ? Une autre dimension s’ouvrait… Ce fut un éblouissement, à tel point que mon regard sur les choses de l’éphémère changea définitivement. Robert Carsen, le metteur en scène canadien, est capable de ça et de bien d’autres choses. Que ce soit pour Disneyland (Buffalo Bill’s Wild West Show), pour les plus grands opéras, le théâtre ou pour des scénographies d’expositions (L’Impressionnisme et la Mode, Musée d’Orsay 2012), Robert Carsen est un illusionniste.
Sans en avoir l’air : nous montrons du doigt, sans y prêter attention : nous nommons, et, souvent sans en prendre garde : nous dénonçons. Les mots lancés comme «communautarisme» ou «ségrégationnisme» répondent en choeur aux mots «racisme», «antisémitisme», et, de la façon la plus terrifiante qui soit, au mot : «terrorisme». Dans notre Monde chacun à de plus en plus de mal à trouver sa place, pour y parvenir la plupart d’entre nous commencent par observer la place des autres, c’est une façon de se situer, une sorte de point de vue, pas le meilleur. Car, par mauvais temps la malveillance prend ses aises, plus ou moins avouée, plus ou moins ressentie, pour parfois dépasser les limites, l’Humanité s’en trouve esquintée, on appelle cela «l’horreur» et plus grave encore il est question de "crime contre l'humanité". Ce fut le cas lors du massacre de Charlie Hebdo et de l’épicerie cacher de Vincennes ; à cela, les foules se sont levées, elles ont marché. Des écriteaux noirs comme des faire-parts de décès se sont dressés « je suis Charlie », il y a eu très peu de « je suis juif ». Pourquoi ? A cette question millénaire, je n’ai pas de réponse. En revanche, je peux vous recommander vivement d’assister à la pièce «Le mariage de M. Weissmann» au Théâtre La Bruyère, la plume de l’auteur Karin Tuil se charge d'éveiller les esprits et elle peut être aussi un baume souverain...
« Je m'appelle Saül Weissmann mais ne vous fiez pas à mon nom qui est juif, en dépit des apparences. J'ai été, pendant soixante-dix ans, un imposteur pour les autres et pour moi-même ». Ainsi commence la confession du narrateur qui apprend de la bouche d'un rabbin qu'il n'est pas juif selon la loi de Moïse.
L’identité est un «caractère permanent et fondamental de quelqu’un, d’un groupe qui fait de son individualité, sa singularité», selon le Larousse. Alors lorsque cette «identité», qu'elle soit en partie religieuse, sociale, ethnique, culturelle, professionnelle ou autre, est remise en cause, de quelle façon notre existence s’en trouve t’elle bouleversée ou même menacée ? Tout en cherchant à jauger l’influence de notre « identité » sur notre existence, par son propre regard intérieur ou bien par celui que porte les autres sur nous-mêmes, l’auteur Karine Tuil -aussi lorsqu’il s’agit de citer des sujets aussi graves que les camps d’extermination orchestrés par les nazis pendant la seconde guerre mondiale- traite un sujet souvent esquivé dans les conversations courantes (Interdit, Plon 2001, puis en Livre de Poche). Avec déférence et dans une véritable liberté d'expression, Karine Tuil fonce, rien n’échappe à cette chevalière des temps modernes dans sa quête de vérité.
Pour donner une existence scénique au roman "Interdit", et sur un ton résolument burlesque, Salomé Lelouch s’est intelligemment attelée àl’adaptation et à la mise en scène. Délicatement, avec ce je ne sais quoi « d’éternel féminin » qui lie les mots aux mouvements comme pour un ballet contemporain, le propos se concentre sur l’essentiel. Dans un décor aux lignes pures, un rien minimaliste, trois comédiens formidables se partagent un seul rôle : Jacques Bourgaux, Bertrand Combe et Mikaël Chirinian. Intarissables d’inventions, ils expriment un jeu plein de complicité soutenu par un rythme sans faille réglé au cordeau. Habité de souvenirs terribles et d’anecdotes savoureuses, un univers vaste se déploie : une vie entière pour un seul homme, cela prend de la place…
Et, comme pour tromper l’ennemi tortueux à l'insatisfaite question existentielle que chacun se pose : "qui suis-je ?" , le drame adopte le vocabulaire du bonheur à grand renfort d’autodérision, l’humour juif fixe un point d’honneur à se faire entendre et c’est un régal. La tendresse et la politesse du désespoir rivalisent d’élégance, les intentions de Salomé Lelouch sont souvent ludiques et les comédiens semblent s’y sentir parfaitement à l’aise. L'exercice est adroit, le résultat parfait. Toujours dans le rire, sans prétention, et, dans une rare franchise de ton, « Le Mariage de M. Weissmann » passe en un éclair (de génie), il reste un sentiment de paix, une sorte de compréhension immédiate, un apaisement… nécessaire.
Depuis près de vingt ans, les américains sont fous d’Eifman, en 2004, le New York City Ballet lui commande une œuvre en hommage à Balanchine : «Musagète». Comme un écho à ce rêve américain, à Paris, le « Up and down » de Boris Eifman est une fresque scintillante, et aussi un drame exacerbé par un romantisme dont la culture Russe n’est pas si éloignée… En 2013, Boris Eifman racontait déjà une histoire, celle de «Rodin et son Eternelle Idole», c’était au Théâtre des Champs-Elysées. Ces jours-ci, et entre ces mêmes murs, le chorégraphe Russe propose une adaptation libre du chef-d’oeuvre de l’auteur américain F. Scott Fitzgerald « Tendre est la nuit » (1934).
Le ballet contemporain russe à la sauce américaine
Très proche, le maître du ballet contemporain russe (et au delà), Vaslav Ninjinsky, veille, son souffle chorégraphique habite les lieux, certains déhanchements se font de côté et les bras forment des angles géométriques. Puis, la théâtralité chère à Boris Eifman fait son œuvre et ajoute des notes véloces et harmonieuses. Merveilleux danseurs, ils sont beaux, élancés, ils prennent possession du plateau comme des mannequins sur un podium. Ils s’élancent et s’envolent, les danseuses, majestueuses, allongent des bras-ailes-de-cygnes infinis si particuliers à l’école russe. Là, où la technique est maîtresse, des instants tourmentés - l’inceste, la folie, l’amour - laissent place à la joie de vivre des années folles : ce sont les cabarets et ses nuits de danse et de musique, la magie d’Hollywood qui prend forme par une scène très inventive et drôle, et la liberté affichée des corps qui s'ébrouent dans un ballet en maillots de bain d’époque, coloré et amusant, et, réglé au cordeau façon Balanchine.
Gershwin, dont la famille était originaire de Saint-Pétersbourg…
Dans cette grande liberté de ton, Boris Eifman n’est jamais avare de mouvements, il y a tant à danser, dans une succession de tableaux courts, le chorégraphe se veut metteur en scène, entre comédie musicale et théâtre dramatique. La danse ne s’arrête jamais, sauf lors des changements de tableaux dont les flottements mériteraient quelques attentions scéniques. Entièrement voués à leur discipline, une course effrénée s’engage entre les danseurs, même lorsque le propos est tragique, l’émotion n’a pas de temps ou pas assez de place pour s’exprimer. Dommage. Le patchwork musical de « Up and down » laisse perplexe. Mêlé de compositions de George Gershwin et d’Alban Berg, il y a une cohérence, l’époque réunit les génies (et puis ils étaient amis), seulement les partitions de Schubert ou de Chopin rendent à épaissir un peu trop la sauce, dosée à la louche, c’est un medley de tubes plutôt qu’une véritable intention artistique.
Ce soir de première au Théâtre des Champs-Elysées, la salle est comble, les danseurs et Eifman multiplient les saluts encouragés par la chaleur des applaudissements... Néo-classique et extrêmement narrative, la danse d’Eifman est un genre à part, «Up and down» est assurément un spectacle de grand divertissement rendu intense par l’excellence des Etoiles et du Corps de Ballet de Saint-Pétersbourg.
« Les amoureux de Marivaux » soupirent entre les murs du Théâtre Poche Montparnasse jusqu’au 14 mars. Les troubles de l’amour, si habilement piégés par la plume de Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, se dévoilent ici sous la forme d’un conte fantasque, d’un cabaret burlesque ou bien encore d’une revue déjantée, c’est comme il vous plaira, tant que vous vous amusez !
Quatre comédiens se partagent une quinzaine de rôles, entre saynètes légères, esquisses baroques et intermèdes musicaux, l’intention artistique est étonnante, surprenante même. Mais la qualité de jeu des interprètes, l’originalité du ton et l’énergie déployée par ces « Mauvais Elèves » conquièrent le public, il y a comme un exercice de séduction, quelque chose se passe… Du charme, Bérénice Coudy et Elisa Benizio, les deux interprètes féminines, n’en manquent pas, le regard acier un peu étrange de Bérénice Coudy perce le rayon du projecteur, pendant qu’Elisa Benizio, clown et dramaturge sans limite, fait preuve d’un répertoire incroyablement vaste, de l’éberluée excentrique à la séductrice impitoyable, rien ne semble impressionner la jeune comédienne. Dans la même veine, Valérian Behar-Bonnet fait notamment une adroite démonstration de mime tandis que Guillaume LOUBLIER multiplie les facéties.
La mise en scène appliquée, sans en avoir l’air, est signée Shirley et Dino, le couple infernalsaupoudre l’instant magique par des chansons françaises choisies et faire vibrer le plateau sombre par des chorégraphies originales d’un genre indéfinissable...
Voilà de quoi s’amuser tout en restant intelligent (nous sommes au Poche Montparnasse…), et plus encore : de quoi rire de bon cœur ! « Les Mauvais Elèves » sont de remarquables pitres qui servent un texte à regoûter avec gourmandise. C’est à 19h et c’est jusqu’au 14 mars. Réservez, les grands-parents et les enfants sont les bienvenus.
Il y a des Hommes dont le rôle est de résoudre les problèmes d’équilibre de notre univers... José Martinez en fait partie. Aseize ans, il quitte l’Espagne pour la France, parce que son pays ne lui offre pas la possibilité d’épanouir son art, il ne tarde pas à rejoindre les Etoiles de l’Opéra de Paris et se fait remarquer aussi pour ses créations chorégraphiques. En 2011, « l’âge de la retraite », sonné par les codes établis de l’Opéra de Paris, permet à l’Etoile de changer de galaxie, il prend la direction de la Compagnie Nationale de Danse d’Espagne. La compagnie espagnole bat de l’aile, faire exister l’art dans un pays en crise est une lutte sans merci. La tâche s’avère plus que difficile mais c’est sans compter sur la passion et le talent de José Martinez.
La grande maison de la danse contemporaine, le Théâtre National de Chaillot, invite à prendre «CONTACT» avec la compagnie DCA de Philippe Decouflé.
Il a été dit qu’il s’agissait d’une comédie musicale, d’un genre un peu hybride... pas tout à fait ; voici plutôt un "spectacle dans le spectacle", un show dingue, un cabaret sauvage, drôle, étonnant, touchant : le contact est établi.
De la très belle danse mais aussi du théâtre, du cirque, de la musique, des costumes... Sur un fond de décor années 20, Broadway ouvre ses portes par une pantomime de claquettes, puis Faust soigne une entrée magistrale, sur ses talons Marguerite soupire. Aussitôt, ils sont rejoints par un danseur, ou plutôt une chanteuse, peu importe, un artiste donc, qui entame un numéro bientôt interrompu par un élan dramaturgique venu d’ailleurs, peut-être d’Absurdie ? Voici le tour d’un illusionniste coquin, ensuite une acrobate glisse le long d’une corde, une seconde s’y enroule, juste avant une danseuse a disparu dans une boîte, un ange passe,... Et Pina Bausch veille, souvent lorsqu’il est question de danse contemporaine, inspiratrice ou initiatrice, la grande prêtresse ne se fait jamais oublier. Ainsi, Philippe Decouflé arrête un regard bienveillant sur le mythique «Kontakthof» (1981-Festival d’Avignon), l’hommage est chorégraphique et magnifique, autant pour la rime que pour le sens. La musique occupe l'espace, et, pour la dompter, Pierre Le Bourgeois fait résonner le son abyssal et savamment maîtrisé de son violoncelle, il est en duo avec Labyala Nosfell, chef d’orchestre habité ou pop-star déjantée, un peu punk, un peu pop, un peu rock, ou tout à la fois, sombre et félin, grave ou aigue, le chanteur est archi présent.
L'oeuvre révèle l'artiste, puis l'homme... Manifestement, la théâtralité donne le ton, le vocabulaire est multiple et infini, le propos n’a finalement pas une grande importance tant le show est fantasque. Encore une fois, Decouflé soulève les pans du lourd rideau des préjugés pour nous laisser entrevoir la vérité ; une sorte d’envers du décor, et pas celui de n’importe quel spectacle : il y a desmessages envoyés, des influences dévoilées et des passions avouées, en somme voici la «Comédie Humaine» de Philippe Decouflé.
Fédérateur, et d'une élégance intemporelle, l’univers circassien enveloppe l’atmosphère dans un esthétisme joyeux, même si parfois le questionnement est existentiel. Chanteurs, danseurs, comédiens, acrobates, ils sont tous merveilleux, les rôles s’échangent, se confondent, les interprètes en oublient certainement eux-mêmes leurs disciplines premières. Petit, grand, femme, homme, noir, blanc, et même une émouvante femme enceinte, tous réunis, tous artistes, déterminés à démontrer, le temps d’un spectacle, que les différences peuvent former la plus parfaite des harmonies : ainsi, cela est donc possible ! Sans aucun doute, Decouflé est à la Danse ce que Fellini est au Cinéma.
Dans une province éloignée de la Russie, un jeune aristocrate oisif est confondu avec un Inspecteur Général de Saint-Pétersbourg, un Revizor. Le Gouverneur véreux, et, ses notables locaux, tentent de lui dissimuler la gestion pervertie de la ville, ils vont corrompre l'inconnu pour attirer ses faveurs...
Parue en 1836, le Revizor est une pièce de Nicolas Gogol. L’auteur Russe dénonce les travers d’une administration gangrénée avec un humour très corrosif. Le talent de l’auteur comique n’épargne rien, ni personne, son adresse littéraire est telle qu’il parvient à donner un caractère universel à la farce, sa critique de l’Empire tsariste peut tout à fait s’appliquer à toutes sortes de gouvernements et dans d'autres temps…et, cette juste insolence fait du bien à l’âme ! Pour servir cette œuvre théâtrale remarquable, une équipe de comédiens débordant d’enthousiasme, et de plaisir à jouer, se partage les rôles : Michaël Cohen, Ronan Rivière, Jérôme Rodriguez, Christelle Saez, Jean-Benoît Terral, Louis Thelier et Léon Bailly au piano. Ils sont terriblement doués, ils développent des tempéraments bien trempés et proposent une palette de jeux extrêmement riche. Selon les codes du théâtre classique, pour lesquelles l’articulation, le phrasé et les déplacements sont en tout points respectés, les comédiens proposent une interprétation moderne, comme cela est souhaitable lorsqu’il s’agit des grands auteurs. Ronan Rivière et Aymeline Alix sont, de très jeunes et très habiles, metteurs et scènes et leur adaptation scénique est astucieuse ; le texte, dont la traduction est de Prosper Mérimée, prend forme dans toutes ses dimensions et se fond dans un très beau mouvement servit par un décor flottant et glissant, aux limites du Théâtre de l’Absurde, un délice.
Bref, comme à son accoutumée le Théâtre du Lucernaire, outre ses choix exigeants d’auteurs, et souvent "engagés", fait la part belle aux comédiens et aux comédiennes ; ici, la dramaturgie prend ses aises en un épanouissement heureux partagé à la fois par les artistes et le public. Commencée en 2014 lors du Festival off d’Avignon, la pièce se joue jusqu’au 25 janvier 2015 au Lucernaire, cette belle production mérite de se prolonger bien au delà, ici ou ailleurs.
En 1918, Vaslav Nijinski n’a pas trente ans lorsqu’il commence la rédaction de ces cahiers. Durant six semaines, il écrit sur la vie, la mort, les sentiments, Diaghilev, la douleur, Dieu, la danse, à en perdre la raison. Celui qui maîtrisait à la perfection cet art de l’équilibre propre aux plus grands danseurs, celui qui émerveillait le public par des sauts d’une grâce et d’une puissance jamais vues, vacille irrémédiablement, bascule comme à l’intérieur de lui-même...
Il y a des artistes dont les ondes, les images et les écrits s’emparent et ne se séparent pas. Les médias français et le système artistique fonctionnent ainsi : on aime passionnément, on utilise frénétiquement et on use avec acharnement. C’est comme ça, lorsqu’un artiste plaît, il est partout ; et même, lorsqu’il disparaît de la scène pendant des années, le sentiment de le voir et de l’entendre demeure.
Muriel Robin est de cette trempe, son absence de la scène pendant 8 années est passée à la vitesse de l’éclair. Théâtre, cinéma, télévision, la comédienne était bien là, finalement seul le « one-woman show » avait été mis de côté. Puis en 2013, elle triomphe, à nouveau seule en scène, dans « Muriel Robin revient…Tsoin Tsoin » jusqu’en 2014, et enfin pour la dernière, ce lundi 22 décembre au Théâtre du Châtelet…
Rockstar, Muriel Robin en a l’allure et le charisme, c’est d’ailleurs de la musique qu’elle aurait aimé faire. Selon les règles de l’art dramatique, soit en mesure et en rythme, la comédienne s’abandonne à son public façon stand-up. Après le Palais des Sports, ce soir là sur l’immense scène du Théâtre du Châtelet, elle avance avec l’assurance d’une diva, la tragédienne est plutôt verdienne que wagnérienne, le drame se raconte sur le ton du divertissement. Avec un débit de paroles incroyable, elle transforme le marché de Montbrison en parc d’attraction, le magasin de chaussures de ses parents en caverne d’Ali Baba, la boîte à outils de son père en coffre à trésors, et, ses personnages sont autant d’elfes et de fées plus ou moins bienveillants. Pourtant le monde de Muriel Robin ne semble pas avoir été si merveilleux, pour l’interpréter, Muriel Robin plante un décor coloré et changeant, infiniment vivant. Avec un sens de l’observation attentif, sans concession, mais avec une énorme tendresse qu’elle grime avec la précision et la vivacité d’un clown, elle vise et tire, toujours juste. Elle balaye toutes les octaves de l’émotion avec cet air détaché, un air de rien, une sorte de distance, une élégante pudeur, qui ne laisse pas dupe. Et ainsi, la simplicité d’une anecdote se transforme en phrase héroïque : Muriel Robin a le talent pour décaper le vernis superficiel des choses afin de leur rendre leur lustre universel, pour le plus simple et le plus grave, pour le meilleur et toujours pour le rire.
Voilà pourquoi, Muriel Robin ne peut disparaître à aucun instant du paysage. Pour ce spectacle, l’artiste parle d’elle et de ses rencontres, de son enfance, de son entrée dans le monde du show business, des choses terriblement sincères sont dites. Ces kilomètres de mots savamment entrelacés révèlent une humanité profonde, qui s’avère nécessaire, indispensable. Seuls, ces rares artistes ont aujourd’hui la possibilité de nous garder en éveil et nous les en remercions. Ce soir là, à la fin du spectacle, le public a fredonné une chanson de Patrick Bruel « j' te l' dis quand même » à l’attention de Muriel Robin, une sorte de déclaration d’amour...
Sur la Tamise, George, Harris, Jérôme et le chien Montmorency sont dans un bateau, ils entament un voyage initiatique et thérapeutique…
«Trois hommes dans un bateau,… sans parler du chien», le roman humoristique de l’auteur anglais, Jérôme K.Jérôme, publié en France en 1894, est aujourd’hui adapté au Théâtre Edgar selon une mise en scène d'Erling Prévost.
Philippe Lelièvre, Pascal Vincent et Sorën Prévost ne sont pas là par hasard, ils se sont rencontrés sur les bancs de la chaîne Comédie. C’était il y a près de quinze ans, Philippe Lelièvre s’illustrait en maître de l’improvisation, Sorën Prévost était le «Concierge» et autre speakeur déjanté de La Grosse Emission, et, Pascal Vincent, auteur reconnu du « fussoir », était un des acolytes de LA, désormais culte, troupe des Robins des Bois. Déjà, à cette époque, "l’absurde" réunissait ces comédiens totalement résolus à décaler l’expérience, ou la situation, du propos. Depuis, ces artistes tracent leur carrière, théâtre, cinéma, télévision et pub, il n’y a pas un domaine qui n’échappe à leur talent d’interprétation et à leur créativité.
« Alors que je cherche à guérir la folie des autres je dois moi-même être fou » Thomas More. Et c'est une folie, douce et littéraire, que c'est trois personnages excentriques développent dans un univers so british rythmé par des attitudes pince-sans-rire et un art du nonsense délicieux. Philippe Lelièvre, entre exactediction et élégance scénique, est un comédien solide dont le répertoire s’avère toujours aussi vaste ; Sorën Prévost débride un jeu, attentif aux autres, sans cesse en quête d’inventions, tandis que Pascal Vincent revêt son habit, candide et badin, de Pierrot de la Commedia dell’Arte, qui lui sied si bien.
L’humour anglais est à traiter avec une grande précision, que les comédiens se doivent de régler de façon quasi horlogère. Il s’agit d’un exercice de haute voltige, les comédiens s’accaparent le charme du genre, marquent les accents poétiques et parfois hypocrites du propos, et affichent naïveté, assurance ou ironie, en balayant très habilement le registre de la «politesse du désespoir».
«Trois hommes dans un bateau…sans parler du chien» commence tout juste ses premières représentations, dans le bleu fraîchement repeint de la nouvelle salle du Théâtre Edgar, une semaine à 19h, et la suivante à 21h. Il est certain que la vie de ce spectacle sera longue, très longue, ce concentré de talents est puissant, les murs du Théâtre Edgar ne sauront le contenir très longtemps !
A voir et à suivre avec la plus grande attention...
Pendant les années 30, 40 ou 50, ils étaient des enfants, de grands enfants, flirtant et dansant dans les bars, et surtout célébrant la musique à chaque coin de La Havane. Au Buena Vista Social Club, ils se réunissaient tous, c’était « the place to be ». Ils étaient danseurs, musiciens et chanteurs, et les riches américains se pressaient aux portes de la boîte de nuit pour les écouter, les admirer, et, tenter de les copier. En 1959, la révolution cubaine mit un terme à la fiesta latina, le Buena Vista Social Club ferma ses portes.
Quarante ans plus tard, un enregistrement réunissant The legends of Cuba de ces années là fût produit puis il s'enchaîna une suite de concert au Carnegie Hall de New-York : un triomphe ! Désigné par le magazine Rolling Stone comme l’un des 500 plus grands albums de tous les temps, cet enregistrement mythique laissa ensuite s’échapper Eliades Ochoan, Ibrahim Ferrer, Omara Portuondo, Compay Segundo et Ruben Gonzales afin qu’ils enregistrent en solo leurs propres albums.
L'histoire ne s'arrête pas là. Toby Gough, producteur de spectacle, un amoureux de Cuba, rencontre, le barman du Social Club, Artura Lucas : "Arturo Lucas a servi des Mojitos à Marylin Monroe, des Cuba Libre à Marlon Brando et aidé Ernest Hemingway a retrouver le chemin de sa maison après une soirée trop arrosée. " Au début des années 2000, l’idée de THE BAR AT BUENA VISTA est née. Il s’agit de redonner vie au bar le plus culte de la Havane, sur scène, entouré de témoins et artistes de cette époque et aussi par de plus jeunes fortement inspirés par leurs aînés.
La « descarga », genre de bœuf musical à la cubaine, bat son plein sur la scène du Palais des Congrès. Purement vintage, des artistes étonnants se succèdent, des musiciens au rythme endiablé, et des danseurs aux reins cambrés, les accompagnent. Siomara Avilla Valdes, Julio Alberto Fernandez, Reynaldo Creagh, Guillermo Rubalcaba Gonzales, Elpidio Chappottin Delgado, Luis Mariano Valiente, Eric Turro Martinez,… le nombre des années n’abîme pas le talent, ces artistes nous le prouvent. L’aspect patiné, un rien «figé dans le temps», a son charme, cette production crée de l'émotion, et les quelques hésitations palpables de la part des artistes raisonnent comme d'authentiques refrains.
« Ambiance boisée et cuivrée. Vous entrez dans un bar de La Havane, l’un de ces endroits légendaires des Social clubs qui ont vu passer les Compay Segundo ou autre Ibrahim Ferrer. Dehors, des enfants jouent au baseball dans la poussière, entre deux vieilles voitures américaines rose et bleu. Accoudé au comptoir, on croirait apercevoir le fantôme d’Hemingway se servant un autre daiquiri. Le mythe redevient réalité : devant vous, le bassin d’une danseuse chaloupe sur «Chan Chan». La musique et la danse prennent corps avec les dix-sept artistes au sommet de leur histoire pour revisiter les grandes heures du Buena Vista en direct. Dans l’odeur du vieux bois patiné et d’un rhum hors d’âge, une figure fend les volutes d’un cigare. »
Les spectateurs tentent de faire chalouper leurs fauteuils sur le rythme des congas, certains se lèvent incapables de résister, d’autres interpellent les chanteurs pendant que de plus téméraires sont invités à entamer quelques pas sur la scène du Palais des Congrés. Il semble que les fans du genre atteignent des sommets de plénitude, la joie de vivre est communicative. Pourtant la nostalgie qui enveloppe la scène, comme les volutes de fumée des cigares, ne suffit pas à convaincre, il manque quelque chose... Par exemple, le public pourrait lui aussi partager avec ces artistes un de ces rhums ambrés ou Mojitos parfumés dont Cuba a le secret !
Laurence Caron-Spokojny
7 décembre à l’Amphi 3000 de Lyon ; 9 décembre au Silo de Marseille ; 10 décembre au Zénith de Montpellier
Philippe Caubère est un comédien hors normes…n’est-ce pas ce qui est souhaitable pour un artiste ? Concentré, sensible et grandiloquent, le comédien est absorbé par le cheminement de l’histoire qu’il raconte, et par le souffle qu’il déchaîne pour donner vie à chacun de ses personnages, tant et si bien que parfois, il semble oublier un peu son public… La salle du Théâtre de l’Athénéeest comble, un public déjà conquis s'abandonne à son idole. Philippe Caubère articule un show diabolique, le spectacle porte terriblement bien son titre « La danse du diable ».
Le comédien est seul en scène, fantasque et inconséquent, il s’exhibe, il bouscule, il s’offre totalement. Il étend ses bras et franchit d'un pas la scène, il embrasse et embrase l’espace ; s’il le pouvait, il viendrait bouffer l’oxygène de la salle dans son entier et pourquoi pas le public par la même occasion ! Vorace, il est un monstre, indomptable, inépuisable, un animal sauvage au jeu de scène sophistiqué, à aucun moment il ne lâche son auditoire, il est partout, même lorsqu’il échange un accessoire ou un costume, il ne quitte pas les planches. En une esquisse finement griffée, il rattrape l’attention qui parfois tente de s’égarer lors de ces plus de trois heures de spectacles... C'est un débordement génial, trop de mots, trop de gestes, trop d’émotions, trop de rires, trop d’étonnements, et trop, bien trop long...
Marathonien du drame et de la drôlerie, il avance, force monumentale, sorte de bulldozer littéraire, il dessine sans retenue un langage recherché composé de fines observations, d'une prose existentielle, d'un militantisme idéologique, de la poésie de l’enfance ou de profondeurs abyssales ponctuées de quelques superficialités inattendues. Philippe Caubère est Le Molière d’Ariane Mouchkine, le plus bouleversant, celui qui restera à jamais inégalé, il est aussi un metteur en scène et un très grand auteur. Résolument engagé dans ses actes et choix artistiques, il est autant contestataire que provocateur s’il juge la cause nécessaire.
Depuis plus de trente ans « La danse du diable » rebondit entre cour et jardin, inonde les parterres de spectateurs enthousiastes ; au fil des improvisations du comédien, la matière brute se lisse ou s’effrite, s’affine ou s’épaissie. La scène est toujours trop étroite pour Caubère, le public n'est jamais assez nombreux, à l’image d’un Johnny Halliday pour qui il dessine des instants cultes : offrons-lui un stade ! Il est un immense comédien, sa technique de jeu irréprochable le maintient dans une certaine mesure (heureusement), il s’emporte, il ne s’arrête jamais, il a tant de choses à dire, tant de choses à montrer, et puis il est tellement libre ! Le monde est trop petit pour Philippe Caubère et peut-être que le temps l’est aussi : le comédien dédie cette « Danse du diable » à Jean Babilée qui interpréta « Le Jeune Homme et la mort » (Maurice Béjart) plus de 200 fois, il créa ce ballet à 20 ans et il le dansa encore à plus de 60 ans…
Les soirées du Théâtre du Châteletappartiennent aux artistes les plus prestigieux, chanteurs, danseurs, musiciens, comédiens, décorateurs et metteurs en scène du monde entier. La solide programmation de son directeur, Jean-Luc Choplin, offre au public ce qu’il y a de mieux en matière d’art vivant, qu’il soit chantant, théâtral, dansant, musical ou plastique. Ce sont donc des soirées parisiennes très occupées, mais aussi des journées pendant lesquelles les artistes, les techniciens et l'administration du théâtre unissent leurs efforts pour faire naître la magie, mais pas seulement…
Au foyer Nijinsky, tout en haut du Théâtre du Châtelet, au paradis, on entend chanter des enfants. Scott Alan Prouty est un autre 'Américain à Paris', avec la complicité du compositeur Marc-Olivier Dupin, il rassemble de jeunes chanteurs âgés de 10 à 18 ans pour former Les Chœurs d'Enfants Sotto Voce. En résidence au Théâtre du Châtelet, ils sont là, les mercredis et les samedis, parfois plus souvent. Les jeunes artistes apprennent aussi à danser auprès d’une chorégraphe, Evandra Martins, la voix et le mouvement sont intimement liés, et déjà les enfants occupent l’espace scénique avec une assurance digne des professionnels de Broadway. Choisis sur audition, ces personnalités toutes neuves ont la voix des anges, et, pour la plupart ils développent une spécialité artistique autre, nombreux sont ceux qui s’échappent, à la fin d’une répétition, pour aller suivre des cours dans les conservatoires de musique, de danse ou d’art dramatique.
Avec le Chœur Préparatoire (7-10 ans) et le Chœur des jeunes (15-20 ans), ils sont plus d’une centaine d’enfants à s'emparer, pour chacune de leurs productions, d’un répertoire extrêmement vaste : le répertoire classique, de la variété française, du jazz ou bien des standards de comédies musicales. Les programmes des concerts sont tous interprétés avec une haute technicité vocale et un même degré d’exigence. Depuis 1992, dans de grands théâtres nationaux, des studios d’enregistrement, des églises, des studios de doublages ou des stades, en France ou à l’étranger, le professionnalisme des Chœurs Sotto Voce lui permet d’être sollicité pour d’importantes productions, au Châtelet : Boris Godounov, Carmen, The Sound of Music, Carousel…, ou bien encore de créer ses propres comédies musicales : Transports Express, Swing ! Swing !, Polar et compagnie,... Longtemps en résidence à l’amphithéâtre de l’Opéra Bastille avec l’Ensemble Justiniana, les artistes se sont produits notamment dans Brundibar, Oliver, Miniwanka, La petite Renarde rusée, sous la direction de Charlotte Nessi.
L’expérience Sotto Voce est tout à fait unique en son genre pour ses artistes autant que pour son public. Ces jeunes pousses ne sont pas des «apprentis», ils sont déjà des artistes ; le talent sensible de Scott Alan Prouty est de savoir distinguer ce qu’il y a de meilleur en chacun d’eux, le maestro indique une direction selon laquelle la «discipline» artistique est une source d’accomplissement et non pas de contrainte.
Film réalisé par Anaïs Gonzalez - 2014
Scott Alan Prouty, formé à l’Eastman School of Music de New York et aux techniques du piano, du chant et du théâtre, est entouré d’une petite équipe : Richard Davis, Mathieu Septier et Caroline Meng. La théorie, la technique et l’intention artistique sont prodiguées afin de sublimer les voix des enfants de la façon la plus naturelle qui soit : ce ne sont pas des voix fabriquées, tirées, imitées, appuyées, épuisées, seulement des voix infiniment vivantes. De façon très ludique mais très sérieuse, le maestro permet à chacun des enfants d’aller puiser au fin fond de son imaginaire et de ses envies pour exprimer un langage artistique coloré et d’une rare qualité. De ses yeux bleus rieurs, Scott Alan Prouty convainc son jeune auditoire, les enfants sont attentifs, passionnés et extrêmement volontaires. L’épanouissement artistique de ces enfants est total, ils adorent « les répétitions avec Scott ».
Le maestro est aussi Responsable des études musicales de l’Ecole de Danse de L’Opéra national de Paris, en plus de nombreux stages et concerts, les voix d’enfants ne le quittent jamais, Scott Alan Prouty vise l’excellence. Pablo Picasso disait : « Dans chaque enfant il y a un artiste. Le problème est de savoir comment le rester en grandissant», pour Scott Alan Prouty, ceci n’est pas un problème, il détient la solution.
"Un Américain à Paris", produit par Arthur Freed et réalisé par Vincente Minnelli, fut montré pour la première fois à Londres en 1951 ; un an plus tard, orné de six Oscars, le film avec Gene Kelly, Leslie Caron, Oscar Levant et Georges Guétary est sur les grands écrans en France.
En 2014, Jean-Luc Choplin, le directeur du Théâtre du Châtelet, et les producteurs de Broadway, Van Kaplan et Stuart Oken, proposent la comédie musicale sur scène, pour la première fois au monde.
Le Théâtre de Paris, comme le Théâtre Hébertot et « Les cartes du Pouvoir », est à l’heure américaine avec un autre auteur contemporain : Carey Perloff. "Kinship" conte l'histoire d’un amour brisé, librement inspirée par le Phèdre de Racine. Comme hachés au couteau, les tableaux de Kinship s’enchaînent sur un rythme qui avale le temps, 1h40 sans entracte. L’ambiance est dépouillée, l'espace est réservé aux sentiments. Trois comédiens : Niels Schneider est un très juste et très passionné jeune premier, Vittoria Scognamiglio est une mère et amie, émouvante et sincère, et Isabelle Adjani est la femme amoureuse, et elle est… Elle est Isabelle Adjani.
Le portrait de la star, une photographie en noir et blanc, descend des cintres, comme s’il était utile de nous rappeler sa beauté ? Il y a un arrière goût de Dorian Gray dont nous nous serions bien passés, puisqu’elle paraît là, en chair et en os, tout entière livrée à son désir de jouer. Un silence lourd se fait dans la salle, la lumière enflamme le visage de la comédienne, elle plonge le bleu de ses yeux dans les projecteurs et la vie, ou plutôt la pièce, commence. D’abord timide, la diction est hésitante, les mots se précipitent comme des enfants pressés vers la sortie devant le portail de l’école. Puis, rassurée, certainement par les qualités de jeux de ses deux compagnons de scène, faisant fi d’un public qui ausculte chacun de ses gestes, exhibant l’élégance de ses costumes et sacs à main, le personnage prend de l’assurance et s’empare de la comédienne ou plutôt l’inverse. Peu à peu, la comédienne dévoile un personnage complexe, elle dépasse le texte de très haut, à tel point que l’on souhaiterait l’écrit, de Carey Perloff, plus profond, plus introspectif...
La frange sombre qui balaye son front ne parvient plus à cacher ses pensées, les amples costumes de soie ne dissimulent plus son corps, elle s'échappe, elle se libère par le jeu, l’enveloppe terrestre n’est plus, elle invente, elle joue, elle crée. En fait, elle est Phèdre, que ce soit pour cette pièce sous les traits de la rédactrice en chef d’un magazine américain, ou bien de Marie Stuart, de la reine Margot, de Camille Claudel ou encore d’un professeur de français dans un Collège de banlieue ("La journée de la Jupe" de Jean-Paul Lilienfeld en 2009). L’interprétation de son personnage est fondue par une technique irréprochable et par un sens très précis du texte. La voix est belle, modulée, vibrante, le geste l’accompagne. Précision. Rien d’inutile, rien de futile, tout est calibré, façonné par le Conservatoire et la Comédie Française, une science exacte, rien d’instinctif en somme à l’inverse de ce que l’on pourrait croire. Tout coule comme de l’eau, et rien, absolument rien, ne détourne le ruissellement de l’eau.
La comédienne disparaît dans les coulisses, unique alchimie de simplicité et de majesté, elle laisse traîner derrière elle un parfum de mythologie, voulu ou inconscient, peu importe. Ce qui compte c’est le rêve, et Isabelle Adjani ne faillit pas, elle règne…toujours.
NOW s’écrit et se crie par la compagnie de Carolyn Carlson sur la scène du Théâtre National de Chaillot, son hôte pour ces deux prochaines années.
Cette fois, la belle américaine s’est inspirée de la prose, philosophique et littéraire, deGaston Bachelard, pour animer sa compagnie qu’elle souhaite : «ruche, espace de créativité et de liberté au sein duquel s’entrelacent geste et pensée poétique». Le dessin est toujours aussi beau, serein, il s’agit de percevoir l’espace, de l’apprivoiser sans le dompter, de l’épouser sans le contraindre.
L’art de Carolyn Carlson ne s’exprime pas uniquement par la danse, mais aussi par le son, la voix, une certaine théâtralité. Il y a toujours la musique, particulière, fluide, de René Aubry, qui se fond à la chorégraphie de façon indissociable. Les gestes semblent moins aériens qu’à leur habitude, il est question d'introspection, mais les danseurs s’élancent, sautent, courent tout le temps et nous abreuvent de gestes de vie, simultanés, systématiques, les mouvements semblent familiers inscrits dans un certain quotidien. Des éléments vidéo, en noir et blanc, et, images très délicatement teintes de couleurs douces, s’installent sur le fond du décor et laissent s’envoler l’imagination. La lumière tout en clair-obscur est intime, chaleureuse.
Des fenêtres libérées de leurs murs parcourent la scène puis des arbres tentent de se mêler aux corps des danseurs… La "maison" évoquée, construite et ressentie, est tout en instinct, amour et humour ;"l’arbre", le second thème de la soirée, est un sujet délicat, tant cette nature a été si fortement interprétée par Pina Bausch dans Le Sacre du Printemps. Mais ici, il se passe autre chose, le tableau est une ode poétique, et c’est heureux.
La création chorégraphique de Carolyn Carlson ne prend plus de risque, tout son art est désormais tourné vers l’envie de conter de très belles histoires sans jamais abandonner sa quête d’harmonie. D’une beauté sans faille, la partition philosophique, sur laquelle Carolyn Carlson a choisi de faire s’exprimer ses danseurs, inscrit l’humain au centre des préoccupations artistiques. Assurément, la grande artiste est aussi une très belle personne.
Un programme riche, de films, rencontres et master-class, entoure ce spectacle tout au long de la saison, à découvrir et à suivre avec la plus grande attention au Théâtre national de Chaillot.
Après l’exposition flamboyante consacrée à Niki de Saint Phalle au Grand Palais, découvrir Sonia Delaunay (1885-1979) au Musée d’Art Moderne enveloppe l’amateur dans une sorte de women art power, nécessaire et absolument jubilatoire ! Cette rétrospective réunie plus de 400 œuvres, peintures, dessins, esquisses, tissus, argumentations vidéos, meubles et d’un fond photographique éblouissant. Cette exposition consacrée à Sonia Delaunay est absolument immanquable à Paris, avant sa prochaine installation du 15 avril au 9 août 2015 à la Tate Modern de Londres.
Tendant sur un châssis une couverture de berceau, initialement cousue de ses mains pour son fils, Sonia Delaunay crée à jamais l’emblème ironique et magistral de son Art. La broderie est enseignée aux jeunes filles de bonne famille, la jeune artiste va l’utiliser, très intelligemment en la mixant à sa maîtrise parfaite de la couleur et à sa technique du dessin. Elle propose à l’objet utile d’être beau, et, à l’Art de s’exprimer librement sur toutes formes de supports. Il s’agit bien d’un traité sur la liberté, la liberté de l’Art mais aussi la liberté des Femmes. L’Histoire transforme la société, les guerres successivesenvoient les hommes au front, tandis que les femmes assurent le travail dans les usines et dans les champs, elles se chargent de nourrir leur famille, plus rien ne sera jamais comme avant.
En ce début de siècle, Guillaume Apollinaire, l’ami du couple, formé par Robert et Sonia Delaunay, désigne le travail de Sonia aux côtés de la peinture de Robert Delaunay comme «des petites choses attachantes»… La misogynie 'de ce temps' relégue souvent les travaux artistiques des femmes à la décoration, réservant l’Art avec un grand A aux hommes. Ce fléau, que l’on souhaiterait aujourd’hui disparu, ne décourage pas l’inspiration et la volonté de Sonia Delaunay, bien au contraire. Résolue et douée, Sonia Delaunay dompte son époque, elle participe notamment à inscrire de nouveaux courants (Simultanisme) dans l’histoire des arts. Passant aisément de l’art pictural à la broderie, ou bien l’inverse, Sonia Delaunay lance une impulsion nouvelle et incontournable à la création de tissus originaux. La mode, très récemment libérée de ses corsets et autres engins de torture, est à jamais transformée. Immortalisant ses créations vestimentaires par la photo alors que la photo de mode n’existe pas, considérant le travail de la gouache et de la craie de cire au même rang que celui de la peinture à l’huile, intégrant avec notammentBlaise Cendrars, l'écrit aux aplats de couleur, multipliant les projets pour des projets d’affiches de publicité, l’architecture, le cinéma et la scène auprès notamment du grand mentor de l’époque, Diaghilev, Sonia Delaunay n’a de cesse de dépasser la peinture pour créer des passerelles entre les genres artistiques extrêmement novateurs.
Ce tourbillon créatif, qui se moque des carcans et des codes établis, semble évident aujourd’hui en matière d’art contemporain, il en est de même pour la considération de la femme-artiste dans le monde de l’Art, pourtant ces deux symptômes restent l’objet d’une lutte constante devant laquelle il ne faut pas désarmer…
Robert Delaunay a intitulé une de ses œuvres (des plus emblématiques) « Joie de vivre » (1930- coll. Centre Pompidou), cet optimismeest plutôt rare pour un artiste. Et en effet, les couleurs et lumières, souvent emportées dans un mouvement circulaire, laissent un sentiment de gaité, une impression vive. Robert Delaunay (1885-1941) est un peintre solaire et le Centre Pompidoua eu l'excellente idée de réunir la plus riche collection qui soit : environ quatre-vingts œuvres, peintures, dessins, reliefs, mosaïques, maquettes, une tapisserie et des photographies documentaires, apportés notamment grâce aux donations de Sonia Delaunay et de son fils Charles faites au Musée National d'Art Moderne en 1964.
Avec sa femme, Sonia Delaunay, Robert Delaunay est à l’origine du «Simultanéisme», ce mouvement de peinture définit une nouvelle forme de perception des couleurs par leurs juxtapositions. Cette influence sera déterminante pour l’histoire des arts s’étendant de l’architecture, au design jusqu’ à la mode. Les ballets de Diaghilev (Cléopâtre en 1918 à Londres), sa collaboration avec le cinéaste Abel Gance, le football (Cardiff), les affiches de réclames, les manèges, la Tour Eiffel ou la traversée de la Manche par Louis Blériot sont des inspirations, directement issues des grands mouvements scientifiques et artistiques, et, ce sont autant de sujets qui passionnent Delaunay.
La seconde partie de cette exposition propose de découvrir les œuvres monumentales produites par Delaunay pour l’exposition Universelle de 1937 : lePalais des Chemins de Fer et le Palais de l’Air. Delaunay fait définitivement sortir la peinture de la toile, il ouvre l’espace créatif, et, par la même occasion il fait sortir le peintre de son atelier en collaborant avec des architectes de l’époque tels Félix Aublet, Mallet-Stevens,.... La peinture n’est plus seulement un moyen d’expression artistique sensé représenter ce qui existe, elle est aussi une traduction de l’immatériel. Et pour Delaunay, il s’agit d’interpréter la lumière, qu’elle soit de source électrique ou naturelle, à travers le prisme de la couleur.
Chaque instant de la vie du peintre se veut d’être sublimé par une certaine forme de poésie et il s’emploie à y répondre aux côtés de Sonia Delaunay. Sur les traces de Vassili Kandisky, Delaunay invente une autre sorte de lyrisme, celui-ci est musical, un lien définitif se tisse entre la musique et les arts plastiques. Son ami, Guillaume Apollinaire, lui donnera le nom « d’Orphisme ».Pour une peintre qui déclarait : « Les mouvements en peinture n'ont pour moi pas de valeur», après le "Simultanéisme", l'histoire de l'art se sera chargée de gratifier l'oeuvre de Robert Delaunay de beaucoup de "isme" !
Sur les bords de l’Atlantique, le Tigre sommeille. Retiré de la vie politique après sa défaite à l’élection présidentielle de 1920, Georges Clémenceau se voue à l’écriture qu’il distrait par la présence de sa jeune amie, par quelques apartés complices avec sa gouvernante, et, la visite attendue de son ami Claude Monet. Le peintre tarde à livrer ses Nymphéas promis à L’Orangerie. Clémenceau a tout mis en œuvre pour que ces œuvres soient accueillies en ces murs. Le retard de Monet rend fou de rage « le Père la Victoire ».
Les pages de la pièce, écrite en 2012 par Philippe Madral, effeuillent des répliques affutées et des scènes mémorables, comme celle entre la Gouvernante et Monet lorsqu’elle interroge ce dernier sur son «métier» de peintre, et, des instants savoureux notamment lorsque Monet détaille lescouleurs de l’Océan. De façon très classique, le metteur en scène, Christophe Lidon, laisse toute la place nécessaire aux comédiens pour faire vivre leurs personnages sur la toile de fond du joli décor de Catherine Bluwal.
Claude Brasseur est un Clémenceau au crépuscule de sa vie, pensif et râleur. Il s’emporte et s’attendrit tour à tour, et puis il soupire, souffle quelques regrets quand il évoque le destin de sa femme, la mère de ses trois enfants, qu’il a fait emprisonné pour adultère et déchue de ses droits matrimoniaux…
Michel Aumont est Monet, et jamais plus vous ne penserez à Monet autrement que sous les traits du comédien. Les grands artistes n'effraient pas Michel Aumont, de la même façon qu’il a été Richard Strauss au Théâtre Hébertot en 2013, il est en territoire connu sur les planches du Théâtre Montparnasse.
Depuis mai 2014, la piscine Molitor, celle dans laquelle certains d’entre nous ont appris à nager, a réouvert ses portes pour un public extrêmement ciblé. En effet, le coût stratosphérique des prestations proposées par Molitor est si élevé qu’il exclut d’office la plupart d'entre nous à envisager des plongeons dans le sillage de notre enfance ou de nos parents. Dont acte. A la fois hôtel de luxe, spa, club privé, et, restaurant, à la décoration raffinée, la piscine Molitor s’est donnée pour mission de faire entrer les artistes entre ses murs et sur ses murs, une sorte de démocratisation artistique urbaine du site. Classée au patrimoine par Jack Lang, lorsqu’il était Ministre de la Culture, il était impossible que la piscine Molitor ne réponde pas à quelques obligations artistiques...
Street-artistes, grapheurs, light-painters, sculpteurs et plasticiens ont investi Molitor d’une façon originale. Nichés au creux des cabines, les œuvres et installations des artistes se dissimulent derrière chacune des portes au bleu Majorelle. L’esprit intimiste, façon boudoir ou cabinet de curiosité, permet à chaque artiste de créer son propre univers. Les aplats de couleurs, dessins, pochoirs, lignes et courbes, investissent les cabines ocres par l’exposition d’une toile, installation ou sculpture, d’une peinture à même le mur, sur la banquette ou bien directement au sol. Le concept offre à chaque artiste un espace de liberté lui permettant ainsi d’immerger entièrement le visiteur au sein de son intention artistique. L’idée est particulièrement réussie et elle ne gâche en rien le cachetarchitectural du lieu, si particulier, par sa sobriété et la justesse de ses lignes, bien au contraire. Balder, Artiste Ouvrier, Fred Calmets, Cadija Costa, Le Consortium, Damien Paul Gal, Diadji Diop, FBZ, Indie 184, JBC, Kan, Kashink, Kouka, William Laboury, Mademoiselle Maurice, Carmen Mariscal, Thomas Mainardi, One Teas, Shuck One, Sly 2, Antoine Stevens, Thom Thom, Remy Uno et Wen-Jié Yang sont annoncés ; pourtant, la pluralité des œuvres présentées le soir du vernissage semble assez inégale. Ici, on sent bien que quelque chose se passe mais reste inachevée. L’écrin offert par l‘architecture de Molitor est élégant, et il s’éloigne aussi très radicalement ce l’aspect brut d’un quartier abandonné, d'un trottoir délavé par le temps ou d'un mur délabré, supports originels de toutes les formes de street-art. Molitor impose des codes, de par son empreinte, et réclame une certaine exigence. Une confrontation s'installe entre le lieu et ce qu'il choisit de présenter, le pari est ambitieux, il laisse espérer des créations hors champs, encore plus inattendues, à la hauteur de l'édifice. A suivre avec attention.
Laurence Caron-Spokojny
MOLITOR 2 Avenue de la Porte Molitor, 75016 Paris www.mltr.frExposition gratuite ouverte au public du 10 octobre au 30 novembre sur réservation uniquement et dans la limite des places disponibles. Inscription par mail : underthewave@mltr.fr
Sous prétexte de lui fêter son anniversaire, quatre adolescents prennent d’assaut l’appartement de leur professeur afin lui faire subir un chantage odieux… En 1981, l’auteur russe Ludmilla Razoumovskaïa crée «Chère Elena» à Tallinn, capitale de l’Estonie. La pièce est interdite en 1983 par les autorités soviétiques pour son caractère «subversif», puis à nouveau autorisée en 1987.
Il y a de grands artistes, ceux qui révolutionnent le monde, modifient le cours des choses, dévient les esprits et rendent la vie plus intense. Et puis, il y a les génies, ceux qui inventent autre chose, Katsushika Hokusaï (1760-1849) est un génie.
« Depuis l’âge de six ans, j’avais la manie de dessiner les formes des objets. Vers l’âge de cinquante, j’ai publié une infinité de dessins ; mais je suis mécontent de tout ce que j’ai produit avant l’âge de soixante-dix ans… »
Le choc de la rencontre, à la fin des années 1850, des Occidentaux avec l’art japonais est une introduction à l'exposition du Grand Palais. Cette découverte artistique influencera les artistes européens tels Degas, Monet, Van Gogh ou Gauguin, une véritable contagion culturelle et esthétique s’emparera de l’Europe. Dès l’âge de quinze ans, Hokusaï grave des planches destinées à la fabrication des estampes, puis auprès de Katsukawa Shunsho, maître en l’art des portraits du Théâtre Kabuki, Hokusaï entame une production massive de dessins qui le conduira à l’illustration de poèmes-bouffes. Luxueux livres de lecture ou passionnants manuels de peinture, les milliers de créations d’Hokusaï vont notamment imposer l’art du manga, avec une incroyable variété de dessins, à un public de plus en plus large. Sept périodes, autant dire sept vies pendant lesquelles il changera cinq fois de nom, donneront naissance à des milliers d’œuvres qui depuis 1778 sont admirablement bien conservées. La difficulté de la conservation de ce patrimoine relève de l’exploit tant le support des dessins et estampes est fragile. Le trait est minutieux, l’intention artistique est d’une délicatesse extrême. Parfois l’humour, quelques grivoiseries, ou scènes de la vie quotidienne l’emportent en un mouvement poétique finalement peu éloigné de la culture européenne. L’œuvre d’Hokusaï, « Le vieux fou de peinture », présentée auGrand Palaisest orchestrée avec une précision de calligraphe, scientifique.
«Quand j’aurai cent dix ans, je tracerai une ligne et ce sera la vie.»
Le déroulé de l’exposition est une montée en puissance dont la halte, sous format vidéo, de la fabrication d’une estampe est fortement appréciée, comme une respiration, tant le contenu de l’exposition est dense. L’ambiance des espaces de la Galerie Nationale, dessinée en clair-obscur, invite au recueillement autour des multiples œuvres du maître. L’ascension vers les deux dernières périodes est atteinte comme une récompense, c’est une explosion de couleur, surtout ce souverain bleu de prusse qui fait oublier l’encre de Chine au profit de la peinture : un miracle de beauté. En sortant de l’exposition, si ce n’était pas déjà le cas, tous s’avouent avoir trouvé un maître.
Archi-productif avec près d’une centaine de création depuis 1970, le chorégraphe tchèque Jiří Kylián a fait ses armes au Royal Ballet School de Londres avant de rejoindre le Ballet de Stuttgart (John Cranko) où il devient chorégraphe en1968. En 1975, Jiří Kylián est co-directeur artistique du Nederlands Dans Theater à La Haye, sa création LaSymphonie des Psaumesle projette sur la scène internationale.
William Forsythe fait de sa danse une oeuvre plastique vivante.Les corps se déroulent et s’enroulent emportés par un vent démoniaque, les jambes battent, infiniment hautes, et, magnifiées par des bras qui s’élèvent vers un ciel conquis. Puis une accalmie, dans une précision d’horloger, les chorégraphies, de Woudwork 1 puis celle de Pas./parts, de William Forsythe décortiquent la danse avec une science exacte et harmonieuse sur les sons de Thom Willems. Une sorte d’étude cognitive du mouvement, la danse de William Forsythe éveille des sensations insoupçonnées nées d'une intuition raisonnée. L’intelligente alternance, lumière chaude - lumière crue, musique lancinante - stridente ou fortement rythmée, espace comblé – vide vertigineux, tient en alerte sans jamais faiblir sur le plateau noir du Palais Garnier qui ne m’a jamais paru aussi grand. Avec ce chorégraphe, le ralenti est intense autant que le vide est dense !
L'exacte maîtrise offre une grande liberté à l'expressivité du corps, le Ballet de l'Opéra de Paris le démontre à chaque instant. Les reliefs des muscles sont révélés, affutés et puissants, aussi par les costumes de Stephen Galloway, les danseurs se fondent dans leurs rôles, concentrés et énergiques, une sorte de lyrisme définitivement contemporain s’inscrit. La technicité de la danse classique est pourtant toujours présente dans les pas de Forsythe, hautement respectée, l’expression est majeure, forte, elle est juste dépouillée de toutes formes d’artifices pour être réinventée. William Forsythe est un maître fondateur de la danse d’aujourd’hui, et il fut pour moi une révélation, il y a plus de 20 ans au Théâtre du Châtelet…